Spider ZED – Jeune intermittent

Critique

Entre anxiété, privilèges socio-économiques et routine, Jeune Intermittent est un album décalé, qui vient embrasser le paradigme d’un style souvent péjorativement appelé rap de iencli. Mais loin d’être une caricature, il propose une approche rafraîchissante.

Un monde à l’envers

À travers 14 titres, Spider Zed effectue un retour sur lui-même. Une démarche introspective très courante dans le rap, sauf que la vie dépeinte dans Jeune Intermittent est bien loin des codes gansta ou bling bling devenus clichés :

« Tu crois que j’fais joujou, parents aisés, j’ai pas l’droit d’être triste
Je me sens comme Mewtwo : je me demande juste pourquoi j’existe
Représente le 11 comme Bazoo, j’suis pas tellement fier, c’est juste que c’est chez moi »

L’inversion des grands thèmes du rap est une signature de Jeune Intermittent. Ici, Spider Zed parle d’aisance financière devenue un fardeau pour lui étant donné les privilèges engendrés. Si la tristesse est assimilée à la création artistique, lui ne peut donc l’être, et perd l’idée de « vécu » et de storytelling d’une vie difficile gravitant autour de cette dernière.

Le rappeur pousse le concept au bout et s’illustre dans un style qualifiable d’égotrip inversé, toujours en retournant les clichés du rap : 

« J’marque contre mon camp en retourné » ;

« Toujours pas d’équipe-type, j’ai qu’des réservistes, des remplaçants »  

Le contre-pied des métaphores footballistiques et sportives (qui peuvent représenter par exemple la détermination, le trafic de drogue ou un groupe de personnes) permet à Zed de rendre sa vie toujours plus banale avec l’image d’une équipe pas titulaire, et d’un but avec style, mais pas au bon endroit.

Pour autant, le rappeur du 11e arrondissement n’est pas en manque d’inspiration. Il écrit Content, une ode à la « yes life » et au bonheur simple avec le youtuber Québécois Thomas Gautier. C’est pas bien, une chanson qui sonne comme une comptine enfantine aux paroles légères, en feat avec Big Flo et Oli. Et enfin l’excellente Vanessa, une allégorie de la confiance en soi, qui se dévoile au fur et à mesure des écoutes, pour ne citer que ces titres.

La romance d’une vie normale

L’album est dominé par une ambiance planante et joviale, due aux prods riches et pop de Larry Straw (sauf sur Oh, produite par Yaska) et aux paroles et mélodies de Zed. Mais ces éléments ne doivent pas ombrager la fine plume de l’artiste. Ce dernier met au service de Jeune Intermittent son sens de la punchline subtile et des images fortes.

Les morceaux dévoilent alors, au fur et à mesure des écoutes, de plus en plus de thématiques qui touchent le quotidien de tous : burn-out, angoisse, manque de confiance en soi, galères financières, amour, recherche identitaire, routine. Autant de sujets contés par un Spider Zed tantôt incisif, tantôt mélomane.

« Je parle aux autres que si ils viennent vers moi comme un PNJ
J’ai un bon fond, pourtant, personne me voit comme un PNG »

Jeune intermittent passe alors d’un album qui ne raconte rien à un album qui romance une vie normale, et c’est là une de ses forces principales. Zed se grime en storyteller de banalités qui, sous son impulsion, se transforment en aventures.

Une aventure plutôt courte, puisque l’album ne dure que 35 minutes. Mais c’est là aussi une qualité. Les sons sont assez courts, rythmés, certaines mélodies rentrent vite en tête, ce qui offre un potentiel de réécoute. Entre enchaînements musicaux qualitatifs et polyvalence de l’artiste, les chansons se suivent sans problème. Zed kick sur Politique, est un amoureux heureux sur Toi et moi, et s’approprie la mélodie enfantine d’Un monde parfait dans Chaussettes afin d’en faire une chanson contant son spleen routinier.

Dualité et Carences

C’est ainsi une dualité omniprésente qui caractérise le mieux Jeune Intermittent. Et dans l’album, c’est Overdose qui en montre le mieux les facettes :

« J’vais faire une overdose comme un clodo ou une superstar
En attendant j’me fais méga chier »

Des images fortes, simples mais aussi recherchées (opposition entre « clodo » et « superstar », qui ont malgré tout la même fin). Un refrain et une prod efficaces, des thèmes tristes et introspectifs bien qu’universels (relations familiales complexes) ; Overdose porte l’album et son double jeu de la meilleure des manières.

Un bémol cependant, l’artiste a inclus son EP Abonnez-vous dans l’album (les 4 derniers morceaux). C’était probablement une stratégie voulue par Zed, mais il n’y a que 10 sons à découvrir à la sortie. C’est léger pour un album déjà court, qui ressemble alors beaucoup à un mélange entre mixtape et EP. Une progression plus notable aurait pu apporter un supplément d’âme, malgré le travail qui se ressent, l’album aurait gagné à être plus structuré. Jeune Intermittent porte bien son nom, alternant entre un côté artistique très bon et des décisions techniques interrogeables.

Bien qu’imparfait sur ces points, Spider Zed livre un bon album. Même s’il ne met pas tout le monde d’accord sur la scène rap actuelle par son décalage, c’est aussi ce qui fait sa force. Et pour peu que le style particulier de l’artiste soit apprécié, Jeune Intermittent s’écoute et se réécoute facilement.