Thérapie est une émission produite et réalisée par le site Vice, qui est devenu célèbre sur Internet pour ses contenus à la fois Pop et explicites, pouvant autant décrypter l’actualité qu’explorer le monde des drogues ou des gangs. Toutefois, c’est avec ce tout nouveau concept d’émission que Viceland débarque ce mercredi 16 octobre sur Canal (83), Free (98) et Orange (148).
Profitant du regain d’intérêt actuel pour la psychologie et le développement personnel, le show se présente sous le format d’une mini-série, avec 6 épisodes de 45 minutes. Une formule qui est donc courte et se veut accessible aux internautes lambda ainsi qu’aux fans de Rap et de culture urbaine qui constituent une bonne part du public de Vice. Ainsi, le show avait déjà été lancé aux États-Unis (avec les participations de Freddie Gibbs, Waka Flocka Flame ou Joey Bada$$) et avait eu un franc succès, appelant à une déclinaison du concept en français.
Le succès de l’émission est, au fond, assez facile à expliquer ; on n’était jamais autant rentré, de manière publique, dans l’intimité et la vie intérieure de nos rappeurs et rappeuses préférés. De plus, la majorité du grand public, en Europe comme aux États-Unis, nourrit encore de nombreux préjugés envers la psychanalyse, et a donc beaucoup de fantasmes à voir une célébrité s’allonger sur le divan et raconter ses problèmes.
C’est donc une vraie occasion de démystifier la discipline et de la voir finalement pour ce qu’elle est, un dialogue introspectif et thérapeutique entre un professionnel et un patient, une fois que l’étiquette de « rappeur » à été enlevée. Humaniser nos artistes préférés et leur rendre leur vulnérabilité propre, mais aussi simplement mieux les cerner ainsi que leur parcours, voilà l’objectif de Thérapie. En espérant que vous en sortiez enrichis à votre tour.
Isha
Vétéran du Rap belge, Isha s’était déjà révélé à travers ses disques comme une une personnalité complexe et sensible sous la carapace du gangster. Ce qui n’a pas manqué d’être confirmé lors de son entretien avec le psychanalyste Fernando De Amorim, sûrement le plus éprouvant de tous. Dès les premières minutes, le trentenaire entre dans le vif du sujet et évoque son enfance très pauvre, son père souffrant de bipolarité et qui mourrut prématurément durant son adolescence, les conneries de jeunesse, la délinquance et le quartier, le fait d’être « parti en couilles » et d’avoir arrêté les cours très jeune, la violence au quotidien…
Il se confie ensuite en profondeur et avoue être atteint depuis tout petit d’angoisse et d’hypersensibilité, un « troisième oeil » qui lui fait vivre tout avec intensité, pour le meilleur comme pour le pire. Après quelques larmes versées, Isha assure avoir grandi et rangé ses années de délinquance derrière lui, tout en exprimant son besoin de s’apaiser et de calmer sa sensibilité et ses démons par la musique.
Ce sont donc 45 minutes très émouvantes et profondes que l’on passe en compagnie d’Isha, dont les angoisses récurrentes peuvent facilement mettre en lumière les nôtres. Cet épisode montre à quel point le Rap cache très souvent une sensibilité exacerbée et un besoin d’acceptation. Il nous prouve également qu’Isha à tout d’un grand artiste.
Lino
Le frère cadet d’Ärsenik n’est plus à présenter. Célébré aujourd’hui comme une légende du Rap conscient, Lino fut un des plus grands kickeurs de son époque, tant dans la forme que dans le fond avec ses textes provocateurs et acérés. Comme il le dit si bien lui-même, il a un problème avec l’autorité de toute façon. Ainsi, la confrontation avec Fernando De Amorim semble se dérouler dans une ambiance bien plus légère pour le rappeur quarantenaire, qui est toujours enclin à faire des blagues et à détendre l’atmosphère dès que ça lui paraît trop lourd. On se dit vite qu’il n’a en fait plus rien à se prouver, sa carrière musicale est derrière lui et il souhaite désormais accorder ses priorités à sa famille et ses proches.
Pour autant, il n’en a pas fini avec l’engagement et la contestation, puisqu’à peine 10 minutes s’écoulent avant qu’il n’apostrophie le président de la République Macron : « Le problème, c’est lui et ce qu’il représente ». Fervent défenseur du Rap comme art contestataire et moyen d’élever les consciences, il rappelle ensuite la nature profondément politique et la vocation sociale du groupe Ärsenik. Et appelle de ses propres voeux à ne pas lâcher la révolte et l’insoumission face aux pouvoirs et à la parole dominante : « Cherchez la vérité, instruisez-vous ».
Dissident dans l’âme depuis toujours, amateur de littérature et soutien du mouvement panafricain, Lino n’a jamais changé d’ADN et, droit dans ses bottes, n’a jamais cédé aux tendances. Il représente ainsi ce que le Rap a de plus combattif et noble, et c’est revigoré qu’on quitte son entretien.
Guizmo
À mi-chemin entre ses collègues Isha (pour le côté hypersensible) et Lino (pour l’impertinence), le célèbre rappeur parisien étonne lors de cette rencontre. En ef‐ fet, on croyait déjà tout savoir sur sa personne tant ses exubérances et coups de chaud ont circulé sur le Web. L’ex-membre de L’Entourage et enfant terrible des années 2010 se dévoile pourtant sous un jour plus calme et serein.
Dos au mur face à Fernando De Amorim et surtout face à lui-même, il dit avoir pris en maturité grâce à sa compagne et à son enfant, et se livre entièrement, sans pudeur et avec l’envie apparente d’évoluer et de passer à autre chose. Parfois, le mauvais garçon qu’il a longtemps été remonte subitement à la surface, comme lorsqu’il dit au psychanalyste : « Là ça va, je suis tranquille, on parle de poésie et tout, mais allez savoir ce qui pourra se passer si on touche un point trop dur ».
Guizmo reste finalement lucide sur ce qu’il est, un jeune homme sensible, intelligent et fougueux qui ne peut réprimer son besoin d’intensité et son côté grande gueule. Un paradoxe parmi les plus fulgurants du Rap français, pour une musique qu’il estime lui-même comme « thérapeutique ». « Je me livre complètement dans mes morceaux, je raconte mes galères, tout ce que je vis et qui me passe par la tête » , avoue-t-il. On le range ainsi pour de bon parmi les poètes du bitume, et on salue sa rage comme exutoire ainsi que sa volonté de combattre ses excès personnels et addictions. Après tout, Guizmo est un des plus beaux exemples de catharsis du Rap français, nous lui devons l’empathie.