Childish Gambino – 3.15.20

Critique

Le rappeur et homme à tout faire d’Atlanta tire sa révérence musicale, et livre un disque ennuyeux et confus.

Rappelez-vous, c’était il y a moins de 2 ans ; Childish Gambino aka Donald Glover faisait une entrée fracassante au sommet des hits parade du monde entier, avec le carton plein This is America. Tout autant mainstream et dansant que profond dans les thématiques qu’il abordait (la discrimination raciale aux États-Unis et les crimes commis par la police envers les Afro-américains), le titre était porté par un excellent clip vidéo qui l’a fait rentrer dans les mémoires. Depuis, dire qu’on attendait son auteur au tournant est un euphémisme. Ce dernier, après le succès énorme et inattendu de This is America, a préféré se retirer un moment loin des projecteurs afin de retrouver un cadre propice à la création. Problème, à l’écoute de ce 3.15.20 il semble que Glover n’ait pas vraiment retrouvé l’inspiration.

Il faut d’abord clarifier les choses ; d’emblée, ce nouvel album a été annoncé comme le dernier du projet Childish Gambino. Souhaitant ainsi tourner la page de son aventure musicale, Glover met les petits plats dans les grands et semble tout donner sur cet ultime opus. Un auditeur l’a même qualifié de « Songs in the key of life de Childish Gambino », en référence au mythique album de Stevie Wonder considéré comme le chef d’œuvre de sa carrière. Pourtant, nous sommes en vérité loin d’un tel résultat. En effet, le disque de Stevie Wonder éblouissait par son éclectisme et sa partition musicale quasi-parfaite; celui de Childish Gambino, au contraire, patauge dans la semoule et peine à trouver une cohérence parmi les idées qu’il soulève, finissant par ressembler à un énorme fourre-tout de près d’une heure.

Une direction artistique nébuleuse

Une forte impression de confusion émane ainsi du disque, et cela commence par sa mise en forme. Celle-ci s’organise autour d’une série de nombres à virgule (de 0.00 à 53.49) constituant chacun des titres de l’album à l’exception d’Algorythm et Time. Le choix de tous ces nombres pour nommer les morceaux n’est pas inopiné car ils correspondent aux time codes de chacun d’entre eux (le moment où ils se lancent dans l’album). Toutefois, la signification de ce procédé reste extrêmement mystérieuse. Il faut dire que Glover n’a accordé aucune promotion ou interview pour donner des grilles de lecture à ses auditeurs.

En soi, le fait de ne pas donner de promotion à son album n’est pas problématique car d’autres (comme Beyoncé en 2013) l’ont fait avec succès. Le problème est que, faute d’explications et par volonté de rester cryptique, celui-ci sombre vite dans le nébuleux total. La cover du projet, intégralement blanche, semble ainsi dénuée de sens juste par volonté d’être dénuée de sens. Sous couvert de mystère et d’un hypothétique album-concept, Glover réalise en fait un disque prétentieux et exagérément arty. Dommage, pour un artiste qui avait jusque-là brillamment évité ce genre d’écueils. Faussement complexe, 3.15.20 s’enlise rapidement et finit par déborder de tous les côtés.

Un potentiel musical gâché

En fin de compte, les idées fusent bel et bien au sein de ce quatrième opus. Il aurait manqué de peu pour qu’elles soient canalisées et ordonnées, de manière à former un album lisible et cohérent. A la place, on doit se coltiner des titres tous plus incompréhensibles les uns que les autres ; derrière ces titres se cachent pourtant des chansons qui sont toutes dotées d’un certain potentiel. Quel dommage !

En effet, l’éclectisme et la performance musicale sont bien au rendez-vous, et Glover se révèle être un véritable homme-orchestre. A titre d’exemple, l’excellent 12.38 va brasser en un seul morceau de nombreuses influences comme la Soul-Funk, le R’nB’, le Hip-Hop avec un feat impromptu de 21 Savage et même quelques touches d’Electronique. On voit donc que l’album possède tous les ingrédients nécessaires, c’est-à-dire la diversité et la maîtrise musicale. Toutefois, le mélange n’est pas assez bien dosé et échoue à la constitution du plat. En souhaitant trop en faire pour son ultime disque, Glover est tombé dans l’abus conceptuel et l’album en devient incompréhensible et indigeste pour la grande majorité des auditeurs. Malgré la présence de titres très réussis (Time ou 42.26, qui renferme l’émouvant Feels like Summer), la replay-value est absente. Ainsi, à cause de son concept opaque et de sa forme repoussante, il est quasi impossible que l’album marque qui que ce soit et s’inscrive dans le temps, comme si son créateur l’avait condamné à l’avance.

Pour conclure, on a donc l’impression que Glover, lassé du succès international de This is America, souhaitait clore sa discographie par une œuvre beaucoup plus intimiste et expérimentale, en renouant avec des anciens projets comme Because the internet qui l’a propulsé il y a 7 ans. Toutefois, on se demande à qui ce disque peut bien s’adresser à part lui-même. Un gâchis d’autant plus grand qu’il fait preuve de qualités et d’un savoir-faire musical réels. Espérons que la vraie réinvention artistique de Donald Glover se fera du côté de la caméra ; en effet, la série Atlanta qu’il a lancée en 2016 a cartonné et une troisième saison est actuellement en préparation.

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MattMartians
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