Infinit’ – 888

Critique

Avec 888, Infinit’ justifie sa longue absence par un album qui s’impose comme l’un des meilleurs de ce début d’année, même si certains points laissent un léger sentiment de frustration.

Patience

Quatre ans après son projet Ma Vie Est Un Film 2 ayant fait office de BO du premier confinement pour certaines personnes, Infinit’ revenait (enfin) à la mi-février pour nous livrer un nouveau disque. Entre-temps, le niçois était notamment apparu sur la Don Dada Mixtape, dans ses 2 registres préférentiels (refrain avec topline accrocheuse sur Dirty Dancing, kickage sur Soldat Tue Soldat), ainsi dans les projets de son mentor Veust, et n’avait sorti qu’un morceau solo aux allures de freestyle (Uranium). 

L’attente était donc forte pour ce premier album dont le principal intéressé a toujours dit accorder une importance capitale. Les trois singles, le 888 freestyle et surtout l’excellent Grünt 64 ont doucement mais sûrement fait monter la hype autour de 888, même si ces sorties ne reflètent que partiellement l’ambiance du disque.

Le Yin et le Yang

En effet, la première partie est conforme à ce que le rappeur du 06 nous a montré juste avant la sortie, deux des trois singles étant d’ailleurs présents dans celle-ci. Infinit’ déroule ses schémas de rimes alambiqués et ses placements habiles avec une grande facilité, sur des productions feutrées. Il offre ensuite un morceau solo à Veust, rappelant ce qu’Alpha Wann avait fait sur Une Main Lave L’Autre, où il avait laissé les deux couplets du morceau Le Tour à Infinit’. L’instrumentale agressive de Fitness Park contraste d’ailleurs fortement avec le reste du projet qui se veut bien plus doux et aérien.

En effet, Comportement marque ensuite une vraie rupture dans le disque, en étant le début d’une partie plus chaleureuse. Des mélodies ensoleillées, des basses bien rondes : les productions possèdent un groove imparable faisant de 888 un album parfait pour « rider » en voiture en plein été. 

Avec un flow ultra laid-back, Infinit’ en profite alors pour rappeler de temps à autre ses talents de topliner sur des productions aux influences en majorité californiennes, mais aussi Maybach Music (Bateau), Plug (Mc Gregor) ou OVO (Tous les gens). 

Réduire la vitesse

Ce parti pris a pour conséquence de laisser moins de place aux démonstrations techniques. Exit donc les accélérations brusques comme sur le deuxième couplet de Tout le faire gang, les refrains galvanisants, les productions trap survoltées de NSMLM ou encore les empilements de références de Intro (« Aucun sentiment comme De Niro dans Raging Bull, Babidi dans Dragon Ball, Cam’Ron dans Paid In Full ») ou de D’en Bas (« J’arrive classique comme une paire de Cortez, une veste North Face, une scène de Scorsese ou un texte de Ghostface »). Globalement, Infinit’ aère davantage ses textes pour mettre en avant leur sens, quitte à être moins impressionnant techniquement.

Le niçois ne perd pas pour autant toutes ses qualités de rappeur. Il montre encore régulièrement quel excellent rimeur il est, en particulier au début du projet ainsi que sur la production scintillante de Bateau, et distille un certain nombre de punchlines et paraphrases ingénieuses dont il a le secret.

Personnalité et retenue

Le rappeur de Don Dada profite également du format album pour proposer de nouveaux concepts de morceaux, lui qui était la plupart du temps dans une logique de performance uniquement. De ce point de vue-là, Dictionnaire est une vraie réussite : pour représenter son département des Alpes-Maritimes, le fameux 06, il décide d’énumérer des expressions locales et de les traduire, ou encore de détailler les différentes diasporas de la région niçoise. Faire un morceau de ce style aurait pu être périlleux, mais Infinit’ s’en sort remarquablement bien grâce à son style et à une production de haute volée. 

Il réitère également l’exercice du storytelling sur Imagine, chose qu’il avait déjà réalisée avec Djibril sur Ma version des faits. Malheureusement, une instrumentale trop timide ne lui permet pas d’en faire un morceau réellement marquant.

En revanche, les interludes Messagerie et Zippo rendent le disque encore plus cohérent, même si le deuxième méritait certainement d’être un véritable morceau étant donné la qualité de son habillage musical. 

Cette homogénéité se traduit jusqu’à la fin de l’album avec l’outro Tous les gens. Là où il avait choisi l’introspection sur celle de Ma Vie Est Un Film 2 (Infiniment), ce qui était d’ailleurs assez inhabituel pour lui, il opte pour une démarche tout autre sur 888. Avec une utilisation importante de l’anaphore, figure de style consistant à répéter le même mot ou groupe de mots au début de chaque phrase, il rend pudiquement hommage à ses proches durant l’intégralité du morceau. Ce choix de réaliser une outro toute en émotion retenue apparaît pertinent puisque correspondant très bien à la personnalité du rappeur niçois.

Durée de vie prolongée

L’atmosphère lumineuse de 888 en fait un album assez estival, et sa sortie peut même paraître un peu prématurée. On peut en effet imaginer que le disque s’appréciera encore mieux au début des beaux jours, mais cet élément lui permettra aussi de « vivre » plus longtemps et d’accompagner les auditeurs durant une grande partie de leur année. 

Au-delà de ça, la qualité et la richesse des productions concoctées majoritairement par JayJay et Hologram Lo’ ainsi que le sens de la formule toujours aussi aiguisé d’Infinit’ seront à coup sûr des éléments qui prendront de plus en plus d’épaisseur sur le long terme. Ils pousseront donc à relancer le projet encore et encore, pour y découvrir différents détails à chaque nouvelle écoute.

Les plus perfectionnistes pourront en revanche regretter que les pures démonstrations de technique et d’énergie se fassent plus rares. Dès lors, la présence du couplet unique du 888 Freestyle, avec son flow incisif et plus rapide, ou de ceux du Grünt 64 aurait pu s’avérer judicieuse.

Pour toutes ces raisons, 888 s’impose comme un très bon premier album : projet le mieux produit de son auteur, sa direction artistique pas exempte de tout défaut a le mérite de donner une véritable unité au disque en représentant parfaitement l’univers d’Infinit’. 

Avec 888, Infinit’ justifie sa longue absence par un album qui s’impose comme l’un des meilleurs de ce début d’année, même si certains points laissent un léger sentiment de frustration. Patience Quatre ans après son projet Ma Vie Est Un Film 2 ayant fait office de...Infinit' - 888