Dosseh fait son retour avec Trop tôt pour mourir. Sans être particulièrement créatif, l’album est une réussite grâce à la plume de son auteur et à la cohérence dont il fait preuve. Le titre et la cover annoncent directement la couleur : la thématique principale est la mort. Le rappeur évite cependant le piège d’en faire un projet macabre grâce à des musicalités dans l’air du temps.
Mort, pas morne
Dès l’intro Dina Sanichar, Dosseh se compare à cet enfant-loup qui n’a jamais réussi à s’adapter à la vie en société. Après presque 20 ans de carrière, le rappeur n’oublie pas d’où il vient et délivre avec les crocs, comme il le fera tout au long de l’album. Un morceau efficace qui laisse place à RS-28 puis Mode S. Il s’agit de chansons egotrip moins marquantes, voire carrément répétitives. Elles diffèrent malgré tout dans leur structure (un couplet unique dans le premier son, deux dans le second).
C’est à partir de Djamel que l’album prend une autre dimension. Dans un très beau storytelling, Dosseh conte l’histoire -vraie- de Djamel, rescapé des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, et de son amie Djamila qui n’a pas eu cette chance.
L’interprétation se marie parfaitement à la production (Ken & Ryu, Twenty9, Focus Beats). Alors que le morceau démarre calmement, l’instrumental évolue lorsque les événements tragiques surviennent. Dosseh change alors son flow et son intensité pour offrir un son puissant, poignant. Un magnifique hommage à Djamel, Djamila et toutes les autres victimes des attentats de Paris. Le natif d’Orléans délivre un top carrière avec ce titre inédit dans le rap français.
Construction réussie
La présence d’une chanson aussi profonde et marquante dès les premières pistes pouvait interroger. Le rap nous a habitués à trouver ce genre de morceau en fin d’album. De même que l’enchainement avec Plus belle la vie, plus belle la mort, featuring Tiakola, laissait sceptique. Il faut dire que le jeune artiste est souvent connoté « festif » (à tort). Mais les doutes sont directement dissipés : la chanson complète parfaitement la précédente et affirme son message selon lequel il faut profiter de la vie. L’une des meilleures contributions de l’album.
Dosseh sort de sa zone de confort musicale dans Smooth Criminel et offre une autre collaboration réussie grâce à Zed. Le morceau aux sonorités synth-pop des années 80 se veut hommage au titre éponyme de Michael Jackson. Pari remporté haut la main, Smooth Criminel procure une bouffée d’air frais dans le disque au moyen de sa légèreté et d’une musicalité qui diffère sur tous les plans. La vie de César voit Dosseh et Werenoi s’associer pour vanter leur style de vie, entre rue et richesse. Le second MC tire son épingle du jeu en l’espace de 12 mesures seulement, à l’aide d’un flow cadencé et d’une écriture incisive. Il confirme ainsi tout son talent.
Manque d’originalité
La palme de la meilleure collaboration revient à Branché. Lors d’un storytelling, Momsii se met dans la peau d’un ami prisonnier de Dosseh, qui meurt d’ennui et qui a l’impression que le rappeur lui tourne le dos peu à peu. Il décide de le confronter au téléphone. La force du morceau réside dans les passe-passes que les deux artistes font et la cohésion qu’ils affichent. Cela confère une certaine crédibilité et donne un intérêt pour la réécoute. La seule chose qui peut lui être reprochée, c’est son manque d’originalité. Difficile de ne pas penser à la trilogie « Reda » de Lacrim, sortie il y a moins d’un an, qui affichait une forme similaire.
Lacrim est d’ailleurs présent sur l’album et apparaît dans Amsterdam, le morceau le moins intéressant. Sur une prod dansante aux sonorités « sudistes » (par Boumidjal), les deux artistes proposent un rap estival, facile, cliché. Bien plus proche de la parodie que de l’hommage pour ce style, il aura cependant réussi sa mission : être le single « commercial » du projet. Chose finalement assez malheureuse car cela vient rompre avec la qualité et l’ambiance installée jusqu’alors. N’écoute pas tes copines, titre dancehall/sentimental avec Leto, s’impose également comme un OVNI. Le son a le mérite de respecter une thématique du projet puisqu’il est question d’armes (que Dosseh, toujours méfiant, n’hésiterait pas à utiliser pour assurer sa sécurité).
La mort sous plusieurs angles
Tout du long, Dosseh continue d’incarner la thématique de la mort, en variant les mires. Dans Demain j’arrête, il retrouve Dinos pour un morceau complètement différent du titre phare de Taciturne. Ici, il est partiellement question de déprime (Dinos oblige), tout en offrant une ambiance légère et aérienne. Dans Sky Dweller, Dosseh renoue avec un rap plus agressif et annonce « tuer le temps » en faisant référence à la célèbre Rolex éponyme. Ironie du sort ou non, le titre apparaît comme un clin d’œil à Dinos, ce dernier ayant sorti son EP Sea Dweller peu avant.
Mais c’est bien dans les morceaux introspectifs que Dosseh impressionne le plus. Avec Je te pardonne et sur fond de production lugubre enrichie par de discrètes notes de piano, le rappeur anticipe sa mort et ses raisons. Un texte osé, qui témoigne à nouveau de la méfiance de son auteur. L’apothéose est atteinte avec Fleur d’Automne. Dosseh utilise son don pour le storytelling afin de raconter l’histoire de sa mère décédée et de l’honorer.
Là, tout d’suite, c’est moi qui ai besoin d’elle
Besoin d’ses appels manqués, besoin d’ses réprimandes
Son visage fait que d’m’hanter et j’ai les mots qui m’manquent
J’ai les larmes qui m’montent, j’en veux au monde, au cancer, cette sombre bête immonde
Par la même occasion, il offre l’un de ses morceaux les plus touchants, pas seulement de cet album mais de sa carrière. Il marche alors dans les empreintes de son demi-frère, Pit Baccardi. Ce dernier avait lui aussi livré, en 1998, un texte culte (« Si loin de toi ») en hommage à sa défunte génitrice.
Le charme de l’imperfection
Certes, dans cet album, Dosseh n’apporte rien de franchement nouveau au rap français (si ce n’est sa chanson à propos des attentats). Il se contente de reprendre ce qui fonctionne actuellement ou ce qui a déjà été fait ailleurs. Par moments, il donne même l’impression de chercher à remplir un cahier des charges. Cela a cependant le mérite de le sortir de sa zone de confort, d’autant plus qu’il le fait bien. Dosseh se confie, affiche sa palette diversifiée et s’adapte à un large éventail de productions. Trop tôt pour mourir pourrait donc bien laisser un souvenir impérissable au rap français de 2022.