Il est toujours intéressant de se pencher sur un morceau avec le recul des années. En effet, lorsqu’il sort son premier album « Feu » en 2015, Nekfeu n’est qu’un jeune rappeur en pleine ascension, et pas encore la star incontournable qu’il est devenu. Après avoir fait ses premières armes en compagnie d’1995, le S-Crew et L’Entourage, il prend les devants et se lance dans une aventure en solo. Son album « Feu » sera autant célébré et porté aux nues que raillé, avec la présence de singles mainstream comme On verra (et ses 100 millions de vues sur YouTube), Ma dope ou Reuf, qui décrédibiliseront le rappeur devant une partie du public. Toutefois, ce serait oublier la présence de pépites comme Rêve d’avoir des rêves, qui montre l’étendue des facultés du Fennec sur le plan lyrical. Une merveille d’écriture qui en annonce d’autres (Risibles amours sur le même album ou Plume dans la ré-édition), et que nous allons analyser.
La chanson démarre sur une instru très soignée de Loubensky (producteur sur les trois albums solo de Nekfeu), qui évoque immédiatement la nostalgie et la mélancolie. On notera d’ailleurs que le MC parisien n’est jamais aussi bon que sur ce genre de vibes. Après avoir laissé tourner l’instru un moment afin de nous immerger dans l’émotion, il nous achève d’emblée avec une punchline assassine.
Est-ce que tu t’es déjà senti vivre ou t’essayes de te persuader ?
Le ton et la couleur sont annoncés, le reste du morceau se déroulera ainsi dans cette même veine introspective. Se posant de nombreuses questions sur le monde qui l’entoure et la vie, Nekfeu tente de faire partager ses doutes et ses peurs à l’auditeur. Mais au-delà d’un simple cri du cœur mélancolique, Rêve d’avoir des rêves se veut aussi être un puissant encouragement à aller de l’avant et à surmonter les épreuves coûte que coûte. Dans la phrase qui introduit le morceau, on devine ainsi que Nekfeu nous exhorte au dépassement de nous-même, et à la lutte pour parvenir au bout de nos rêves. De fait, rien n’est laissé au hasard chez lui et c’est ce qui fait une bonne partie de son talent ; de même que son album s’appelle « Feu », sa chanson encourage l’auditeur à suivre sa flamme, malgré les nombreuses épreuves et désillusions que nous impose la vie.
Une autre force évidente de Nekfeu est son écriture, et sa capacité à manier efficacement les métaphores et autres figures de style dans des textes puissants et poétiques. Chez lui, on sent instantanément que c’est l’émotion solennelle qui prime, quand certains de ses collègues de rap comme Alpha Wann ou Sneazzy se situeront plus dans la technique et la performance. Rêve d’avoir des rêves se situe parfaitement dans cette veine poétique et adopte ce style d’écriture ampoulée, riche de sens et reconnaissable entre milles. Comme son idole Fabe de la Scred Connexion, le Fennec adopte une posture à l’écart de la masse et considère le Hip-Hop avant tout comme un art, une contre-culture et un moyen de rendre ses potes fiers de lui.
« J’aime accompagner ceux d’mon clan qui graffent, certains titubent encore
À cause des matraques en titane des brigades anti-tag
J’fais du son pour plusieurs raisons : la première, c’est rendre les frérots fiers »
« Graver des skeuds, faire groover son corps et graffer
Sensible à la beauté, même nos checks sont chorégraphiés »
On l’a vu, la démarche de Nekfeu dans le Rap est essentiellement passionnée, et dans sa vision des choses il tient ce critère en haute estime. De là va naître son incompréhension envers la société dans laquelle nous vivons, et son sentiment de révolte. Toutefois, le rappeur préserve une touche d’espoir car il constate que dans sa détresse face au monde des adultes, il n’est pas seul et que tout le monde en souffre plus ou moins, ce qui lui donne la force nécessaire pour avancer dans la bonne direction et encourager l’autre à faire de même.
« J’aimerais m’faire soigner mais, ici, y’a personne et
C’est la même chose pour tous les passants qui filent »
« « Tu verras quand tu seras grand, tu vas apprendre », disent-ils
Expliquez-moi pourquoi l’adolescence ça rend si triste?
Quand l’cadran s’dissipe, faut qu’on avance si vite
Des combats insipides, malchance cyclique
Toi qui rêvais de grands espaces et n’as eu que des fenêtres
Aimerais-tu renaître et déserter ces rangs d’esclave ? »
C’est à ce moment qu’arrive le fameux refrain du morceau et son message d’espoir : « Ne crains plus les défaites, les as-tu cru quand ils te disaient que toutes les luttes étaient vaines ». Nekfeu fait ici référence à lui-même et au fait que quand il a débuté dans le Rap, personne autour de lui ne pensait qu’il allait en faire carrière et vivre de ses rêves. On a même sûrement essayé de le dissuader de ce choix dangereux, afin qu’il choisisse une voie plus sécurisante comme faire des études et avoir un diplôme, etc. Un chemin confortable et tout tracé mais qui ne lui aurait pas permis de s’épanouir et de vivre de sa passion. A l’instar de son propre parcours, Nekfeu nous appelle donc tous à la prise de risques. Il ne s’agit plus de rêver et rester dans l’inaction mais de concrétiser ses rêves dans le réel. En somme, face au désenchantement du monde adulte et à l’illusion de liberté qui règne dans nos sociétés occidentales capitalistes, il faut nous révolter et prendre ce qui nous est dû. Derrière la naïveté apparente dont on pourrait l’accuser (et dont on l’a accusé ensuite, comme lors de la séquence mémorable avec Yann Moix à On n’est pas couché), on voit que le rappeur délivre un message courageux et empli de maturité.
Et, finalement, le public ne s’y est pas trompé. Sacré disque de diamant en 2017, « Feu » a permis d’imposer son auteur comme un des plus grands noms du Rap francophone, et comme un modèle de motivation et d’espoir pour la jeunesse. Pari réussi, la prise de risque s’est avérée triomphante pour le Fennec.