Un an après Deo Favente, SCH dévoile JVLIVS, son troisième album.
Un projet ambitieux et ultra-visuel
Avant même d’écouter JVLIVS, il faut regarder le film qui l’accompagne. Présenté en avant-première au cinéma Etoile Saint-Germain-des-Prés 3 jours avant la sortie de l’album, SCH y campe le rôle d’un gangster marseillais. S’il n’indique rien du niveau de l’album, ce film démontre néanmoins la volonté de créer une œuvre solide, un univers et une cohérence, bref, un album.
La première chose que l’on remarque à l’écoute de JVLIVS, c’est son aspect quasi-cinématographique. D’une part grâce aux très bonnes transitions morceaux/interludes. Les interludes sont interprétées par José Luccioni, voix française d’Al Pacino. Ses intonations, ses courts silences et sa voix grave nous plongent un peu plus dans l’ambiance mafieuse de l’album. L’utilisation de la Mandoline, célèbre instrument napolitain et les images pégrières de SCH font de JVLIVS l’album de mafioso-rap français immersif par excellence.
SCH à grands renforts d’images, illustre son quotidien de mafieux. Tokarev est sans doute le morceau le plus réussi sur ce plan-là, SCH y multiplie les images bien senties :
« Un revenant qui prend possession d’un corps pour crier la vérité »
« Le ciel est rouge et gris, on reprend, on découpe, on emballe, on écoule »
« Minuit en ville, un 530 SX et c’est pas les Daft Punk »
« Un Tokarev pour la trêve »
A l’image de son film, JVLIVS conte le quotidien de la vie d’un mafieux. Fiction et réalité s’entremêlent, notamment avec le morceau Otto, nom de son père décédé.
Une forme élégante mais un fond assez faible
JVLIVS est un bon élève. Les morceaux sont lisses, maîtrisés mais le récit ne marque pas à l’écoute. Au final, très peu de choses sont dites. Nous avons un peintre, un cadre, des couleurs, mais le tableau n’exprime rien. Les images sont multiples mais d’un niveau inégal tout au long de l’album et le récit est décousu, on passe d’une chose à l’autre et ça ne s’imprime pas dans la rétine. Là où auparavant il y avait des éléments qui dénotaient, une intonation particulière, une image assassine, une line, un refrain bien orchestré, ici ce n’est que très peu le cas.
En faisant ça, SCH va petit à petit tourner ce qui était un avantage (cohérence thématique et homogénéité) en un défaut. Au final, l’impression d’entendre les mêmes choses d’un morceau à l’autre, sans véritable highlight permettant de différencier ses textes se fait ressentir. L’exemple le plus criant est Otto, qui au lieu de parler de son père défunt, comme son titre pouvait le laisser présumer, va s’en tenir au concept de l’album. SCH ne distillera que quelques lignes à ce sujet, et pas de la meilleure facture.
Le second souci est que les principales qualités de SCH transparaissent nettement moins bien sur JVLIVS que sur ses précédents albums. La première déception concerne les refrains, qui étaient auparavant maitrisées de A à Z par SCH. Sur cet album il y a très peu de refrains de très haute qualité. Le pont de Ivresse & Hennessy et le refrain de Bénéfice, meilleur morceau de l’album, sont les seuls restes de l’immense talent du rappeur pour l’interprétation de refrains hautement qualitatifs. Le reste est soit mauvais (Facile), soit en-dessous de ce qu’il a pu proposer par le passé.
On notera également que les sonorités sont un peu moins maitrisées qu’auparavant, SCH ajoute moins de musicalité à ses mots, tout en gardant son grain de voix caractéristique. On est cependant loin d’un Rêves de Gosse ou d’un Je reviens de Loin. Le style est beaucoup plus rappé et monocorde, ce qui, sans être mauvais, handicape le rappeur, privant son arc d’une corde essentielle.
Une production feutrée
Pour JVLIVS, SCH va à nouveau faire appel à Katrina Squad, groupe de producteurs avec lequel il a collaboré sur ses premiers disques. Crédités sur 15 des 17 morceaux, SCH réaffirme par ce biais sa volonté de créer une œuvre compacte et un univers cohérent.
Si les débuts pouvaient faire peur avec le catastrophique VNTM, tout en synthés gueulards, la production impressionne. Tokarev, un des hauts-faits de l’album, est une totale réussite. Mandoline, piano et violons s’entremêlent pour fournir une expérience mafieuse de haut-vol. C’est d’ailleurs l’une des marques de fabrique du groupe : ajouter un côté orchestral sur les productions une fois la partie rappée terminée. Très rarement utilisé par les producteurs de rap français, qui préfèrent laisser tourner l’instrumental tel quelle fût lors de la partie rappée, ce choix esthétique est largement gagnant.
Ces parties instrumentales, à la limite du poétique, sont apercevables sur Otto, Tokarev, Skydweller et Bénéfice. Le piano mielleux d’Ivresse & Hennessy est également un plaisir auditif.
JVLIVS est une œuvre appréciable car il fait un effort que très peu d’albums de rap français font : proposer une expérience plutôt qu’une accumulation de sons sans aucun rapport les uns avec les autres. Cet album privilégie cohérence, structure et univers. Néanmoins, ce n’est pas suffisant pour fournir un bon album. Le squelette est là, il ne manque plus que la chair.