INTERVIEW

[Interview] Benjamin Epps & Le Chroniqueur Sale, le fond et la forme

En 1996, Gérard Oury sort le film « Fantôme avec Chauffeur ». Vingt-cinq ans plus tard, il va servir de titre à un EP commun. Benjamin Epps est un enfant issu du rap. Il a été rejoint sur sa route par un aîné, Le Chroniqueur Sale, pour continuer d’attirer l’attention sur lui. Depuis la sortie de son premier projet, le milieu rap s’en donne à cœur joie, sur les aspirations du rappeur. Entretien avec les protagonistes d’un rap pragmatique.

Est-ce que vous pouvez présenter vos parcours respectifs ?

Le Chroniqueur Sale : J’ai commencé la production il y a maintenant 20 ans et j’en ai 38 aujourd’hui. J’ai fait du rap, j’ai produit pour pas mal de gros artistes dans le rap français old school, puis j’ai arrêté totalement, vie de famille et vie professionnelle oblige. Puis j’en ai eu marre d’entendre trop de gens parler de rap sur Internet pour dire que de la merde : on entendait jamais le discours qu’on tenait entre potes. Nous, on était d’accord sur tout mais notre discours on l’entendait ni dans la presse écrite, ni sur YouTube, où pas mal de gens avaient découvert le rap avec Nekfeu.

J’ai commencé avec un masque, sans prétention, presque pour rire, et au fur et à mesure, les gens ont adhéré au discours de la chaine. Je recevais même des messages de rappeurs ou d’autres youtubeurs qui trouvaient que la chaine apportait un vent de fraicheur et d’irrévérence. Quand je suis arrivé à 40.000 abonnés, je me suis dit que j’allais en profiter pour refaire du son. Du coup j’ai ressorti les machines et j’ai remis ma casquette de beatmaker. Être youtubeur n’a jamais été une fin en soi pour moi. J’ai sorti mon projet SALE #1 il y a 2 ans (avec Limsa, Alkpote…) qui a été bien reçu. Et quand j’ai écouté Benjamin Epps je me suis dit « il faut qu’on fasse du son ensemble ». J’avais trouvé le gars, la direction et le flow que je voulais et que je n’avais plus entendu depuis des années.

Benjamin Epps : Benjamin Epps, né le 9 avril 1996 à Libreville. Né et grandi à Libreville. Je suis arrivé dans la musique par mon grand frère, qui a vécu en France dans les années 90 et qui m’a fait découvrir La Cliqua, Secteur Ä, X Men… C’est comme ça que j’ai découvert le hip-hop et je pense que cela s’entend dans mon son. J’ai commencé le rap en faisant des freestyles radio à Libreville, et en clashant des MCs sous le blase Kesstate. Début 2010 j’ai commencé à m’éloigner de cette image de clasheur parce que ça m’éloignait de pas mal de choses. J’ai monté un duo avec Syanur en 2012 et après je suis allé à Johannesburg. En tant qu’auditeur de rap US, ne pas comprendre totalement l’anglais était un frein. Comprendre ce qu’un Nas ou un Jay-Z disait était vital pour moi, d’où cette envie d’aller en Afrique du Sud. J’y ai vécu 2 ans puis je suis arrivé en France.

2 ans avant de sortir le Futur (sorti en décembre 2020, ndlr) j’ai changé de blase. Benjamin c’est parce que je suis le dernier de ma fratrie. A la base j’avais choisi Benjamin Franklin. Puis j’ai commencé à rapper, essayer plein de trucs. Et je me suis rendu compte que quand tu tapais Benjamin Franklin sur YouTube tu tombais sur le politicien. Ça m’a saoulé [rires]. Le Epps c’est pour mon nom de famille abrégé. J’ai commencé avec quelques freestyles Instagram, qui ont été bien reçus. Puis j’ai lancé l’EP Le Futur. Entre temps la connexion avec Le Chroniqueur Sale s’était faite.

Comment s’est faite la connexion ?

LCS : J’avais écouté ce qu’il faisait avant Le Futur, où il se testait sur des faces B. Dès que j’ai écouté ça je me suis dit “il a capté l’essence de ce style”. On était loin du boom bap réchauffé. Là il y avait du boom bap arrogant, agressif, avec des punchs. Même si c’est mon bagage premier, aujourd’hui le boom bap me fait chier, je n’en écoute plus du tout. Et quand c’est le cas, c’est du Dany Dan, ATK ou Biggie. Le néo boom bap ne m’avait pas emballé en France, trop gentillet. Dès que j’ai écouté je me suis dit : il a capté l’essence du rap cainri. Le problème c’est que ceux qui importent le boom bap ici font du boom bap français.

L’idée d’un EP commun est venue instinctivement ?

[ils répondent ensemble] : Oui.

LCS : Une fois que je lui ai envoyé une proposition de prod, on a vite compris que ça allait marcher entre nous.

On a l’impression que l’arrogance est assez mal perçue dans le rap français, beaucoup de gens ont mal pris ta line où tu disais que tu étais venu « prendre les Nekfeu, les Alpha, les Sneazzy »…

LCS : Ça s’est perdu. Tout est devenu tellement lisse dans le rap que les gens prennent ça pour de l’arrogance malsaine alors que c’est de l’arrogance saine. Y a aussi beaucoup de gens qui ont compris mais ils vont faire moins de boucan. Le message c’est “les gars j’ai envie de vous passer devant parce que vous êtes trop chauds” en fait. C’est du respect et ça a toujours été l’esprit hip-hop, c’est de la compétition rap.

BE : C’était l’idée. Choquer tout en restant à ma place. Je viens prendre. Ça veut dire que je reconnais que des gars sont à un certain niveau et qu’il y a du travail à faire. Moi je suis là pour ça. Je considère que le hip-hop est un sport de compétition. Le rap pour être lisse, c’est pas la peine. Quand Nekfeu sort les Etoiles Vagabondes, ça me renvoie au studio. Je me dis qu’il faut que je fasse mieux. C’est ce qui me forge et c’est sur ces bases là que je sors Le Futur, c’est parce que UMLA est un succès commercial et un succès d’estime, donc il faut venir avec quelque chose de consistant. Mais ce n’était que du love en vrai, c’était un s/o.

C’est comme la phase sur Booba (sur le morceau Notorious, ndlr). J’ai toujours considéré Booba comme un top MC. Il peut faire 10 ans sans sortir d’album, tout le monde attendra son retour car il a mis la barre très haute.

LCS : Et surtout, ça veut dire que c’est seulement quand il n’est plus là que tu peux prendre le trône, c’est au contraire super respectueux. Si le trône est vacant, ça veut dire que c’est lui qui l’avait.

Comment s’est déroulé la collaboration sur le projet ?

LCS : L’avantage c’est que je suis serein quand je reçois les pistes. Je sais d’avance qu’il va faire le taf et qu’il va froisser mes prods. L’inconvénient c’est qu’il va pas forcément choisir les prods que moi j’aurais choisies, mais c’est un classique pour tous les beatmakers. On a forcément une prod préférée qui n’est pas prise. Mais je n’ai jamais été déçu par la manière dont il a rappé sur les prods.

On a fait le mix tout seuls. Au début on souhaitait déléguer et puis on a pas forcément été satisfaits du résultat, qui dénaturait les prods. Ça faisait trop moderne alors qu’on souhaitait garder un esprit authentique, quitte à perdre en standard des prods actuels. Mais au moins ça sonne comme on voulait que ça sonne.

BE : Vu que le Chroniqueur Sale vit la nuit et dort la journée, c’était parfois assez compliqué [rires]. Il se pouvait que je lui envoie une inspi à 7h du mat et qu’il me réponde tard le soir par exemple [rires]. Mais dès le premier jour on a matché. La principale frustration c’était le confinement. On a enregistré entre décembre 2020 et mars 2021. On a fait ¾ de l’EP à distance et ça a un peu compliqué les choses.

LCS : Quand on s’est capté chez moi, dans mon studio, on a vite capté que ça aurait pu aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. On est parfaitement satisfait du projet mais la distance a compliqué les choses.

© Fifou

Comment s’est fait le choix de la cover ?

LCS : Dans l’esthétique, le noir et blanc, le grain, c’est un clin d’oeil au passé, c’est poussiéreux mais ça a de l’âme. Il y a aussi le fait de transporter le cadavre du rap, métaphorique et toujours dans l’arrogance.

BE : J’ai proposé le titre et on l’a choisi tous les deux. L’univers du Chroniqueur Sale est assez mystérieux, fantomatique, avec fond noir et voix assez grave. C’est une collab et on est sensiblement de la même génération, on a les mêmes références en termes de films. Fantôme avec Chauffeur est le titre d’un film qui m’avait matrixé dans ma jeunesse. Il est sorti en 1996. Avec chauffeur, pour moi c’était l’idée de la voiture et de quelqu’un qui drive le fantôme, c’était l’idée que je voulais donner. Quand on a fait la pochette avec Fifou, on partait pas forcément sur du noir et blanc, mais le choix a fini par s’imposer naturellement.

Quel a été ton processus d’écriture sur l’EP : tu attendais une production du Chroniqueur Sale ou tu avais déjà tes textes préparés à l’avance ?

BE : Je travaille tous les jours. Par exemple, avant de venir, je me suis fait 4/5 schémas de rimes dans la tête. Si tu me proposes un featuring, j’ai de la matière, je ne pars pas de zéro. Ce n’est pas que j’écris dans la tête, mais tout le temps. Pour l’EP, on n’a pas choisi de thème, ne s’est pas dit qu’on va rapper sur les mamans abandonnés, les enfants au Congo. On s’est dit, hé mon sale, je t’ai envoyé une prod, check-la, dis moi comment tu la trouves et deux heures après, je lui renvoie le morceau. Il y en a un qui n’est pas sur le projet.

LCS : On a bouclé huit titres, on aurait pu en faire plus, mais par rapport au délai, on en a gardé sept.

Pourquoi vous ne l’avez pas gardé et il portait sur quoi ?

BE : Parce que le morceau n’était pas en phase avec le projet. Ça dénotait, c’était un storytelling, autre chose que l’arrogance.

LCS : Qui correspond plus à l’étape d’après.

Dans l’EP, il y a aussi un morceau qui est autre chose que de l’arrogance, c’est « Dieu bénisse les enfants ». Qu’est-ce qui t’a donné envie de sortir de l’egotrip ?

BE : Je ne pense pas être sorti de ce que j’avais l’habitude de faire, mais plutôt être allé dans quelque chose de commun, sans en faire trop. Comme l’egotrip prend de la place, on a l’impression qu’il n’y a que ça. Ce qui n’est pas faux, mais j’ai déjà fais un morceau comme ça avant. Les enfants, c’est quelque chose qui me tient à cœur. J’adorerais redevenir un enfant. Je trouve qu’il y a quelque chose que j’ai loupé. Quand je les vois, j’ai envie de leur dire, allez-y, jouez, vivez ! Parce que c’est court.

J’ai toujours voulu être un grand et pas assez profité. Mes grands frères mettaient des baggys, allaient en concert, moi, je restais à la maison avec maman. Ah non, toi, on ne veut pas que tu rappes, parce que moi, c’était le football, je comptais devenir footballeur. Je voulais faire comme mes grands frères, traîner au quartier, fumer, rapper, clasher des mc’s, etc. Je mentais toujours sur mon âge. Quand j’avais dix ans, je disais que j’avais quatorze ans. Je voulais paraître plus grand.

Quand je regarde les enfants, j’ai envie de leur dire qu’il y a plein de choses à voir dehors, il y a le monde à découvrir et il est à eux. Je trouve qu’ils sont dans une position assez particulière.

LCS : Ils grandissent trop vite.

BE : Le monde est en train de se généraliser. Il y a beaucoup de familles monoparentales. Les enfants vivent seuls. Quand ils sont chez le père, souvent, il s’en occupe, mais fait un peu sa vie. Donc tu as l’enfant seul devant la télé, il a un téléphone ou une tablette. Pareil quand il est chez la mère. Sans vouloir critiquer quoi que ce soit, pour beaucoup de gamins, cette situation n’est pas favorable à un bon développement. C’est tout ça qui m’a touché, les histoires de racisme, etc. Il y a plein de choses qui me frustrent en ce qui concerne les enfants.

Quand j’ai envoyé ce morceau au Chroniqueur Sale, je voulais le jeter en vérité, mais il m’a dit…

LCS : Faut qu’on le mette, on le retravaille car c’est le seul morceau qui existait avant. Ce qui m’avait touché sur ce morceau, c’est la partie responsabilité. Il y a beaucoup plus de choses dont on doit les protéger aujourd’hui qu’avant. Cet aspect-là dans son texte m’a parlé. Ça appartient aux parents de les protéger, parce que la société ne le fera pas.

Moi qui ai deux gosses, ça m’a touché direct. J’ai dit franchement, c’est bien écrit. En général, les deux pieds dans le plat, les thèmes précis, ça m’emmerde. C’était intelligent et quand t’es parent, ça te touche encore plus.

Parlez nous de la production de ce morceau.

LCS : Il y a avait déjà une base, on a gardé le même sample et travaillé autour.

BE : C’est un sample de Lee Masson, un grand compositeur contemporain. Il l’a sorti au début des 60-70’s. Tu ne le trouveras pas sur les plateformes, car c’est de la musique composée pour les films et destinée à la licence. J’ai adoré le sample, je l’ai écouté une semaine avant de le découper, parce qu’il me parlait. C’est moi qui ai fait la première version du morceau. Quand je l’ai envoyé à Chroniqueur, je me disais qu’il allait le modifier.

LCS : C’était parfait ! Le morceau, je le kiffais. Il s’agissait juste de changer la rythmique, rajouter une basse un peu plus lourde, un piano, une atmosphère puis ça roulait, mais c’était quasiment fini.

BE : Je suis un grand fan de tout ce qui est Jazz, Funk, Soul, etc. En termes de vinyles, je n’en ai pas beaucoup, mais dévore les playlists sur les plateformes. J’ai un abonnement chez Tidal, mais le sample, je l’ai découvert sur YouTube.

© Fifou

Les sonorités de l’EP sont très jazzy. Quelles sont tes influences ? On sent pas mal de Large Professor.

LCS : Large Pro bien sûr ! En tout cas, quand je m’évertue à produire dans ce style-là : Pete Rock, Q-Tip, DJ Premier, tout ce délire-là. C’est mon premier kif rapologique au-delà de ce que je me suis pris en étant petit : Kris Kross, Mc Solaar, même jusqu’aux Fugees, Wu-Tang, car tout le monde écoutait ça chez moi. Là où j’ai vraiment pris une baffe, c’est Premier et Pete Rock. Maintenant, j’en suis revenu, car on est en 2021, mais ça fait parti de mon bagage premier. Si on me dit de produire boom bap – old school, ça sonnera comme ces mecs-là. Alchemist quand il produisait pour tout le Queensbridge, Marco Polo, 9th Wonder. Tous les mecs qui ont continué à tirer ce fil-là jusqu’à même Jay Dee. Il a emmené le truc beaucoup plus loin, mais il restait dans le sample Jazz/Soul, une rythmique qui groove. Ce n’est pas étonnant que ça se retrouve dans ce que je fais. Aujourd’hui j’écoute très peu de rap, que de la soul.

Il y a moins de sample dans les productions françaises, à cause des problèmes de droit…

LCS : Ça c’est un faux problème. T’en as si tu samples comme un gros porc. En laissant tourner ta boucle, si ton sample fait 4 mesures : tu mets tes 4 mesures et rajoutes une rythmique, là ça va être compliqué. Un mec comme Primo, je crois qu’il n’a jamais été emmerdé. Il te sample, une ou deux secondes, fais la même sur un autre truc, sample la fin et te la met au début, charcute tout. C’est indétectable, pour moi le sample, c’est ça.

Ce n’est pas le old school français de 1995 – 2000, où c’était la boucle de piano qui chiale d’un grand compositeur avec le violon. On met une petite rythmique pseudo boom bap et puis vas-y roule et là fallait casquer. Si tu samples à la cainri, c’est que du charcutage. Tu prends un moment d’un cuivre, une seconde de la basse, puis tu la rejoues, etc. T’auras un grain quoi qu’il arrive, vu que c’est sampler à droite, à gauche, mais pas besoin de prendre comme un dégueulasse. Là, pour moi, il n’y a pas de problèmes de droits.

On entend souvent les gens comparer les rappeurs français aux US, en affirmant que les rappeurs FR n’ont rien à leur envier. On entend quasiment jamais la réciproque lorsqu’il s’agit des producteurs. À raison, selon vous ?

LCS : Franchement, on a rien à envier. Au contraire, je trouve que les gros producteurs cainris tournent en rond. Le dernier Drake, tout est super efficace, mais il y a certaines prods qui auraient pu être sur son album d’il y a cinq ans. J’ai l’impression que ça ronronne un peu sur les gros artistes.

En France, je trouve que la palette est de plus en plus large. Même à l’époque où l’on se plaignait (moi le premier), du rap français qui tournait en rond. En gros, les années 2000, des mecs comme 20Syl et Drixxxé avaient tout compris. Le premier, c’était l’un des rares à faire swinger comme J Dilla. Il était au niveau, pas en retard du tout.

Ce n’est pas cinquante mille producteurs, c’est un ou deux. Un mec comme Myth Syzer n’a rien à envier à un cainri. Katrina Squad sont très forts, mais ça sonne typiquement français, ce n’est pas un reproche, au contraire. Quand je dis boom bap français, c’était notre identité. Ils prétendaient produire à la cainri mais c’était à la française, avec des inspirations outre-atlantique, mais on entendait tout de suite que ce n’était pas Primo. Là où Logilo, oui par exemple, je l’écoutais, c’était presque du Premier, mais c’est très rare.

On a notre propre patte. En Suisse, un mec comme Varnish, c’est exceptionnel ! Musicalement, il est trop loin. Côté production, on a plus rien à envier et je pense même qu’on tente parfois plus de choses qu’eux. Ils restent sur leurs acquis. Ce n’est pas pour me déplaire, si c’est Alchemist et qu’il fait swinguer sa prod comme en 2001, je signe. En termes d’innovation, avec la Belgique, on est plus chauds qu’eux.

BE : Je rejoins totalement ce que dit LCS et pense que la Drill a ramené un peu de fraîcheur. Maintenant, c’est un peu plus lourd. Quand tu mets une playlist, t’as l’impression que c’est le même beat.

LCS : Quand ça devient obligatoire, c’est là où ça commence à piquer. Tout le monde se sent obligé de foutre son morceau Drill, mais si c’est pour faire du générique, ça ne sert plus à rien.

BE : Au départ, j’écoutais, j’étais chaud, mais pas pour en faire car ce n’est pas cohérent, avec ce que je propose. C’est dommage que ce soit redondant et qu’il n’y ait pas de variations, que tout soit pareil.

Une production française récente qui t’a frappé ?

BE : Toutes les productions sur l’EP. J’ai beaucoup de respect pour le personnage LCS en tant que chroniqueur et j’ai encore beaucoup plus de respect aujourd’hui, je lui dis tout le temps, ne dors pas sur ton travail, c’est incroyable. Plein de gens m’ont dit qu’ils ne savaient pas qu’il produisait. Tout le monde est convaincu. Ils ont écouté « Goom » et sont comme des oufs ! Je comprends, c’est son personnage, il est humble, mais c’est une bête de producteur.

JeanJass, les médias grands publics ne le savent peut-être pas, car il a la casquette de MC. C’est un très bon producteur, qui produit autant du nouveau son que du boom bap. Benjay qui a produit pour Laylow, Tjay et commence à placer pour les cainris. Il y a aussi Tarik Azzouz. En France, nous sommes bien lotis, faut juste qu’on trouve le bon équilibre.

LCS : Il y a même des niches que l’on ne soupçonne pas. Des mecs comme Pandrezz, ce sont des millions d’auditeurs mensuels sur Spotify. Ce sont des stars, mais on ne calcule pas parce que c’est une niche. Ils ont un niveau de production de malade. Ce qu’ils font est tellement technique et musical, ce n’est pas forcément vers eux qu’un MC va se diriger. Quoiqu’ils sachent produire des trucs plus industriels et calibrés album. Il y a plein de pans en France, où nous sommes ultra chauds.

Dans une vidéo, t’as pourtant été très critique sur la période 2005-2010.

LCS : Ça s’est vraiment réveillé. Je suis toujours très critique sur cette période, car c’est ce qu’on se prenait, qui se vendait et qui était mis en avant. Pour quelqu’un comme moi qui aimait la Soul, le Boom Bap qui groove, le sample, je ne me suis plus retrouvé dans ça. Il y avait plein de mecs comme Melomaniac, Dela… À chaque fois, les gens me disent, t’es un ouf, il y avait pleins de bons trucs. Bien sûr, mais qui les connaissait ?

D’où vient le message à la fin de « Que Dieu bénisse les enfants » ?

BE : C’est une amie, qui est poète à ses heures perdues. Tous ceux qui l’ont écouté en avant-première m’en parlent.

Au niveau de la voix, il y a un rappeur qui revient un peu plus sur Twitter, c’est Westside Gunn.

BE : [Il coupe] Côte Ouest Pistolet ! Je me le suis déjà pris dans la gueule [rires].

Ça fait notamment suite à « Kennedy en 2005 », là où beaucoup de gens t’ont découvert avec la cagoule, etc. Est-ce qu’il faisait parti de tes références ?

BE : Ah carrément ! Sur le moment, je me mangeais Conway, Westside Gunn, etc. C’est vraiment un concours de circonstances, ce clip-là. Quand je fais du sale dans la laverie, ce n’était pas volontaire. Au départ, pas de play-back prévu, je descends de la voiture, vais récupérer le sac du mec que je braque, remonte dans la voiture, et le clip est fini.

Les images étaient tellement pourries, qu’on a été obligé de faire un play-back. Avec l’attitude, les gars se sont dits que j’ai fait du copier-coller, mais pas du tout. En vérité, ça marche comme ça et ça a toujours fonctionné ainsi.

En France, j’ai l’impression qu’on se comporte comme si on avait inventé le rap, mais on n’a rien inventé. À ce moment-là, je me butais à toute la clique, mais pas que. Ce qui a fait la différence, c’est la cagoule et le Hey yo que j’ai mis derrière. Quand je mets la radio, j’entends que les mêmes choses et il n’y a jamais de remarque là-dessus.

LCS : J’ai bataillé pour faire comprendre cela aux gens. Ici, tant que ça reste du mainstream, ils n’ont rien à dire et se disent, c’est normal, car c’est une formule qui marche donc on duplique. Quand c’est plus une niche, c’est une manière de faire le malin, moi, on ne me la fait pas, mais on ne la fait à personne. De toute façon, qu’est-ce qu’il a inventé Westside Gunn ? Dans ce cas-là, c’est de l’Action Bronson et du Ghostface.

BE : Tous les mecs qui sont sortis avant lui.

LCS : C’est une manière de rapper, une école, ces placements-là. Benjamin a aussi la voix aiguë ! Quoi qu’il arrive, c’est une école rapologique dont on s’inspire et kiffe.

Jean Morel disait qu’étymologiquement parlant, innover en latin, ça veut dire refaire. On refait toujours, ne part jamais de rien. Ça arrive, mais souvent c’est claqué. Qui aujourd’hui à la prétention d’arriver en disant que je propose quelque chose d’artistique en partant de zéro ? Sans aucune influence, mais ça n’existe pas, c’est impossible. Proposer, c’est toujours se servir de ce qu’on connaît et ramener sa patte.

BE : Ils font comme si tout l’EP…

LCS : Oui, en plus c’est ridicule. Déjà, il est arrivé avec « Samba les couilles », à quel moment ça fait penser à Griselda ?

BE : Un moment je l’ai compris. Les gens ont besoin de ça. Tout de suite, il y a une forme d’exigence : ah, il est bon, mais

LCS : Surtout que les influences ne sont pas niées. Bien sûr qu’on les kiffe et s’en inspire, comme de Biggie, Ol Kainry, etc. J’avais vu passer une rumeur sur Twitter, mais pourquoi il nie ? À quel moment il a nié ? En plus les gens se matrixent.

BE : Je sais d’où ça vient, j’ai fait une blague une fois, que c’est WG qui rappe comme moi. J’étais sur un live instagram. Les gens pensent que la vie de tous les jours, c’est le rap et l’ont pris comme ça.

LCS : Après s’ils n’ont pas d’humour…

Quel est ton regard sur le rap gabonais ?

BE : Début des 90’s, la proposition est intéressante, il y a dix milles influences US et françaises. C’est comme le foot, aujourd’hui, tout le monde est supporter des gros clubs (Real, Barça, City). À l’époque, tu avais le marocain Naybet, qui jouait au Deportivo, était une star chez lui. Tu avais de grands joueurs qui jouaient dans des petits clubs.

Aujourd’hui, ce sont les All-Star sur la scène gabonaise. Plus les années sont passées, plus ça s’est démocratisé, tu as quatre grosses têtes qui ont émergées : Hayoe, Raaboon, Movaizhaleine (les plus connus à l’étranger) et Kôba Building.

Je trouve que le Gabon s’est un peu plus réapproprié ses sons. Ce qui fait que tout ce qui sort, c’est très afro. Je suis un peu perdu, mais reste fan de ce qui se fait.

Quel est le meilleur morceau du projet ?

BE : Que Dieu bénisse les enfants.

LCS : J’ai leur attention.

À quoi ressemblerait ta chronique de Fantôme avec Chauffeur ?

LCS : Je dirais que ça pue le rap. Il ne s’agit que de ça ! Sur mes dernières chroniques, j’insiste souvent sur le rap et le côté annexe qui depuis des années prend le pas sur l’autre. Là, quand je vous dis de faire attention, que le côté annexe ne prenne pas le dessus sur le côté rap pur. Voici un bon exemple. Il n’y a pas d’annexes, de froufrous, cinéma. Quand je dis ça, ce n’est pas à cause de l’absence d’auto-tune. J’aime le logiciel, qui permet plein de choses.

BE : Moi aussi. J’en ai fait !

LCS : Les gens vont dire, ça y est parce qu’il y a un mec et un micro. Non, c’est parce qu’il n’y a pas de personnage, manière de vendre autrement que de dire, c’est du rap. Un beat, un micro et un mec qui rappe dessus. Fin de l’histoire et j’aimerais qu’on revienne à ça, même si j’aime le reste, mais il en manque.

Propos recueillis le 21 Avril 2021