INTERVIEW

[Interview] Achim : un Marseillais qui sort des sentiers battus

Depuis l’émergence de Jul et ses descendants, ces dernières années, le rap marseillais est fortement connoté festif et dansant dans l’imaginaire collectif. Pourtant, la cité phocéenne regorge de rappeurs hétéroclites. Parmi eux, Achim, jeune artiste de la Castellane, se démarque par sa polyvalence. Capable de poser sur plusieurs types de production, il allie implacablement musicalité et textes sensés.

Entre 2020 et 2022, il sort quatre EP : R, G, P, V. Il se fait surtout connaître avec ses « Gamberges du soir », une série de douze freestyles, qu’il présente au public durant la première année du covid. Afin d’en savoir davantage sur son parcours, ses influences et sa vision de la vie et de la musique, nous l’avons rencontré, chez lui, à Marseille.

Ton origine sociale conditionne forcément ce que tu racontes dans ta musique. Peux-tu parler de là où tu as grandi et de tes conditions de vie ?

Je viens de la Castellane des quartiers nord de Marseille. Je suis l’aîné et dans les familles africaines, on te donne vite des responsabilités. On essayait de faire en sorte que tout aille bien et on se contentait toujours de ce qu’on avait. Mes sœurs avaient moins de recul que moi donc j’ai toujours préféré qu’elles aient les meilleures choses possibles, quitte à être celui qui faisait le plus d’efforts. 

À quel moment as-tu commencé à faire de la musique ?

J’ai commencé à l’âge de 15 ans, avec des amis, avec les ordinateurs que le collège nous fournissait. On a diggé et on a trouvé les premiers fruity loops crackés. Petit à petit, on s’est professionnalisés. J’étais d’abord en groupe (Reckone), puis je suis parti en solo. J’ai eu des pauses et là ça fait deux ans que je suis aux côtés d’une structure solide avec laquelle on se développe.  

« Au départ, j’écoutais plus du rap US parce que je trouvais que le rap français ne groovait pas assez »

Quelles ont été tes influences ? 

Je traînais avec des grands du quartier donc j’ai toujours été un peu plus mature que les gens de mon âge. J’aimais des trucs qui n’étaient pas forcément de ma génération comme Busta Rhymes, Genesis… Ensuite, je me suis pris Kendrick Lamar et Drake, entre autres, pendant mes années lycée.

Au départ, j’écoutais plus du rap US parce que je trouvais que le rap français ne groovait pas assez. J’aimais bien écouter des morceaux où je n’étais pas forcément obligé d’écouter les paroles, même si ça reste important. Busta, je le cite tout le temps dans mes références parce que c’est vraiment le bon mix entre la technique et l’entertainment. Je me suis aussi pris la vibe française comme Ninho, à ses débuts, les gars des rap contenders, et toute la génération post 2015 qui a fait que le rap est ce qu’il est aujourd’hui : plus mainstream.

Aujourd’hui, qu’est-ce que tu écoutes ?

J’écoute beaucoup La Fève et Freeze Corleone par exemple. J’essaye de me tenir au courant de tout ce qui se fait. Je ne suis pas quelqu’un qui écoute plusieurs fois le même album. Par contre, j’écoute les albums pour de vrai et je pense qu’on n’est plus beaucoup à le faire. C’est important pour vraiment savoir ce que l’artiste a voulu nous proposer. 

« Je ne suis pas là pour représenter les rappeurs conscients »

Comment définirais-tu ta propre musique ?

J’accorde beaucoup d’importance au texte mais la musicalité est très importante aussi. C’est compliqué pour un artiste comme moi. Quand on est un artiste niché, c’est un peu antinomique de faire du rap à texte et en même temps de la mélodie. Je ne suis pas là pour représenter les rappeurs conscients. Je suis là pour faire une musique que j’aime bien et que les gens vont trouver bonne.

C’est difficile parce qu’on veut te mettre dans une case tout le temps. Surtout au début. On veut t’identifier, que tu fasses ta série de freestyles… Les Gamberges fonctionnaient bien mais je les ai arrêtées parce que je ne voulais pas qu’on m’associe uniquement à ça. Il y avait des gens dans la rue qui m’appelaient « Gamberge ». Ce n’était pas le but. Je réfléchis vraiment en œuvre globale. Si je me retourne sur ce que je fais, je veux en être satisfait. 

Le prochain son que je vais faire, il y a des gens qui ne seront pas okay avec. C’est de la 2step, j’aime beaucoup. Ça fait six ou sept mois que j’essaye de la travailler. Quand ça sortira, des gens diront que ce n’est pas le Achim habituel. Non, ce n’est juste pas un Achim que je vous ai montré.   

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Photo : Lemzo

Tu abordes régulièrement des sujets politiques et sociétaux. On sent que c’est quelque chose d’important pour toi. Est-ce que tu as vocation à faire passer un message politique dans ta musique ?

Je n’ai pas vocation à apporter un message politique mais je suis moi-même. Quand j’ai un avis sur quelque chose, je le dis dans ma musique. C’est des choses dont je parle uniquement avec mes proches mais quand j’écris, je suis avec moi-même donc mon avis politique transparaît. Les GDS ce sont des morceaux particuliers, des freestyles que l’on sortait à chaud. Donc il fallait que ça match avec l’actualité, d’où le fait que j’ai repris le discours de Macron dans la première Gamberge. Je voulais vraiment que ça retrace toute une année, la première du Covid. Si les gens les écoutent dans cinq ans, je voulais qu’ils aient le contexte. 

« Des personnes pensent détenir le monopole du bon goût, quand ils veulent critiquer quelque chose, ils disent ‘rap marseillais’ »

La scène marseillaise est actuellement plutôt connotée « rap festif ». Comment te positionnes-tu sur cette scène ? Quel regard portes-tu sur elle ?

C’est compliqué parce qu’aujourd’hui, il y a un côté péjoratif dans les mots “rap marseillais”. Des personnes pensent détenir le monopole du bon goût, quand ils veulent critiquer quelque chose, ils disent « rap marseillais ». Ça met tous les Marseillais dans le même panier et je trouve ça injuste. Parce qu’il y en a plein qui ne font pas cette musique là, dont moi.

Je pense que c’est plus un avantage pour moi de venir de Marseille sachant qu’il y a un énorme vivier ici, même si on ne me prend jamais pour un Marseillais alors que je le revendique dans ma musique. On me fait des réflexions comme « Ah tu fais pas comme les Marseillais ! ». Je ne peux pas me positionner parce que si demain j’ai envie de faire un son comme ça, je ne pourrais pas car on dira de moi que je me renie. Alors que ce n’est pas le cas, ce n’est pas une musique qui me parle, mais si demain j’arrive à trouver un format rythmé qui me plaît, je le ferais.

D’ailleurs, Marseille est très prolifique en termes de rap depuis les années 90. Qu’est-ce qu’il y a de particulier dans cette ville selon toi ?

C’est une grande ville où il y a beaucoup de pauvreté et le rap vient de la précarité. Si un mec a grandi en cité à Nancy, il n’aura pas la même vie qu’un mec qui vient de cité à Marseille. Pour nous, c’est une vie de zone pavillonnaire marseillaise. Sa cité, on la voit cool. Et comme il y a un fort vivier de rappeurs à Marseille, les gens se diversifient un peu plus.

Ici dans tous les coins de rue, il y a des mecs qui rappent. On se croirait à New York. C’est dans l’ADN de la ville. Il y a des petits de 10 ans qui vont se clasher en rappant. Ici, il faut avoir des couilles pour rapper, parce que le public marseillais est très dur. Si t’es nul, on va te le dire. Quand tu vas dans d’autres villes, un rappeur local qui fait un clip, c’est un événement. Alors qu’à Marseille, tu peux vite te retrouver tout seul dans ton quartier à faire un clip.

As-tu le sentiment d’avoir été laissé de côté lors des derniers projets collaboratifs de rap marseillais ? 

Je n’ai pas été laissé de côté. Les connexions que Jul a fait émerger, c’est un peu une Madeleine de Proust. Il y avait beaucoup d’anciens rappeurs que lui avait aimés, comme Puissance Nord, Kalash l’Afro… Des mecs qui tenaient le pavé ici à Marseille et qui n’avaient pas forcément d’actualité. Il y a aussi beaucoup de potes à lui. Moi je ne suis pas en contact avec. En plus de ça, je ne suis pas assez connu à Marseille pour que je puisse être dans la mixtape donc à aucun moment, je me suis senti oublié. 

Tu fais très peu de collaborations. Pourquoi ?

Le seul feat que j’ai, c’était un concours que j’avais fait sur mes réseaux sociaux pour que quelqu’un fasse le deuxième couplet d’un de mes titres. C’est Ney qui a gagné. Sinon, je n’ai pas encore fait de collaborations parce que c’est compliqué de trouver des feats intéressants. Je suis arrivé à un niveau où je ne suis pas assez connu pour faire des feats avec des mecs renommés, mais j’ai quand même une base… Donc c’est compliqué de faire des collaborations avec des artistes qui sont dans un développement un peu moins avancé que le mien. Je suis exigeant mais ça va dans les deux sens. On a déjà refusé des demandes de feats que j’avais faites et c’est le jeu. Aujourd’hui, chacun regarde son intérêt, sa carrière.

« Je dirais qu’en ce moment, on est à l’adolescence de l’humanité »

Tu portes un regard critique sur la société et la génération d’aujourd’hui, notamment sur l’usage des réseaux sociaux. Qu’est-ce que tu penses de cette époque ?

C’est mitigé. C’est une époque de toutes les possibilités. Les gens n’ont jamais été aussi libres qu’aujourd’hui. Que ce soit les femmes, les homosexuels, etc. Et en même temps c’est une époque d’intolérance crasse. C’est incroyable. J’ai l’impression qu’il y a une police de tout. C’est compliqué de naviguer autour de tout ça. Je ne peux pas dire que je me sente à l’aise dans cette époque. Mais en même temps, je préfère être là qu’à une autre époque où c’était bien moins fun pour les noirs, et les autres minorités.

L’histoire c’est quelque chose qui va très lentement. On est dans un moment de transition. Peut-être qu’on ne le vivra pas de notre vivant mais je pense qu’on va arriver à un truc à peu près cool. Je dirais qu’en ce moment on est à l’adolescence de l’humanité. On fait un peu n’importe quoi, on expérimente et peut-être qu’avec la sagesse, et des drames, parce que ça fait partie de l’histoire, on va se rendre compte de ce qu’il faut faire et ne pas faire. On est à une époque où on possède tout rapidement mais l’histoire ne peut pas aller aussi vite.

Tu es optimiste pour l’avenir ? 

J’ai une vision optimiste mais je ne sais pas si nous on le vivra. Et le problème des gens c’est qu’ils veulent le vivre tout de suite. Tu ne peux pas faire bouger les mentalités d’un continent en entier. Par exemple, en ce moment, en Afrique, il y a un anachronisme par rapport à l’Europe. Il y a 60 ans on était encore colonisés.

Aujourd’hui, on est indépendants mais on a encore besoin de l’Europe pour plein de choses. On est dans une espèce de dualité où t’as un cousin du bled qui n’a peut-être pas l’eau courante mais qui veut un iPhone. On est dans cette ambiance là. Je pense qu’un jour, il y aura un gars en Afrique qui va leur dire, venez les gars d’abord on met l’électricité, l’eau courante et après on se prend des iPhone. Et des gens penseront qu’il a raison. Mais là aujourd’hui, on ne peut pas les raisonner. Parce qu’ils sont dans un truc où ils se disent qu’ils ont envie d’être comme nous en Europe. 

« Il y a des mecs qui vont te dire ‘ça c’est du rap de iencli’. Mais celui qui écoute ça, c’est parce que ça le touche. En disant ça, tu remets en cause sa personne. »

Il y a un antagonisme assez fort entre le regard critique que tu portes sur notre époque et tes clips dans lesquels tu utilises énormément d’éléments de la pop culture. Pourquoi avoir choisi de mettre ça en avant ?

C’est d’abord une question de moyens. Tu vas sur YouTube et tu prends les images que tu veux. Quand j’écris, j’ai souvent l’image devant mes yeux. Dès que j’ai une idée, je la communique à Alex, le réalisateur de tous mes clips. Et aujourd’hui, tu ne peux pas toucher les gens sans toucher quelque chose chez eux qui leur est familier. C’est aussi pour ça que le rap, aujourd’hui, domine autant.

C’est la meilleure musique du monde car c’est très fédérateur. Elle peut correspondre à tout le monde, même le mec qui déteste le plus le rap. T’es chef d’entreprise, si demain je te fais un son sur l’URSSAF, tu vas être trop content parce que tu vas comprendre toutes les réf. C’est juste que là, on rap un truc qui ne te touche pas. Il y a des mecs qui vont te dire « ça c’est du rap de iencli ». Mais le mec qui écoute ça, c’est parce que ça le touche. En disant ça, tu remets en cause sa personne. 

Peux-tu expliquer ta manière de travailler ?

Il y a une part de hasard et une part de réflexion. Je ne suis pas un mec qui écrit vite. Il peut se passer trois semaines le temps que j’écrive un texte. Je vais essayer que la rime soit cool et qu’en même temps ce ne soit pas le lyriciste qui est en train de te montrer qu’il sait écrire. C’est chiant pour tout le monde.

Certains rappeurs font des arabesques de fou avec leurs rimes. C’est super cool et j’essaye de le faire de temps en temps, mais d’un autre côté je trouve ça excluant. Il y a des personnes que ça n’intéresse pas. Je veux que ma musique reste accessible. C’est pareil pour mes compos, j’essaye de trouver une boucle qui touche. Je travaille avec très peu de producteurs, le plus souvent avec mes cousins ou amis d’enfance. C’est vraiment quelque chose de familial. Mais j’écoute quand même toutes les instrus que je reçois.

« Ce que j’aime bien aussi dans le rap, c’est l’évolution des carrières et la stratégie »

Quelles sont tes ambitions artistiques ?

Je ne me vois pas faire du rap toute ma vie. Non pas parce que je n’aime pas ça mais parce que ça prend du temps. Ça suppose beaucoup de sacrifices, notamment familiaux. Si demain, ça devait ne pas décoller pour nous je ne pense pas que je continuerais.

Ce que j’aime bien aussi dans le rap, c’est l’évolution des carrières et la stratégie. Ça me passionne plus que le rap en lui-même. Aujourd’hui, il y a beaucoup de rappeurs mais il y en a très peu qui proposent des choses qui sortent du lot. Quand tu sors trop du lot, on te voit comme quelqu’un de perché et personne ne va s’intéresser à toi à part cent types qui vont dire que t’es un génie. Même si aujourd’hui, c’est vrai qu’il y a des mecs comme Freeze ou La Fève qui font une musique pointue qui marche. Mais il faut dire la vérité, c’est un miracle. Je ne dis pas qu’il y a 20 000 Freeze Corleone mais je pense, quand même, qu’il y en a beaucoup et que c’est le seul qui a percé. 

Est-ce que tu tiens à rester indépendant dans cette industrie ? 

Je veux juste pouvoir travailler correctement, de la manière dont j’ai envie. Si c’est l’indépendance qui me permet ça, je le ferais. Mais c’est dur d’être seuls. Si des gens veulent nous accompagner, qu’ils ont un beau projet pour nous et qu’on a quand même la main sur ce qu’on fait, on ira. J’ai eu des contacts avec des maisons de disques mais ça ne s’est pas fait parce qu’on ne s’est pas bien entendu. C’est compliqué de faire ce que tu veux quand t’es en label.

Quelles sont tes actualités ?

Mon dernier morceau “Vincent Cassel” est sorti le 10 juin. Et à la fin de l’année, il y aura sûrement un beau projet. Un EP, entre 8 et 10 titres, mais pas encore d’album.