Zamdane – Couleur de ma peine

Critique

Couleur de ma peine, premier album studio du prometteur Zamdane, sortait le 25 février dernier. Un opus qu’il tease depuis novembre 2021 avec pas moins de cinq extraits ; créant ainsi un fort engouement autour du projet. 

Après quatre années durant lesquelles il va peaufiner son style, et sortir sept projets, l’étoile montante du rap franco-marocain débarque aujourd’hui avec une proposition artistique qui lui est propre : une voix saisissante, des rythmiques mélodieuses, des textes mêlants le français et l’arabe, le tout teinté de mélancolie. Le verdict est sans appel. Zamdane délivre un objet musical authentique, sincère, et touchant ; reflet de son histoire personnelle : l’épopée d’un jeune artiste guidé par la liberté. 

Des textes empreints d’émotions 

Mélancolie, sincérité, amour, espoir, douleur, force…  Couleur de ma peine est sans aucun doute l’un des albums les plus émotionnels de ce début d’année. Les thématiques qu’il traite ne font qu’accentuer ce couloir de sentiments dans lequel Zamdane, de son vrai prénom Ayoub, nous embarque dès l’introduction. Entre deuil familial, déceptions amicales, pertes de proches ou encore soif de liberté, le rappeur se raconte à cœur ouvert, de manière tantôt poétique et tantôt crue, mais toujours avec autant d’authenticité.

La quête de la liberté est l’un des thèmes principaux du projet. Le jeune homme de 24 ans naît et grandit au Maroc. C’est en 2016 qu’il élit domicile à Marseille. Durant toute son adolescence, il rêve d’une autre vie, celle qu’il imagine plus simple au large des côtes françaises. Celle qui le soulagera des maux qu’il ressent au sein du royaume chérifien. « On avait rien à la base, j’ai même failli rejoindre la France à la nage » (Le monde par ma fenêtre). S’il n’a pas réellement effectué la traversée de la Méditerranée en « flouka », il porte la souffrance des siens et partage avec eux la volonté de fuir son pays natal. Tout ce qu’il voulait, c’était changer sa vie, être libre comme une colombe. 

« Entre la vie d’rêve et la mienne, tous les océans nous séparaient » Stradivarius

Ce besoin pressant de liberté est notamment dû à sa condition sociale, difficile au Maroc. Sans revendications politiques explicites, Zamdane déplore néanmoins les injustices sociales du système capitaliste.

« L’argent fait l’bonheur avec le malheur des autres. » C18

La mort est un autre thème récurrent. « J’ai plus d’cœur, j’ai enterré des frères, j’ai enterré ma sœur » (Zhar). Le jeune Marocain l’a trop souvent côtoyée. « Chaque mois, des gens qui meurent » (Libre comme une colombe). Parmi ses pertes, une probablement plus tragique que les autres : celle de sa soeur. Il lui rend d’ailleurs un vibrant hommage dans le morceau « Vide quand t’es pas là ». L’outro est l’un des morceaux les plus touchants de l’album. Une ode aux disparus et aux vivants.

Une vague d’espoir et de résilience

 Zamdane a vécu de nombreux deuils, parmi les vivants également. Il fait de nombreuses fois référence à des trahisons, des frères perdus. Malgré ces multiples souffrances, le rappeur a la capacité d’insuffler une vague d’espoir tout au long de ses morceaux. Une prouesse remarquable qui donne un vent de fraîcheur à l’album et qui empêche de broyer du noir à la sortie de l’écoute. Avec une forme de résilience, Zamdane raconte le récit d’un jeune rêveur qui sait garder la tête sur les épaules.

« J’deviens plus fort à chaque erreur et au pire des cas, demain s’ra meilleur » Stradivarius

 Si peu de pessimisme se dégage de ses textes, c’est probablement grâce à la foi qui l’anime. En effet, la religion et son rapport à Dieu sont une thématique que l’on retrouve en filigrane tout au long du projet. Cette foi lui donne espoir en un avenir meilleur et lui permet de faire face aux drames qu’il vit.

« J’me dis qu’demain s’ra meilleur, même si aujourd’hui est horrible, personne connaît la vérité, à part Dieu et l’corbeau du p’tit Grégory » Foust l’bando

Plusieurs fois, il fait référence à « son dieu ». D’ailleurs, il s’adresse directement à lui dans le joli titre « Lettre à mon dieu ».

Alors que l’album est principalement constitué de productions mélodieuses et envoûtantes, la thématique de l’amour (et des femmes) n’est quant à elle quasiment pas abordée. Le seul morceau qui traite du sujet est « Groupie Love », dans lequel il avoue avoir « peur d’aimer car (j’ai) peur de l’échec ». L’amour reste néanmoins un sentiment présent dans l’album, et celui-ci concerne particulièrement ses origines.

Ses racines au coeur de son propos   

Si son rêve a toujours été de quitter son pays natal, le Maroc, pour vivre une meilleure vie en France ; l’amour qu’Ayoub porte à ses origines se ressent fortement dans ses textes. Sa culture a une place prépondérante dans sa musique. Il est d’ailleurs l’un des seuls rappeurs à allier la langue arabe à la langue de Molière. Un mélange subtil et poétique, qui fonctionne à merveille à l’oreille. 

Cette atypie permet à l’artiste de capter l’attention et l’engagement de tout un pan de la jeunesse qui se reconnaît en lui et son parcours de vie. Même si l’on n’est pas forcé d’être concerné par l’immigration pour s’identifier à l’artiste, aujourd’hui, de nombreux jeunes connaissent, de près ou de loin, les difficultés que peuvent apporter l’immigration. Zamdane, depuis ses freestyles Affamés notamment, et encore plus avec ce premier album, se place alors comme un représentant de cette jeunesse. Il est loin d’être le seul à aborder ces thématiques mais l’approche qu’il délivre est plus authentique et mélancolique, elle favorise alors nettement l’empathie ainsi que l’identification. Ce processus rend la relation qu’il entretient avec sa communauté encore plus vraie et sincère. 

Par ailleurs, les problématiques liées à l’immigration sont au centre de son propos musical. Avec le morceau Flouka, il relate les dangers relatifs à la traversée de la Méditerranée. Le titre est accompagné d’un clip aux images très esthétiques. 

Zamdane s’engage aussi en dehors de sa musique. En témoigne l’action caritative que lui et ses équipes ont mené la semaine précédant la sortie de l’album, au profit de l’association SOS Méditerranée. Grâce à cette initiative, 14 000 euros ont été récoltés. Une belle action à souligner.

Jusque-là, la proposition artistique de Zamdane se concentre principalement sur les épreuves de son vécu qui sont traitées de manière à la fois douce et poétique. Un choix qui semble être naturel mais qui peut également alerter sur l’impact de cette esthétisation sur ses jeunes auditeurs.

Le risque de « romantisation de la misère »

À l’issue de l’écoute du projet, une question peut légitimement être posée : est-on en train de promouvoir, implicitement, une sorte de « conte de fées de la débrouille » ? En effet, il y a une forme de misérabilisme qui se dégage du projet de Zamdane. Son art musical est très esthétique, parfois même romantique. De plus, il y a dans la violence sociale et le danger mortel, des forces puissantes qui en émanent. À la fois une rage de vivre et une forme de résilience, qui pourraient faire fantasmer les plus jeunes auditeurs.

Ces pratiques peuvent, à la longue, avoir un impact relativement dédramatisant sur les sujets qu’il traite, et de ce fait, être contre-productives pour la cause. Bien que le misérabilisme de Zamdane n’a jusque-là rien de malsain, il paraît simplement logique de rappeler que les épreuves décrites dans l’album ne finissent pas toujours aussi bien que pour le concerné. Pour autant, ces effets d’esthétisation participent aussi à la cohérence globale du projet qui est l’un de ses attraits majeurs.

Harmonie visuelle et musicale 

La cohérence du projet se situe tant sur le plan visuel que musical. La direction artistique visuelle, menée par Roxanne Peyronnec, se veut très esthétique. Cela se retrouve dans les clips, dont les plans et le traitement de l’image sont à la fois poétiques et authentiques. Cela se ressent également dans la cover du projet qui représente une grande toile sur laquelle Zamdane colore ses peines. La cover est particulièrement réussie puisqu’elle utilise des couleurs froides à l’image de la froideur des thèmes exprimés. Elle met également en image des silhouettes multiples, qui peuvent symboliser les émotions que l’artiste extériorise mais aussi tous les individus qui peuvent se reconnaître dans sa musique. 

La tracklist est, quant à elle, manuscrite, comme pour renforcer l’authenticité du projet. Les titres sont tous traduits en arabe, ce qui accentue l’attachement qu’il éprouve à l’égard de ses origines.

Musicalement, les productions mélodieuses, amenées par une dizaine de beatmakers (Amine Edge, DANCE, Bayadis, Lisa Tz…), s’enchaînent bien sans être trop redondantes. On y retrouve l’utilisation de violon, piano ou encore saxophone qui apportent à la fois émotions et profondeur aux morceaux. Cependant, sans dénaturer son ADN, le jeune artiste propose à la marge des sons plus trap comme « Incomplet comme février » ou encore « Stradivarius » dont les sujets restent cohérents avec les autres tracks. Il s’essaye même pour la première fois à la plug music, nouveau genre tendance du rap, avec le titre « Même à distance on est proches ».  

Les featurings ont également été choisis avec précision. Dinos, Jazzy Bazz et Soso Maness sont des artistes qui ressemblent tous, dans un sens, à Zamdane. Ils ont pour habitude de traiter de sujets aussi sérieux que ceux présents dans Couleur de ma peine. Les connexions sont évidentes et ont ainsi donné vie à trois morceaux très réussis. Les feats n’occultent jamais la performance de Zamdane et apportent chacun une couleur différente. 

Et puisque rien n’est laissé au hasard, le mois de sortie, février, semble avoir également été réfléchi. Un mois incomplet, pas comme les autres, qui entre évidemment en résonance avec le titre « Incomplet comme février » mais qui peut également faire référence à l’éternelle quête que paraît pourchasser Ayoub. « J’ai tout c’qu’il m’faut, pourtant, j’cherche c’qu’il me manque » (Le monde par ma fenêtre) 

Et après ?

Couleur de ma peine est clairement une réussite. L’artiste a su mettre à disposition de son public un album abouti et sincère, il confirme donc les espoirs placés en lui. Cette réussite artistique est accompagnée d’un relatif succès commercial. Le projet génère 5053 ventes pour sa première semaine d’exploitation, un démarrage très honorable. 

Et comme pour chaque succès, celui-ci engendre de nouvelles attentes. Pour Zamdane, il s’agira  de réussir à se renouveler tout en gardant l’ADN qui l’a fait connaître de son public.

Couleur de ma peine, premier album studio du prometteur Zamdane, sortait le 25 février dernier. Un opus qu’il tease depuis novembre 2021 avec pas moins de cinq extraits ; créant ainsi un fort engouement autour du projet.  Après quatre années durant lesquelles il va peaufiner...Zamdane - Couleur de ma peine