La seconde mixtape de SCH invite l’auditeur dans une course effrénée aux accents mélancoliques qui rompt avec l’image qui colle à la peau du rappeur. Plus minimaliste, sa qualité se trouve dans le nouveau mouvement qu’elle amorce au sein de la carrière du Marseillais.
Autobahn est un projet a priori sorti de nulle part mais qui était en réalité patiemment attendu par les plus assidus amateurs de SCH. Un simple tweet du rappeur promettait un retour en force.
Retenez bien ce tweet on va rigoler en 2022. https://t.co/6Nzax2HoyW
— #19 (@Sch_Mathafack) April 6, 2022
À l’annonce d’une mixtape faisant référence à l’autoroute, la corrélation entre Autobahn et le désormais classique A7 ne faisait aucun doute, ce qui a engendré de larges attentes. Deux singles sont sortis avant le projet, desquels on peut conclure que SCH a en effet opéré un retour au kick conventionnel. Ces morceaux laissent néanmoins les auditeurs sur leur faim par manque d’éclat dans la performance et de particularité dans la production. C’est cet accueil tiède que l’entièreté du projet a reçu à sa sortie. Cela pousse à se demander si cette démarche, bien que courageuse, ne marque pas une baisse en gamme. Voire même un basculement sur la pente descendante dans la carrière de l’un des rappeurs les plus influents de la décennie passée.
Tonalité surprenante
Premièrement, au vu des événements phares de l’actualité de SCH ces derniers temps, une crainte a pu s’emparer du public quant à la direction prise par ce nouveau projet. Le succès retentissant de Fade-up, les nombreux couplets sur des morceaux dansants livrés depuis JVLIVS II, la scène dynamique et désormais unie de Marseille auraient pu poser les derniers clous sur le cercueil de l’Antéchrist que SCH incarnait à l’époque d’A7. Cependant, bien que le rappeur ait changé depuis 2015, l’identité si particulière qui fait son excentricité et qui a provoqué l’intérêt de ses premiers auditeurs l’accompagne toujours. Autobahn, seconde parenthèse de la trilogie JVLIVS, accorde donc une place à la réminiscence des intonations et ambiances propres à SCH, notamment dans le très bon morceau Blue Bahamas.
De manière très grossière, ce basculement s’observe à travers la reconquête du scélérat sur le gâté dans le lexique du projet. Ce choix constitue un contrepied audacieux car c’est cette dernière expression qui lui a permis de franchir une nouvelle dimension de popularité. Aucun morceau ne rentre dans le créneau que le public acquis suite au phénomène Bande Organisée recherche, si ce n’est l’éponyme. Ce dernier possède tout de même un refrain teinté de violence et une prod presque inquiétante. Il s’impose comme un premier morceau dansant de ce registre en solo, digéré et infusé par l’identité du rappeur.
Si Autobahn rappelle le rap marseillais à travers certains motifs, ce n’est pas celui d’aujourd’hui mais bien celui du début des années 2000, qui accompagnait SCH dans ses premiers pas au sein de cette discipline. Dinos fait d’ailleurs une référence explicite à la Fonky Family pour conclure sa contribution au projet avec un clin d’œil :
« J’vais pas partir comme ça, artiste triste
J’ai les artifices comme Sat » – Marginaux
Retour à l’essence
SCH exécute donc au sommet commercial de sa carrière un demi-tour vers ce qui a fait sa renommée de prime abord et sans doute ce qui le définit le mieux : un rap sombre, une palette qui s’étend du kick écorché aux envolées mélancoliques. Ainsi, une certaine sincérité émane d’Autobahn, distinctement orienté rap (là où la question se posait sur Rooftop et JVLIVS II). Malheureusement, le projet est porté par des instrumentales en deçà de ce à quoi SCH est accoutumé. Certaines prods manquent de profondeur, ce qui, additionné à la moindre variété de formats de morceaux, rend redondants et oubliables certains d’entre eux. Par exemple Vivienne Westwood, dont le rôle se limite à permettre une transition peu abrupte entre Autobahn et Transmission automatique.
Néanmoins, si on peut reprocher au projet de contenir trop de pistes à la structure similaire (deux couplets et deux refrains), les morceaux linéaires sont de parfaits exercices de placements et d’écriture pour le Marseillais, dans lesquels il s’illustre. En effet, ses plus de 12 ans de rap ont forgé dans la voix de SCH une autorité assumée et un charisme remarquable, perceptible même avec un flow nonchalant, comme dans Marginaux.
De plus, maintenant que la nostalgie touche même les auditeurs du premier JVLIVS par sa manière d’exprimer des sentiments qui résonnent en eux, SCH leur offre une fin de projet particulièrement émouvante. Cœur de môme reprend les percussions de Ciel Rouge et marque le retour de Guilty aux côtés du rappeur. Le couplet unique de Blanc Bleu et son explosion finale ne peut laisser indifférent. L’ode à la fraternité d’Actes clôt promptement le projet. Ces trois derniers morceaux se démarquent par leur registre mélancolique prononcé, leur refrain chargé de solennité et la pertinence de leur texte, tantôt poétiquement imagé ou tantôt une vérité délivrée brute.
« J’suis p’t’être un sale con d’égoïste, j’les ai toutes laissées le cœur blessé » – Blanc bleu
Pleins feux vers le frisson
Si Autobahn a pour direction artistique le sport automobile, ce n’est pas pour que SCH se repose sur ses lauriers. Les routes allemandes désignées par le titre du projet n’ont pas de limitation de vitesse et le rappeur ne se prive pas d’en abuser, jusqu’à brusquer ses auditeurs. Le passage le plus flagrant de cette frénésie libérée de toute restriction est l’instrumentale qui suit Offshore, complètement atypique mais qui ne sera le support d’aucun morceau.
Cette démarche rappelle les prods inédites que le rappeur utilise en tournée pour basculer d’une partie du concert à une autre (et avoir le temps de se changer). L’écoute d’Autobahn donne véritablement l’impression d’être pris dans une course effrénée (tout du moins jusqu’à l’accalmie amorcée par Lilou Dallas) grâce à ses bruitages qui servent la direction artistique au fil des morceaux à la manière d’entractes. Au-delà de la cohérence du projet, la musique en elle-même fait les frais de nombreuses innovations.
Exploration de nouvelles voies
En premier lieu, SCH revêt désormais occasionnellement la casquette de beatmaker. Si ce qu’il propose reste modeste, ce pas vers la production démontre l’implication complète de l’artiste dans son domaine et offre de nouvelles perspectives pour l’avenir. En tant qu’interprète, SCH offre également de belles surprises. En effet, l’intro révèle enfin le fameux extrait drill teasé plus d’un an auparavant, ce qui élargit à nouveau la palette de registres maîtrisés par le rappeur. Un autre extrait remarquable de l’album se trouve dans Lilou Dallas, plus particulièrement lors de son premier couplet. SCH y adopte un flow chanté intermittent qui se calque sur la légère mélodie inquiétante de l’instrumentale, de quoi déconcerter par l’originalité et l’efficacité de ce procédé.
Enfin, le plus grand pas en avant réalisé par Autobahn est sa reconnaissance de la génération de rappeurs postérieure. Et qui de mieux pour y incarner le futur de la musique que So La Lune ? Les deux artistes ont en commun leur identité (vocale et symbolique) aussi bien clivante que sans compromis. Bien que ces univers semblent en théorie difficilement conciliables, d’autant plus dans un projet avec une telle DA, l’arrivée du Parisien sur le refrain sonne comme une évidence et s’inscrit sans difficulté au sein de la mixtape. Ce refrain témoigne de la fluidité des rapports entre les deux voix pourtant antagonistes, sur une instrumentale qui réalise une synthèse entre leurs sonorités respectives (mélodie typique de So mais percussions à la SCH). Une collaboration particulièrement réussie à laquelle l’espoir de renouvellement est permis par l’admiration profonde que les deux hommes se livrent.
« J’emprunte l’Autobahn, vitesse
Enfant la pluie, j’suis né jour d’tempête » – Transmission Automatique
7 années dans le rétroviseur
Autobahn n’a pas la prétention d’un album mais éveille paradoxalement des attentes énormes car la première mixtape qu’SCH a signé reste en perspective dans les mémoires. Si l’identité n’est naturellement plus la même, l’énergie et la rage semblent inchangées. Celles-ci s’expriment aussi bien à travers des flows coup de poing comme celui du premier couplet de Magnum, qu’explicitement dans les textes.
« J’ai faim comme un rookie, appelez moi « le p’tit nouveau » » – Offshore
En effet, en 2022, le rappeur se retrouve face à un nouveau carrefour mais il n’est plus au fond du gouffre car sa musique le place dans l’élite des rappeurs de ces dernières années, il en a seulement gardé la véhémence. Cette seconde mixtape prouve, par son parti pris, la maturité de l’artiste et marque le retour à un équilibre antérieur, perturbé par l’explosion Bande Organisée. SCH s’est vu projeté sur le devant de la scène et a reçu un succès sans précédent dans un créneau qui n’était pas le sien. Maintenant que la vague est passée, le voir poursuivre sa direction artistique inimitable bien loin du registre de sa première certification diamant a de quoi rassurer.
Si Autobahn ne répond pas aux attentes de chacun, cela s’explique par la renommée d’un tel artiste dont les signes de déclin sont encore lointains et par la moindre ambition du projet. Il s’agit d’une terre d’expérimentation à la manière de Rooftop, les mauvais featurings en moins et une idée conductrice en plus. En fin de compte, SCH étoffe toujours sa polyvalence et orchestre un nouvel univers sonore chaque année, ce dont peu de rappeurs peuvent se vanter.