Octobre 2019, un feu follet belge aux cheveux fluos fait son apparition sur les radars du rap francophone, grâce au single Fendi. Une voix rauque et grave, aérée par une utilisation maligne de l’autotune, se mariant parfaitement aux productions de Chuki Beats fait mouche : le phénomène Geeeko est né. S’ensuit une série de singles qui amène à Réel, son premier projet.
Avec Irréel, son dernier projet en date, le rappeur marie la forme au fond, et délivre un disque plus viscéral, plus profond, plus intime. En marge de la sortie de ce deuxième opus, nous avons eu le privilège d’échanger avec lui sur les entrailles d’Irréel, sur l’évolution de sa direction artistique et son ambition musicale.
Tu viens de sortir ton deuxième projet, comment te sens-tu ?
Libéré ! Je l’ai enfin sorti. Je stressais, j’avais trop de choses en tête. Je me demandais si ça allait plaire aux gens, s’ils allaient entrer dans mon univers.
Je n’ai pas fait de la trap de concert comme dans Réel. Ici, ce sont des morceaux plus mélodieux, profonds, personnels. J’avais peur que les gens ne comprennent pas et n’acceptent pas le vrai Geeeko. Mais je suis content des retours, on me dit que j’ai pris en maturité.
Sortir deux projets en un an, était-ce ta volonté ?
Oui ! Et s’il y avait eu moyen d’en sortir encore un autre, je l’aurais fait. Je suis tout le temps au studio, j’ai plein de sons qui dorment et qui attendent de sortir. Encore maintenant, je n’arrête pas d’en faire, je gratte beaucoup, au point d’avoir des pannes. Pendant la période de Noël par exemple, j’étais complètement à sec. J’étais fatigué à force de travailler sur le projet… Je n’aime pas ne rien faire, alors quand je ne suis pas au studio je joue à la play, mais ça m’ennuie vite. Donc je retourne au studio mais je n’ai rien à raconter, du coup je fais juste des toplines.
Tu te forces à écrire quand tu as une panne d’inspiration ?
Oui parce que ça ne dépend pas que de moi. Il y a des gens qui se déplacent pour travailler avec moi, je suis obligé de faire l’effort.
Niveau production, tu gardes l’ossature Chuki, mais tu t’es ouvert à d’autres producteurs. Pourquoi?
Il y a certains producteurs qui vont dire « that’s cool » -même si t’as fait qu’une seule vibe-, avant de passer à autre chose. Ce n’est pas comme ça avec PH Trigano, il a apporté une grande maturité au projet. Il me dit « là c’est bien ce que t’as fait, mais pousse encore plus ». Ça casse un peu les pieds au début (rires), mais à la fin je suis content du résultat. ll m’a vraiment fait avancer.
Au moment de faire Réel, tu savais déjà que tu allais enchaîner avec Irréel ?
Non, ce n’était pas prévu. Réel c’était logique : je me lançais dans la musique, je voulais en vivre donc tout devenait réel. Après la sortie, on s’est dit que ça ne serait pas mal de faire une suite, d’où Irréel.
Pourquoi ces projets sont-ils essentiels, indissociables et se complètent ?
Parce qu’ils expriment des choses différentes. Réel c’est mon entrée dans la musique, Irréel c’est pour apprendre à me connaître, et le prochain s’appellera Surréel. Cette trilogie mène au premier album. Elle est nécessaire pour que les gens puissent comprendre, voir le processus et mon évolution, du premier projet jusqu’à l’album.
Donner le nom Irréel, était-ce une façon de prendre de la distance avec les sentiments « durs » que tu exprimes tout au long du projet ?
Oui ! Irréel parce que tout le monde ne voit pas comment je suis dans la vraie vie, comment les choses se passent dans ma tête. Sur les réseaux sociaux je rigole, mais je ne montre pas mes problèmes. J’ai pu en parler grâce à ce projet. Je ne suis pas un gars qui se confie beaucoup sur ses problèmes, mais j’ai trouvé un moyen de les exprimer à ma façon, grâce à la musique.
Pourquoi chantes-tu davantage sur ce projet ?
C’est ce que je préfère faire. Mais ça n’a aucun sens de parler de ces sentiments sur un gros banger. Alors que c’est dans la mélodie que je peux m’ouvrir et raconter des trucs. Le fait d’avoir bossé avec de très bonnes personnes (comme PH) m’a vraiment aidé.
Ton manager a-t-il eu une quelconque importance dans cette nouvelle direction artistique ?
Non, pas du tout. Ça vient de moi, et ça a toujours fait partie de moi. Personne m’a dit « t’as fait beaucoup de trap, fais plus de mélodies ». La mélodie a toujours été plus importante : depuis que je suis petit, je suis un mélodiste.
Tu as eu des inspirations différentes par rapport à Réel ?
Pour Réel j’ai eu beaucoup d’inspirations parce que je me cherchais encore, j’expérimentais. Pour Irréel j’avais déjà trouvé ma touche et je savais où aller. Je n’avais pas envie que ça ressemble à d’autres artistes, par contre pour Réel c’était le cas, on ressentait mes inspirations (Travis Scott…). Maintenant j’ai trouvé ma couleur.
Parmi les featurings, il y a deux Français (Chanceko, Squidji) : est-ce représentatif du fait que tu sois très souvent à Paris ?
Oui. Je me suis connecté avec eux grâce à Pastel -plein d’amour sur lui-, qui m’avait déjà connecté avec des rookies parisiens. Quand on a fait le son avec Chanceko, ce n’était pas pour le projet, on s’est juste vu et on a fait un morceau. Le son était trop chaud, il fallait le mettre dans le projet. Ça s’est vraiment fait instinctivement.
Vous faites preuve d’une alchimie remarquable lors de la collaboration avec Frenetik, vous entremêlez vos couplets…
C’est grâce à Fréno ! Il ne voulait pas qu’on fasse un feat où chacun pose sa partie et c’est tout. Il préfère quand ce sont des passes-passes, ce genre de choses. Il n’aime pas qu’il y ait des blocs distincts, comme si chacun était de son côté, alors qu’on a créé ensemble et qu’il y a eu une fusion.
Comment es-tu parvenu à équilibrer les ambiances (opposées mais complémentaires) à travers la tracklist ?
On a changé l’ordre du projet 15 fois ! Au début c’était 1000 en premier son, mais ça faisait peur aux gens ! (rires)
Pourquoi avoir débuté avec « Mauvais » ?
Il fallait que je commence avec ce titre pour ne pas perdre les gens, et du coup les deux projets s’enchaînent parfaitement.
C’est une volonté de mélanger les thèmes ?
On ne voulait pas que le projet soit chiant, que les gens s’ennuient. Je voulais qu’à chaque son les gens ne sachent pas ce que j’allais raconter, pour que ce soit imprévisible.
Tu varies et tu t’ouvres à de nouvelles choses (production, flow, lyrics…), sauf pour la vidéo. Qu’est-ce qui te pousse à garder cette connexion avec le réalisateur Johann Dorlipo ?
Je vais m’ouvrir un peu plus. Déjà pour Mastodonte, je vais travailler avec un autre réalisateur. Je ne sais pas où on va le clipper, mais on va le clipper ! Les 8 ou 9 clips que Johann Dorlipo a réalisés pour moi étaient sombres, et là je veux travailler avec d’autres personnes, pour apporter plus de couleurs.
Avoir des titres dont le sens est opposé à ce que tu racontes est voulu ? Par exemple, dans Rooftop tu parles des choses qui se passent dans la rue, Noche est un son mélancolique avec des percussions solaires, dans Champagne, tu retires tout aspect luxueux et festif du produit…
Ce n’est pas fait exprès, mais je le ressortirai en interview ! Vous êtes chauds les gars (rires) !
Cet entretien a été mené en la compagnie de Breandan Guillot-Noël