Le 9 avril dernier, Sadek dévoilait « Aimons-nous vivants », son 5e album. Ce titre, et plus globalement ce projet, sont évocateurs de l’état d’esprit dans lequel est l’artiste au quotidien : un bon vivant qui vacille entre remise en question et laisser-aller total. Sadek revient à ses fondamentaux avec un album réussi qui lui ressemble.
Frapper fort, frapper juste
Ce cinquième opus reste bien fidèle à ce que propose Sadek depuis le début de sa carrière. Un rap où le fond a une place bien plus importante que la forme.
Malgré la présence de producteurs de renom (Yann Dakta & Rednose, Therapy, Zeg P, Boumidjal etc.), les instrumentales ne regorgent pas de sophistications, elles restent simples et efficaces. La production met en valeur le style Sadek : des paroles pleines de sens au milieu d’un flow presque désengagé.
« C’est paradoxal je te l’accorde, comme parler des Ouighours habillé en Nike » (CBD).
Dans la plupart des morceaux rappés de l’album, Sadek véhicule des messages. Il revient aux fondamentaux de cet art, et rappe comme s’il avait encore quelque chose à prouver. Le paroxysme est d’ailleurs atteint sur le morceau VBONTMB (issu d’un freestyle Skyrock). Sadek livre 6 minutes de rap sans fioritures, rempli de lignes résonnantes, comme si l’objectif premier de ce titre était de donner une leçon de rap à tous ceux qui l’écoutent.
« Oh mon gros tu rappes pas bien, t’imites juste Eminem » (VBONTMB).
La force du nombre
Cet aspect de puissance et de maîtrise est amplifié par les invités de taille. Les featurings font partie des meilleurs morceaux du projet, Sadek a su mettre ses confrères dans les meilleures dispositions possibles. Par exemple, Kimono est adapté à Ninho et SCH. La structure du titre (produit par Therapy) rappelle Prêt à partir, réalisé entre les deux conviés, ou plus globalement une ambiance proche d’un JVLIVS.
Impossible de parler des featurings sans évoquer la présence de prestige d’Ali sur Guérison. Tout est fait pour que l’ancien membre de Lunatic soit mis en avant, en imposant son charisme et sa plume pleine de sagesse. Proposer un passe-passe sur le refrain est judicieux et ne fait qu’accentuer cette vision. Cela permet à l’auditeur de se plonger directement dans le morceau.
« Si la haine est la maladie, l’amour est la guérison » – Ali (Guérison)
Sadek fait preuve de polyvalence tout au long du projet, il parvient à changer d’ambiance au sein d’un même morceau. Il peut associer couplets kickés remplis de punchlines, à refrains plus souples, comme c’est le cas sur Abu Dhabi. Dans la même logique, au cœur d’un morceau rappé qui se veut impactant et sérieux, le rappeur laisse croire qu’il s’amuse. Il ne se prive pas de placer quelques lignes bien interprétées mais absurdes : « J’peux serrer leur mère avec mon corps et la gueule à Bouder ». Un style décontenancé qui peut arracher un sourire, et qui correspond à l’autre facette du rappeur.
Une bonne touche de légèreté
Sadek fait partie des « jeunes anciens » : des rappeurs plus âgés que la nouvelle génération, mais qui savent perdurer et s’adapter aux tendances. Cette habileté n’est pas nouvelle pour le natif de Neuilly-Plaisance, qui, depuis 2014-2015 et l’essor du streaming, a habitué son public à des morceaux plus ouverts.
Dans ce nouvel album, cette ouverture musicale est encore présente, sur quatre morceaux précisément, où instrumentales dansantes et textes désinvoltes sont au rendez-vous. À l’instar de son projet de funk brésilien Johnny de Janeiro, Sadek ne manque pas de prendre des risques.
Ainsi, Aller-Retour, un des singles de l’album, marque une rupture complète avec l’univers hip-hop puisque la production se rapproche plus du rétro-funk, un style très dansant et festif. Naturellement, le texte est dans le même thème. Un morceau spécial qui apporte en originalité.
« Mais pour l’instant ramenez la tease, ah que des bêtises (…) dans ma khapta phénoménale, j’ai fini au tribunal » (Aller-Retour)
Soutien & Alliance
Il est difficile de passer à côté du morceau Soutien, connexion avec Affranchis Music, plus précisément Fianso et Heuss l’enfoiré, avec qui Sadek a déjà collaboré.
Comme souvent, Heuss se retrouve sur un morceau qui sort des sentiers battus. Le titre est marqué par la production de Zeg P, qui s’éloigne du rap et se rapproche de l’électro-house. Le BPM rapide est parfait pour mêler les couplets kickés de Sofiane, de Sadek au flow saccadé de Heuss. Le refrain chanté par les deux derniers cités est entêtant : il s’agit d’un son correct qui propose des sonorités peu entendues dans le rap.
Perroquet, en collaboration avec un Kalash Criminel, illustre bien les prises de risques. Le rappeur cagoulé du 93 est invité par Sadek sur une production dancehall, et sort totalement de sa zone de confort. Un résultat qui s’avère décent où Kalash Criminel s’adapte bien à l’ambiance en atténuant sa puissance vocale.
L’outro Alliance, en duo avec Vald, est assez ouverte via l’autotune, les artistes chantent afin de proposer un refrain très mélodieux. La prise de risque est moins évidente puisque la production reste dans les codes du rap avec un kick et une snare qui tapent fort, accompagnés d’une basse prononcée. Morceau cohérent où la voix aiguë et captivante de Vald colle bien avec l’atmosphère très mélodieuse du titre.
« Ils préfèrent détruire que donner quand c’est périmé » (Perroquet).
La légèreté présente sur l’album est particulière, mais les prises de risques sont à saluer tant elles sont assez bien exécutées. Tout cela permet de varier le contenu et de créer du contraste.
Disparate, mais positif
Un bilan clair se dresse : le projet possède beaucoup de qualités, représentées par les morceaux rappés. Sadek excelle dans un style plus sérieux, transmettant davantage d’émotions, aussi bien par l’instrumentale que par le texte. Le quasi-enchaînement (coupé par CBD) Scottie Pippen, Guérison et La source le prouve.
À ces nombreuses forces viennent s’ajouter quelques faiblesses. Les titres plus originaux sont extrêmement particuliers, au point d’en devenir difficiles à digérer. Le meilleur exemple est Perroquet, dans lequel Sadek n’est pas percutant dans ses interventions, ni même dans le refrain. Le constat se fait également pour des chansons comme Croisière qui devient vite agaçante avec son refrain répétitif aux paroles médiocres.
Finalement, Sadek a visé juste. En plus d’être dans la continuité de sa carrière, c’est avant tout un album qui lui ressemble : entre maturité et légèreté, détermination et nonchalance. C’est le projet d’un être humain qui, comme tous, n’est pas parfait. Le plus important reste le message d’amour et de paix délivré : Aimons-Nous Vivants.