Stony Stone & Houdi – Avant les yeux

Critique

L’annonce de leur projet commun pouvait être surprenante, les deux ne s’étant pas particulièrement affichés ensemble, à l’exception de leur featuring sur le morceau DJINN de Houdi. En dehors de cette collaboration, leurs seuls points communs résidaient dans leur forte productivité et leur musique largement influencée par le Royaume-Uni. En effet, les productions aux rythmiques saccadées, en particulier 2-step, occupent une place importante au sein de leur catalogue. Si l’annonce pouvait donc être inattendue, une collaboration sur un disque entier n’en était pas moins assez logique, et encore plus à l’écoute de celui-ci.

Osmose

Dès l’introduction, leur complicité se matérialise avec un couplet unique en passe-passe se révélant très efficace. La voix grave de Houdi, l’accent marseillais de Stony Stone : leurs auditeurs respectifs retrouvent presque simultanément les personnalités vocales de chacun et ce, sans qu’aucun des deux artistes ne soit lésé. Sur cette production angoissante de Seak, ils débitent des rimes habiles tout en lançant quelques phases agressives et cohérentes avec l’instrumentale.

Ils nous immergent dans les profondeurs de l’eau que l’on peut apercevoir sur la pochette, avant de nous en sortir rapidement lorsque retentissent les premières notes de guitare de la seconde piste, PAS NORMAL. Accompagnés d’une production qui aurait pu figurer dans l’album 13 Organisé, les deux artistes donnent le ton de ce que sera l’atmosphère globale d’AVANT LES YEUX : joviale et divertissante.

Complémentarité

Le disque est très équilibré, avec les performances de l’un qui ne prennent pas le dessus sur celles de l’autre. Niveau technique, Houdi est plus à l’aise que son compère : ses rimes sont plus travaillées et il prend davantage de risques dans ses placements. Mais Stony Stone compense par une palette d’intonations plus large et des envolées autotunées très maîtrisées. Même l’association de leur voix fonctionne bien, l’accent chantonnant du marseillais contrastant efficacement avec le timbre de voix profond du parisien.

Ils se permettent aussi d’inverser les rôles de temps à autre, permettant d’éviter une binarité qui aurait vu la technique de Houdi et les mélodies de Stony Stone cohabitées sans jamais se mélanger. Cela aurait créé des répétitions et mis à mal l’alchimie nécessaire à un projet commun.

Complicité

Les deux rappeurs se répartissent équitablement les différents éléments des morceaux, qu’il s’agisse des refrains, des pré-refrains, des couplets ou des ponts. Ils délivrent même quelques refrains voire couplets partagés, créant une fusion intéressante entre leurs univers musicaux.

Plutôt anecdotiques, les interviews qu’ils ont pu donner ensemble permettent néanmoins de constater que cette complicité est également présente en dehors de la musique. Ils affichent une vraie amitié qui se ressent clairement sur le disque.

Au vu de ces éléments, on peut donc regretter de ne pas avoir droit à davantage de couplets en passe-passe. Ce format aurait encore davantage renforcé le côté récréatif et libre de leur collaboration.

Spontanéité

Selon des membres de leur entourage comme Vincent Le Nen, la conception de l’EP a pris seulement deux mois et n’a nécessité la mise à l’écart que d’un seul morceau, sur dix réalisés (sept sur la version standard, auxquels on ajoute les deux morceaux bonus). Le projet ne prend donc pas son temps et va droit au but. Cela ne se matérialise pas sous forme de productions génériques, de mélodies téléphonées et de rimes paresseuses, mais plutôt d’une créativité foisonnante et d’une énergie communicative.

Cette spontanéité se ressent également dans les structures des morceaux. Leurs introductions sont courtes, les ponts ne servent qu’à préparer les refrains et les productions ne restent pas tourner bien longtemps une fois le dernier couplet terminé.

De la lumière vers l’ombre

Le début du projet est assez ensoleillé, à commencer par le morceau PAS NORMAL et son instrumentale très marseillaise. Sans surprise, les productions aux sonorités britanniques ne manquent pas et constituent certainement les meilleurs moments de l’EP, avec les morceaux HNINA, CALCULS et LE TEMPS. Mention spéciale à ce dernier, son ambiance électronique hautement immersive donnant l’impression d’être plongé dans un jeu-vidéo. Même le titre MILLION, malgré sa couleur davantage empreinte de mélancolie, reste lumineux grâce à sa guitare et sa rythmique.

En prenant en compte les deux bonus tracks, on bascule ensuite vers un décor bien plus sombre pour la fin du disque. Tout d’abord avec l’outro de la version standard, BRUME, dont le côté nocturne appuie l’aspect revanchard des lyrics. Mais comme d’habitude, Stony Stone et Houdi n’en oublient pas pour autant de divertir, avec le refrain bien puissant de ce dernier. Les deux morceaux bonus sont dans la continuité de cette outro, avec les sinistres synthés de AQUA et l’oppressante production de AUTRE PART, dont la frénésie de la rythmique n’empêche pas le titre de posséder une certaine solennité.

Ces deux derniers morceaux viennent gommer en partie certains défauts du projet, en le rallongeant légèrement et en y ajoutant un titre avec du passe-passe (AUTRE PART). Mais l’atmosphère plus pessimiste de ces pistes casse l’aspect rayonnant et léger de l’EP, qui perd alors en cohérence musicale.

Thème : été 2023

Dans un rap français où les projets communs ne sont pas légion et surtout pas souvent à la hauteur des attentes, celui de Stony Stone et Houdi fait du bien. La proposition artistique est efficace sans tomber dans la facilité et respire la spontanéité, avec une connexion qui se fait naturellement.

AVANT LES YEUX comporte tout de même certains défauts inhérents à ce format collaboratif : les deux artistes ne peuvent pas forcément y mettre leurs personnalités à 100%, ce qui donne des textes un peu plus impersonnels. Ce point découle aussi de l’ambiance globale du disque se voulant assez festive : les thèmes sont répétitifs, malgré quelques touches d’introspection au détour de certaines phases.

Il faut donc prendre cet EP pour ce qu’il est : de la musique divertissante et qui n’a pas la prétention de faire autre chose que de bouger les têtes et d’être la bande originale idéale pour l’été à venir.