Depuis le début de sa carrière, Lesram a fait les choses à son rythme, sans précipitation. Un développement en groupe, alors que d’autres membres du Panama Bende comme PLK et Aladin 135 sortaient déjà leurs premiers projets solos, puis un EP en 2020, suivi par une mixtape en 2022 et enfin ce premier album, Du peu que j’ai eu, Du mieux que j’ai pu.
Stabilité
À l’écoute, une chose saute tout de suite aux yeux : l’objectif n’est pas de changer radicalement sa formule, mais plutôt d’être dans la continuité de ses précédents projets. Par conséquent, le disque oscille entre récits autobiographiques et egotrip, tout ça accompagné de productions teintées d’une esthétique propre au rap français des années 2000.
Ces dernières sont donc marquées par l’utilisation massive de pianos et de rythmiques simples – ou parfois plus syncopées – mais possèdent toutes une touche de modernité. En effet, les rythmiques trap permettent de mélanger les époques, tout comme la présence de sonorités presque OVO sur le morceau Aperçu.
Inégalité
Mais là où la production de sa mixtape Wesh Enfoiré était en grande partie assurée par MehSah et Amine Farsi (six productions à eux deux, sur les dix titres du projet), la liste des beatmakers de Du peu que j’ai eu, Du mieux que j’ai pu est bien plus diversifiée, puisqu’aucun n’est crédité sur plusieurs morceaux (sauf 2k, qui apparaît deux fois).
Le niveau des productions est donc beaucoup plus inégal, avec de très bonnes choses de la part de Mehsah – l’un des meilleurs beatmakers actuels dans ce style boombap français modernisé – sur Question, ou de Hologram Lo’ sur QB, morceau dont le grain se rapproche davantage de ce qui se fait outre Atlantique et qui porte donc bien son nom. Mais, parallèlement à ça, le côté générique et/ou le manque de groove de certaines productions apparaît au fur et à mesure des écoutes, et constitue certainement le principal défaut de l’album.
Ouverture
On ressent malgré tout la volonté chez le membre du Panama Bende de diversifier sa formule et de la rendre plus accessible, sans pour autant se renier. Cela passe notamment par des refrains plus simples, ou chantés. Les deux invités sont d’ailleurs mis à contribution pour cela, avec succès pour Josman sur Triste Mélancolie, moins pour un PLK en pilotage automatique sur 100X. Sinon, lorsque les morceaux ne sont pas composés d’un couplet unique, c’est Lesram lui-même qui s’en charge, pour des résultats en dents de scie.
En revanche, les couplets sont encore de belles démonstrations de technique. Sa progression est certes moins flagrante que sur la mixtape Wesh Enfoiré, où il avait réussi à franchir un palier à plusieurs niveaux (flow, écriture, voix), mais ses performances sont assez irréprochables, avec des schémas de rimes très travaillés et des placements ingénieux.
Si la forme est donc toujours aussi brillante, le fond, lui, souffre d’un manque de diversité puisque Lesram n’aborde pas vraiment de nouvelles thématiques. Pourtant, le premier album est souvent le terrain de jeu idéal pour cela, comme l’ont montré Alpha Wann, Dinos ou plus récemment Jewel Usain. Ils avaient profité de ce format pour se dévoiler davantage ou prendre du recul sur leurs parcours, ce que Lesram ne fait que trop peu.
Ascension sociale
Bien résumé par le titre de l’album, la volonté de se sortir de sa condition peu importe les moyens qui nous ont été donnés à la naissance transparaît tout au long du disque, en particulier au travers de certaines punchlines. Ces propos donnent au projet un aspect motivationnel malgré des productions tout sauf tonitruantes, tout en évitant l’écueil du discours cliché, méprisant ou culpabilisant.
Au-delà des paroles, les interludes illustrent également cet état d’esprit. Le pont situé avant le deuxième couplet de Question, où on peut entendre quelques paroles de Tony Montana (personnage joué par Al Pacino dans Scarface) montre toute la détermination du rappeur originaire du Pré-Saint-Gervais. Mais c’est surtout l’outro de En Mode qui résume le mieux la pensée de ce dernier : composée d’un extrait d’une interview de Bernard Tapie dans l’émission « L’heure de vérité », elle explique la frustration de ne pas être considéré à sa juste valeur au sein de la société lorsqu’on appartient à une classe sociale modeste, et la volonté de s’en défaire.
Réalité
S’il y a une qualité indéniable dans la personnalité de Lesram, c’est bien l’authenticité. Avec sa voix calme et monotone, il débite ses rimes multisyllabiques pour narrer la rue sans la romancer et nous y plonge de manière assez immersive grâce à des récits faits de scènes concrètes de la vie quotidienne.
Cette volonté d’authenticité se manifeste également en dehors de sa musique. En effet, lors de sa seule interview effectuée pour cet album (avec le média Views), il a déclaré ne pas encore pouvoir pleinement vivre de sa musique, alors qu’il dispose depuis sa mixtape Wesh Enfoiré d’une fanbase assez solide. Cette honnêteté démontre l’envie chez Lesram de ne pas mentir à ses auditeurs.
On ressort donc de ce projet avec un sentiment ambivalent : malgré un MC toujours en grande forme et un propos global plus clair permettant une véritable ligne directrice au cours du disque, la faiblesse de certaines productions ne permet pas à Du peu que j’ai eu, Du mieux que j’ai pu de surpasser Wesh Enfoiré. Il reste donc un bon album, mais ne parvient pas à faire office de projet définitif et complet.
Pour réaliser cela, la solution passerait peut-être par l’élaboration d’un disque avec une équipe de producteurs plus resserrée ou même avec un seul beatmaker, l’alchimie affichée avec MehSah étant assez évidente par exemple.