INTERVIEW

[Interview] sean, la quête du sens dans la fantaisie

Savoir prendre du recul sur son art et sa musique pour pouvoir l’affiner et se rapprocher de son idéal est un point essentiel dans la carrière de tout artiste. C’est tout sauf un cheminement simple puisque beaucoup de questionnements s’entrechoquent. sean s’est fait plus discret en 2021 pour se lancer dans cette nouvelle quête.

L’année précédente, le rappeur originaire du 20e arrondissement de Paris sort ses deux projets À moitié loup et MP3+WAV  coup sur coup. Dualité et libre interprétation forment un mélange créatif sur lequel il serait regrettable de ne pas s’attarder.

Sortie le 15 avril, Restez Prince est une mixtape de 12 titres, dont la musique laisse libre court à l’interprétation. Du concept jusqu’aux différentes musicalités présentes sur le projet, sean offre une dose d’imaginaire ouvrant le champ des possibles de l’auditeur mais avec un fil rouge bien précis : celui de rester simple, humble et de ne jamais oublier de rêver. Toutes les conditions sont réunies pour s’immerger dans un échange couronné de spontanéité et de volonté.

 

Tu as annoncé beaucoup de bonnes nouvelles au mois de mars !

Grave ! En vrai je suis trop content car ça faisait longtemps que j’attendais le moment où je pourrais être sur des rails comme ceux-ci, où je pourrais envoyer continuellement. Ça a pris un peu de temps mais c’est cool. “Restez Prince” est sorti, c’est le premier de plusieurs chapitres donc je suis super content !

Avant ça, il y a eu la série de freestyles “L’Œil du Dog”, assez attendue.

De fou ! À la base, c’était vraiment pour Instagram et finalement je pense qu’on va en faire un projet évolutif qu’on va mettre sur les plateformes et qu’on va faire grandir au fur et à mesure du temps.

Ensuite, La Boule Noire (salle de concert parisienne, ndlr)  : sold out en moins de 10h. Tu t’y attendais ? 

Franchement, non, pas aussi vite. Je savais que je ne prenais pas de risque en faisant une Boule Noire ; c’est une petite jauge et que ça se remplit assez facilement. Mais aussi vite je ne pensais pas. J’avoue qu’on a un peu sous-estimé le bail, mais c’est trop bien ! Dernièrement, je me suis séparé d’un assez gros tourneur avec qui je travaillais vraiment le développement et ça a envoyé un gros signal à tous les autres du métier. J’ai commencé à avoir plein de rendez-vous avec des gars qui veulent me voir parce qu’ils sentent qu’il y a un engouement, qu’il y a quelque chose à faire.

Que signifie “Restez Prince” ?

Ça veut dire plein de trucs. C’est une philosophie de vie qui prône le fait de rester simple, de rester fidèle à ses rêves d’enfant. Ça peut également représenter le fait de rester dans la quête du héros et ne jamais s’asseoir sur le trône. C’est en opposition avec la place du roi qui signifie l’opulence. Dans les contes féériques, le roi est souvent représenté comme un personnage assez gros, proche de la mort. Même s’il a la place la plus importante du royaume souvent tant désirée, il n’a plus ni d’objectif ni de vie en réalité.

Avec “Restez Prince”, on parle de tout le chemin qu’il y a eu avant d’arriver à ça et c’est aussi une manière de pouvoir se fixer de nouveaux objectifs et de pouvoir être en vie tant que je le suis vraiment.

Dans quel état d’esprit étais-tu lors de la conception du projet ?

J’étais dans le même état d’esprit lors de l’écriture des textes que dans la réalisation : l’aventure. Quand j’ai commencé à enregistrer le projet, je ne savais pas que c’était “Restez Prince”. J’avais cette idée-là dans un coin de ma tête comme j’ai l’idée de 2-3 autres concepts auxquels je tiens et qu’un jour je ferai.

“Restez Prince” c’était une idée que je voulais garder pour plus tard. Mais en réfléchissant à l’essence même du projet et en prenant du recul sur ce que j’étais en train de faire, je me suis dit que c’était aujourd’hui qu’il fallait que je le fasse. J’avais en aucun cas envie que ce soit une fin en soi, comme si j’attendais qu’il se passe quelque chose dans ma carrière. Il y a toujours ce truc où tu te dis “vas-y, je le ferai plus tard parce que c’est trop lourd, les gens ne sont pas prêts”. C’est vraiment en prenant du recul, en écoutant que je me suis dit : c’est “Restez Prince” en fait.

Ce recul t’a amené à modifier des choses ?

Ouais, de ouf. À la base, j’avais une palette de presque 20 sons, mais on a décidé de la réduire à 12. Au dernier moment, il y a  un featuring qui n’a pas pu se faire dans l’immédiat. Le sample de “Cité d’or” est le second morceau qu’on a dû enlever de la tracklist : c’est un son qui marche trop bien en concert mais on galère avec les droits.

Du coup j’ai dû refaire deux autres sons et à ce moment-là, j’étais en train de faire la vidéo Coup du Berger. Je me suis dit pourquoi pas commencer l’intro « Coup du Berger » où je parle vraiment du royaume, de la couronne cassée. D’ailleurs, la couronne cassée pour moi c’est vraiment le logo de ce projet-là, même si je ne l’ai pas vraiment mise en avant.

Pourquoi ne pas avoir choisi ce morceau-là pour teaser le projet ?

Je l’ai enregistré y’a un même pas un mois, c’est tout récent. J’ai rencontré des gens incroyables dans le studio dans lequel je travaille depuis septembre (Noble Studio). J’y ai fait Omax et c’est vraiment là où on sent la différence avec MP3+WAV : il y a vraiment une cassure. Je travaille avec de nouvelles personnes qui sont beaucoup plus techniques dans leur façon de créer. “Coup du Berger”, c’est un morceau assez organique, un peu fusion. Ce n’est pas vraiment une prod de rap et c’est ma nouvelle ambition avec ce studio-là : pousser vers l’organique.

Actuellement, on est en train d’organiser le prochain séminaire : l’objectif c’est de ramener les Avengers des compositeurs français, ramener de très bons musiciens et de les faire jouer ensemble. C’est un truc qui ne se fait pas trop en France, du moins très peu, à part sur les gros projets mainstream.

Je me suis rendu compte que j’étais un peu arrivé dans un truc où c’était la fin pour moi, je voyais plus trop où je pouvais pousser davantage dans ce que je faisais, dans la façon de produire. Aujourd’hui, ce qui me permet de me mettre de nouveaux objectifs et de “Restez Prince” c’est de pousser vers l’organique. En réalité, « Coup du Berger » est là pour rappeler que c’est un peu différent et que je vais encore évoluer.

Combien de temps as-tu pris pour réaliser “Restez Prince” ?

En termes de son, le projet m’a pris 3-4 mois où j’allais au studio 2-3 fois par semaine. En termes d’image, on s’est un peu plus creusé la tête parce que c’est un projet que j’ai depuis pas mal de temps.

Quand j’ai commencé à y penser réellement, on était au début du COVID et une fois terminé, on a galéré à trouver la bonne boîte de production ainsi que le bon réalisateur. C’est plus sur l’image où on s’est pris la tête, où on voulait un truc qui confirme la D.A de sean pour se démarquer et proposer notre truc à nous.

“Omax” a été le premier single partagé. Tu savais déjà qu’il allait faire partie de la mixtape ?

“Omax”, dans la forme, c’est un hors-série mais je savais qu’il allait faire partie du projet. Je savais qu’il ferait partie de “Restez Prince” parce que j’avais ce nom-là déjà en tête. Beaucoup de gens m’ont dit que j’avais pris un virage, même en termes de DA mais je ne suis pas trop d’accord avec ça. Ça s’apparente plus à une prise de risque et à un moment où je m’amuse, où je fais quelque chose de léger, comme un freestyle. Quand tu regardes des carrières comme Drake ou même slowthai, à plus petite échelle et de manière plus récente, ce sont des mecs qui se font juste plaisir et qui balancent sans trop réfléchir. Je sais que ce n’est pas mon meilleur clip, mais tu sens l’énergie et la diversité que je peux proposer. En tant qu’auditeur, j’aime bien voir cette palette-là justement chez les artistes.

Tu as la volonté de rassembler toutes tes influences ?

Le but c’est de rapper sur de la vraie musique. Prendre mes influences de ce que j’écoute quand je suis tout seul dans mon lit, quand je suis en ride, quand je suis en after et que je suis foncedé, ou même celles que j’écoutais avec mes parents quand j’étais petit. Je suis très inspiré par les trucs contemporains qui se passent en Espagne comme C.Tangana par exemple ou même des Billie Eilish. Ce sont des artistes qui sont vraiment dans la recherche et qui ont envie d’apporter quelque chose de neuf.

J’ai l’impression que le rap français devient grave générique, et même dans le monde entier. Il y a très peu de gens qui se démarquent et je n’ai pas envie d’être rappeur si c’est pour faire comme les autres. C’est un truc que j’ai toujours eu en tête mais qui, en grandissant et en discutant avec des gens qui viennent d’un autre milieu que moi, s’est confirmé et développé encore davantage. Parce que j’ai commencé avec mes gars, qui ont le même âge que moi et qui ont la même vision. On était un peu bloqués dans notre truc et le fait de rencontrer des gens beaucoup plus vieux que moi, qui ont travaillé avec de grosses pointures aux États-Unis, ça m’a hyper ouvert.

Quelle est la place que tu laisses à l’imaginaire de l’auditeur à travers toutes ces influences ?

J’ai envie qu’ils se l’approprient à leur manière, que chacun se fasse sa propre histoire. C’est pour ça que souvent, je reste très large, tout en étant hyper précis. Je pense que ce sont des trucs qui me parlent mais chaque interprétation est différente.

Tu es très imagé dans tes propos, notamment avec l’aspect en rapport aux métamorphoses. Ressens-tu une dualité entre l’artiste (sean) et l’humain (Elio) ?

Je pense que ça se reflète un peu dans mon parcours ; j’ai été dans la dualité mais pour autant je pense que je suis un artiste un peu caméléon. C’est-à-dire que je peux faire des trucs un peu plus durs ou plus soft. Le but c’était vraiment de me trouver, de prendre le temps de trouver et savoir ce que moi, j’ai envie de faire.

Je n’ai pas de mal à gérer tout ça en réalité parce que je suis prêt et que ce n’est pas comme si ça me tombait dessus. C’est quelque chose dont j’ai eu envie. Là je parle avec toi, j’ai envie de ça aussi, et toutes les démarches que je fais c’est pour que ma musique prenne en visibilité, pas forcément pour me faire comprendre. Après si j’arrive à faire comprendre d’autres choses et à faire passer des messages je le fais direct. Mais je t’avoue que si je pouvais ne pas passer par une attachée de presse et ne pas passer par les canaux traditionnels, je ne le ferais pas.

À long terme, tu aimerais que ta musique parle d’elle-même ?

Tu peux être porteur d’espoir, avoir un message dans ta musique et même dans ta carrière. Je pense à Bob Marley qui porte un message porteur d’amour de fou, mais au final c’est le mythe et la légende “Bob Marley”. Tout le monde sait que c’était un homme avec énormément de travers, qui n’était pas forcément love to love. Finalement, ça crée une légende et je ne sais pas si on peut créer une légende comme ça, vraiment ambitieuse, qui fait rêver. Parce qu’en réalité si je fais ça, c’est pour faire rêver les gens. Quand t’es trop explicite et que tu racontes avec précision tout ce que tu fais, je pense que ça enlève toute la magie. En toute sincérité, je pense que j’ai quelque chose à faire dans le sens où je peux vraiment apporter quelque chose et notamment de l’inspiration à la jeunesse.

Que peux-tu dire de la connexion avec S.Pri Noir ?

Déjà c’est un bête d’humain, qui vient du 20e, comme moi. J’ai eu la chance de le rencontrer par des connexions diverses et variées et on a grave accroché. Avec S.Pri Noir on a eu beaucoup de conversations et c’est un mec qui a énormément d’expérience : il a 10-15 ans de carrière derrière lui, il a trop de trucs à m’apprendre. Quand je suis en train de parler avec lui, j’ai les oreilles grandes ouvertes, j’apprends beaucoup. Même quand on fait de la musique, c’est pareil. Il m’a mis dans une mentale hyper positive, à m’inciter à me poser le moins de questions possibles, même si ce n’est pas tous les jours rose.

Un jour, je lui ai dit que je faisais un projet et je lui ai proposé de venir ; il n’a pas hésité. Le soir même, on a fait ce son (Hey Baby) pour le projet, on a écouté une prod archi R&B que je venais de recevoir. On l’écoute et on est reparti sur un truc R&B toute la soirée alors que toute la journée on avait fait un truc plus reggaeton. Les deux sons sont sortis la même journée (Juicy).

Que représente la cover pour toi ?

On a eu cette idée de gâteau : c’est comme un anniversaire, une fête. À la base je voulais écrire en guirlandes au-dessus de moi “Restez Prince” et être au bout d’une table mais faire un truc un peu sombre. Je devais découper le gâteau en forme de couronne cassée et finalement ça a un peu twisté.

cover sean restez prince

Je travaille avec une excellente photographe et réalisatrice : Léa Simon. Elle a réalisé la cover actuelle et aussi mon prochain clip. C’est un parti pris assez dingue et elle a apporté cette image un peu plus onirique, fantastique. Je lui ai donné les éléments de l’anniversaire, de la couronne cassée et une photo en référence où c’est un peu le même cadrage. Léa a fait un beau fond qui rappelle les œuvres d’un ami qui dessine des ciels : Derrussie. Il a tout le temps la tête tournée vers le ciel et dessine tout le temps ce qu’il y voit. Ses tableaux sont magnifiques, il a trop de goût et mine de rien, ça nous a bien influencés.

Tu as l’air d’être très inspiré par les échanges et les rencontres du quotidien.

De fou, mon quotidien et bon nombre de conversations sont mes sources d’inspiration. Je me souviens d’une conversation avec un gars qui m’a appris ce qu’est le jeu du Tao : un jeu ancestral chinois remis au goût du jour par des Français il y a une dizaine d’années. Ce sont des jeux assez longs pour résoudre des quêtes. Chacun énonce une quête et à la fin du jeu, tout le monde est censé avoir les solutions pour résoudre sa quête personnelle.

C’est ce mec en question qui m’a parlé du conte de fées, qui m’a parlé de plein d’histoires sur ça. Aussi, y’a d’autres conversations avec mes gars sur la direction que je suis en train de prendre, sur la manière dont je choisis de faire les choses. Est-ce que je sors juste plein de clips ou est-ce que j’ai envie de me prendre la tête sur ce que j’ai envie de faire depuis le début ? Reprendre ce qui est l’essence même de sean, quand il était grave innocent et qu’il n’y avait pas d’argent en jeu ? Finalement, j’ai décidé de m’écouter et d’écouter mes gars. Le mieux pour moi aujourd’hui c’est de retourner à ce que je veux réellement faire.

Où en es-tu dans ta quête ?

On est dans l’introduction là, elle est loin d’être terminée. Mais c’est ça : une quête, un conte de fées.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

La santé, l’amour, un peu d’argent quand même et la réussite.