2019 fût important pour TripleGo. En effet, le duo a vécu une année charnière pour leur musique, avec notamment la sortie de leur premier album, Machakil, teasé depuis longue date. Mais tout d’abord, quelle est l’identité de ce duo ? TripleGo est composé du beatmaker Momo Spazz et du rappeur Sanguee, nous venant de Montreuil dans le 93 et d’origine arabe. Il faut savoir que même si Machakil, sorti cette année, est le premier projet réellement estampillé album studio, le duo n’en est pas à son coup d’essai. A ce jour, le duo regroupe huit projets dans leur discographie, débutée par la mixtape Overdose en 2013. Le style musical de ce groupe se veut très cloud, puisqu’en effet il s’agit des premiers artistes à avoir exploité ce style en France, avant même PNL qui sont pourtant de loin les meilleurs dans le domaine. Malgré ce fait, le duo n’est pas très reconnu, n’étant au final connu que de peu de monde dans le public du rap français si ce n’est le plus avisé d’entre lui, le grand public les ignorant malheureusement. A noter que le duo a tout de même collaboré avec Ikaz Boi, un des meilleurs beatmakers français, et figure même sur le projet Brutal. Il était donc temps pour eux de passer une vitesse en 2019, chose faite avec la sortie de pas moins de deux albums. Pour observer leur grosse année, il est donc nécessaire d’analyser leurs deux albums, pour ainsi se rendre compte du cheminement de leur progression dans ce rap game.
Machakil
Le duo a donc sorti son premier album le 7 mars, long de 16 morceaux pour une heure de musique. Et pour ce qui est de l’objectif d’un premier album, la part du contrat est remplie. En effet, l’album est plutôt bon dans son ensemble.
Le groupe y propose une identité sonore très marquée, dans la veine de leur rap cloud. Nous pouvons le voir dès l’intro Tu l’auras, avec une prod très aérienne de Momo Spazz, qui va être sublimée par la performance planante de Sanguee. Musicalement, leur style est déjà posé dès d’entrée, mais ce fait est aussi présent sur l’aspect lyrical. En effet, nous plongeons dans leur univers artistique, tiraillé entre le bien et le mal, à l’image de la phrase « j’ai posé le front sur le tapis, j’pisse de l’euphon mais c’est de la merde » qui montre cette dualité. Celle-ci est représentée à travers l’image de poser le front sur le tapis qui désigne la salat, la prière en islam qui se fait au nombre de cinq par jour représentant l’un des cinq pilliers de la religion, qui s’effectue prosterné sur un tapis de prière, et qui représente ici le bien. Le mal est représenté par le fait d’uriner de l’euphon qui peut devenir une drogue dure à la base de codéine, et dont la consommation est un péché, représentant ici le mal. Et cette dualité est présente sur tout l’album, montrant la volonté de l’auteur de s’élever vers le bien, mais dont ce chemin lui est parsemé de difficultés à travers les tentations du mal.
Musicalement, de très bonnes mélodies y sont exploitées et sortent du commun, comme sur 3an 3an 3an, qui se veut très catchy et relativement frénétique, avec une présence sonore marquée et identitaire de la musique de TripleGo. Et c’est en cette identification musicale que réside l’intérêt de leur art, se démarquant de ce qui se fait dans le rap français. Cet univers musicale est tiré sur plusieurs aspects puisqu’il peut être ancré dans un registre plus mélancolique comme Hasta La Muerte ou Tu l’auras, mais aussi plus rythmé comme sur Panama ou Costa, mais encore dans une atmosphère plus banger comme Trou Noir ou Socios. Et pour chaque style exploité, TripleGo y ajoute sa touche personnelle.
En effet, pour ce qui est des morceaux plus rythmés, contrairement à la plupart des zumbas très caribéennes dans le rap français, ils s’inscrivent plutôt sur des sonorités orientales qu’ils exploitent à merveille puisqu’il s’agit aussi de leurs racines. Pour ce qui est des bangers, pas d’artifices et de gros impacts, mais plutôt une certaine canalisation d’énergie comme sur Trou Noir, faisant ressortir l’agressivité de manière plus calme mais appuyée, de même pour Socios qui se veut lui par contre un peu plus frappant.
Cependant, peut importe le style employé, TripleGo reste tout de même ancré dans l’univers musical qu’ils proposent, garantissant ainsi homogénéité mais à la fois variété à leur album. Et dans une époque où les artistes français peinent à trouver une identité sonore qui les démarquent, le duo puise sa force dans cette originalité pour s’identifier musicalement. C’est un point important pour eux, même si le projet n’est pas exempt de défauts.
En effet, au fil de l’écoute il se sent que leur musique pourrai être plus abouti, avec notamment surtout un mix de meilleure qualité, qui se veut hasardeux quelques fois. Cela va empiéter sur l’aspect global de la musique puisque les éléments des prods vont moins être mis en lumière, certaines mélodies ne pourront pas être exploitées à leur maximum et les perfs peuvent aussi être appauvries en relatant une impression brouillonne des fois sur la voix ou la diction. Des défauts qui ont tout de même une certaine importance et qui privent l’album d’un statut de très bon projet.
Néanmoins malgré ces soucis techniques, TripleGo s’affirme musicalement avec un style unique, leur garantissant un bon projet solide, et remplissant clairement les objectifs de premier album. Malgré la faible renommée du projet, ils ont pu tout de même glaner quelques nouveaux fans séduits par leur musique, et cet album fait très bien office de présentation et de carte de visite pour quelconque nouvel auditeur désireux de se pencher sur la musique du groupe.
Yeux Rouges
C’est donc le premier novembre que le groupe décide de sortir leur deuxième projet de l’année, Yeux Rouges. Le duo semble revanchard de leur manque de reconnaissance et l’exprime à travers une communication un peu hasardeuse sur Twitter. En effet, le groupe se dit être leader un cloud rap, ce qui peut paraître un peu présomptueux car même si ils l’ont ramenés en France, ce ne sont pas les meilleurs dans le domaine, un groupe comme PNL l’ayant bien mieux exploité. En plus de prétendre tenir l’album de l’année, TripleGo se met une pression peut-être un peu trop grosse et inutile à l’approche du projet.
Néanmoins, l’album est au niveau. Même si ce n’est pas l’album de l’année, il s’inscrit clairement comme l’un des meilleurs en 2019. Nous avons toujours cette atmosphère très planante dès l’intro avec le morceau Dior, et toujours cette approche lyricale originale qui donne son intérêt au groupe. Cette même ambiance se retrouve sur La Serenade, avec un ton un peu plus pesant et grave, tout comme Nabilla. A noter sur ce dernier la bonne exploitation de la langue arabe, elle qui était déjà présente sur Machakil. Par son utilisation, ils vont gagner en mélodies, la langue arabe étant très mélodieuse de base.
Côté mélodies ils ont toujours leur patte et l’exploite encore même mieux avec des sons comme Bye Bye ou Russie, où ils s’aventurent sur des sonorités inexploitées, couplées à leur style musical de base, rendant un produit final original et digne d’intérêt. Sur Pushka ils s’essayent même à un style rétro-wave, très tendance dans le rap français avec notamment l’apport de Myth Syzer dans le domaine, suivi de PNL ou encore Jok’air dans la foulée, en restant dans leur identité sonore, ce qui donne une réussite très clair
Le côté banger est toujours présent et va plus loin avec des morceaux comme Freestyle 300, très pesant dans l’ambiance, ou encore Hollandaise. Ce morceau est d’une richesse inouïe puisqu’il regroupe le côté banger mais aussi mélodieux, où un flow agressif est exploité sur les couplets, mais plus mélodieux sur le refrain. Cette dualité est aussi présente sur la production, très riche, qui y trouve un côté banger avec les grosses drums mais plus mélodieuse avec ses keys.
Le même style de sons rythmés est encore là avec des sonorités très orientales comme sur Machakil, mais encore plus poussées sur Yeux Rouges. Nous pouvons donc citer les morceaux Marrakech, Ralenti ou Dans ma folie qui s’inscrivent dans ce domaine mais apportent chacun leur musicalité, plus rythmée, lancinante ou dansante. L’ambiance un peu zumba est présente sur des morceaux comme Te Bote ou Baisers volés, mais encore une fois de manière peu ordinaire puisque le groupe y ajoute son identité musicale cloud et qui va rajouter plus de maturité comme dans les lyrics également qui parlent d’amour mais de manière plus réaliste, montrant les bons côtés comme les mauvais.
Enfin, le mix a été amélioré et ne pose plus problème comme sur Machakil où cette fois-ci la musicalité est exploitée à son maximum et se retranscris mieux dans nos oreilles.
TripleGo a donc réalisé une grosse année pour leur part en délivrant deux projets solides, parmi les meilleurs de 2019. Le duo y affirme son identité sonore et pousse encore plus sa musicalité, se démarquant ainsi de ce qui se fait habituellement dans le rap français. Ils tiennent donc le bon filon et vont pouvoir l’exploiter dans les années à venir pour pouvoir tirer leur épingle du jeu, leur originalité leur permettant de briller sur la scène actuelle. En s’ouvrant peut-être plus musicalement ils pourraient accroître leur popularité, en allant pourquoi pas chercher un côté plus mainstream pouvant leur assurer des petits hits sans pour autant dénaturer leur musique, où en s’ouvrant à d’autres artistes et producteurs, eux qui le font rarement. Ils peuvent aussi rendre leur musique encore plus pro en travaillant le plus possible leur mix pour mieux faire ressortir toute l’étendue de leur musicalité. Il en demeure ici que TripleGo a clairement le potentiel de s’exprimer dans ce milieu, eux qui y sont déjà présents depuis un certain temps, et dont le futur dedans peut s’annoncer encore meilleur en tirant la pleine exploitation du potentiel de leur particularité musicale si marquée.