Avec Briques Rouges, Bekar pose les bases de son univers musical éclectique et rafraîchissant, n’affichant pas de limite, mais plutôt une marge de progression importante.
Dans la continuité de son premier projet Boréal, Bekar explore, expérimente et élabore petit à petit sa musique, loin du mainstream de la scène rap actuelle. Expérience réussie pour le Roubaisien : plus pertinent, plus structuré et assuré que son premier projet, Briques Rouges est une mixtape entre l’album et l’EP.
Un long format (54 min), pas de featuring… À travers des choix forts, le rappeur développe une cohérence autour de plusieurs thèmes récurrents, avec la volonté de « mettre un peu de lumière sur cette belle ville qu’est Lille ». Comme fil conducteur, les fameuses briques rouges, attribut architectural caractéristique du nord de la France.
Un projet maison
Ces rappels aux villes qui l’ont vue grandir montrent tout l’attachement que Bekar porte au nord de la France. L’interlude, qui fait finalement office d’introduction à une partie plus personnelle du projet, est une réplique de Poelvoorde tirée du film C’est arrivé près de chez vous (1992). Se désolant de cette architecture, le personnage y voit un rappel au sang, et à la corruption. Dans Briques Rouges, la chanson éponyme qui suit cette interlude, Bekar confirme cette violence : « Un flic a tiré sur un p’tit cettе nuit sur le boulevard en face/ J’peux même plus compter tous les crimes, ces trucs qu’on veut plus voir en France », mais ne peut, malgré tout, se détacher de cette ville « mon bonheur à moi, c’est les briques rouges », dans une leçon de kickage sur une prod parfaitement adaptée, lourde et épurée, de Lucci.
La passe dé de Panenka
L’omniprésence de son ami Lucci dans Briques rouge est la marque d’une complicité qui avait permis l’élaboration du très bon Boréal, premier projet de Bekar. On ne change pas une équipe qui gagne : sur les 17 chansons de Briques Rouges, Lucci en a produit 13. Et ce malgré la signature de Bekar chez Panenka Music. Preuve que le label veut permettre au petit nouveau de développer pleinement son univers.
Cette signature a sûrement permis à Bekar de profiter de meilleures conditions de travail ; les différents sons sont mieux mixés que sur son premier projet. De plus, Bekar engrange de l’expérience, ce qui donne un objet plus abouti au niveau de la direction artistique. Preuve de cela, les illustrations de l’album sont prises par Mister Fifou. Reste à Bekar le souci de convertir l’occasion.
Entre doutes et destinée
Determiné, le jeune rappeur donne le ton : « Le rap c’était ma destinée », scande-t-il en boucle, en guise de refrain dans Destinée.
Pourtant, Bekar nuance cette confiance ; « Mais j’percerai as-p sans faire de classique, nan, c’est pas qu’une histoire de principe ». Il a parfaitement conscience du chemin qu’il lui reste à parcourir pour être considéré comme une tête d’affiche du rap.
Briques Rouges prend alors une tournure, introspective, voire intime dans Soleil S’Allume, Maux de tête, Vagabond, Bulle, ou encore Anxyolitiques. Bekar se fait narrateur de sa propre vie, celle d’un artiste en recherche, celle d’un jeune qui se cherche.
Une recherche esthétique continue
Ces allers-retours se ressentent dans le projet. Entre egotrip et confidences, entre rap conscient et instrus dansantes, l’artiste nous emmène en voyage le temps de 18 morceaux. Mais attention à ne pas se perdre. Car s’il affiche de vraies capacités en kickage, un sens des toplines péchues et de la mélodie, Bekar prend le risque de survoler seulement ces 3 aspects dans lesquels il pourrait exceller.
La richesse lyricale en est un exemple. Le rappeur explore plusieurs thèmes, très variés, qui restent des sujets d’actualité pour les jeunes. Si certains sont développés à travers plusieurs sons (l’amour, sa vie, son nord natal), d’autres ne sont qu’effleurés, suggérés (violences policières, réseaux sociaux, misère sociale). Au vu des qualités de Bekar, il pourrait prendre plus de risques.
Ainsi, après plusieurs écoutes de Briques Rouges, il apparait que tous les morceaux sont qualitatifs, et qu’une petite moitié sort du lot. Mais la mixtape n’est pas portée par un ou deux « tubes », comme il est courant de le faire. Hormis Soleil S’Allume et Tiekar, qui affichent de beaux chiffres de streaming et de vues, peu de chansons ont un réel potentiel de replay-value. Si Tiekar a la recette d’un tube d’été, Soleil S’Allume, par les thèmes abordés et les couleurs musicales, n’entre pas dans les codes de la chanson qui va marcher. Est-ce un choix artistique assumé ? Si oui, Bekar arrivera-t-il à faire une force de ces prises de risque ?
On aurait par exemple aimé plus de visibilité autour de sons comme B.E et Briques Rouges, qui font ressortir toutes les qualités de l’artiste. Mélodies bien senties, couplets bien découpés, au service de thèmes qui semblent habiter Bekar.
Enfin, mention spéciale à Anxiolytiques, véritable hommage au boom-bap de 1995. Bekar se montre à la hauteur de ses inspirations. C’est Fonky Flav, ancien membre du groupe, et fondateur de Panenka Music, qui doit apprécier le clin d’œil.
Briques Rouges comme fondation
C’est avant tout un projet fait de beaucoup d’amour : amour pour ses racines, pour le nord qui a vu grandir le rappeur et ses proches qui ont partagé sa vie. Mais également et surtout amour du rap. Car Briques Rouges, c’est l’expression d’un amoureux du micro brûlant, du kickage à en couper le souffle, et l’énergie qui en ressort atteste de cette passion.
Malgré cela, on en attend plus de Bekar. Si la prise de risque est assumée sur certains points, elle nous laisse sur notre faim ailleurs (thèmes, forces de l’artiste, absence de « morceau-fanion »). Peut-être la présence d’un ou deux featurings aurait apporté un supplément d’âme au projet, qui reste sans cela très qualitatif.
Travaillé mais spontané, risqué mais solide, intime mais brut. Briques Rouges est le projet d’un artiste dont on sent encore les tâtonnements, les hésitations, mais qui confirme pleinement les espoirs que Panenka Music (le label de poids lourds comme PLK et Georgio, entre autres), a placés en lui en le signant en décembre 2019.