Comment Illmatic de Nas est devenu l’album de rap le plus influent de l’histoire

On lit souvent qu’Illmatic est le meilleur album de rap, le plus influent. En francophonie, cette idée est parfois rejetée. Le public écoute l’album et ne réalise pas à quel point il est spécial tant il ressemble à d’autres. Logique : Illmatic a créé la norme.

L’album sort en 1994. Nas est alors âgé d’à peine 20 ans. Il commence l’écriture et l’enregistrement du projet aux alentours de ses 17 ans. Avant ça, il se fait déjà remarquer grâce au freestyle « Live At The Barbeque » à l’âge de 16 ans.

Illmatic sort dans un contexte difficile. Le rap new-yorkais est en perdition, son -premier- âge d’or (Run-DMC, Public Enemy, De La Soul, Beastie Boys, Big Daddy Kane…) semble derrière lui. La nouvelle génération peine à montrer le bout de son nez, à innover. Cela changera à partir de 1992 grâce à l’apparition du Wu-Tang Clan et de Nas, symboles du renouveau.

Nas et le Wu Tang Clan
Nas et le Wu-Tang Clan

D’inspiration à influence

L’impact d’Illmatic se fait ressentir dès sa cover. Jusque là, les covers de rap incarnaient des clichés : poses de b-boy, richesses, armes et airs menaçants, filles, voitures… Avec Nas, rien de tout ça. Il s’inspire d’un album de jazz de Howard Hangar Trio : « A Child Is Born » (1974).

Cover de l’album « A Child is born » de Howard Hangar

Le rappeur se montre enfant. Il incarne l’innocence et la naïveté, devant les tours de sa cité, Queensbridge. Une nouvelle forme de cover de rap est née.

L’impact est immédiat. Quelques mois plus tard, The Notorious B.I.G s’en inspire pour la cover de Ready To Die. Le premier d’une longue liste.

Cover de l’album Ready to Die » de Biggie

Dans le rap français, on peut citer Dinos ou Ateyaba parmi les covers chez qui l’influence Illmatic se fait encore ressentir.

Forme devenue norme

L’innovation Illmatic n’est pas uniquement due à sa pochette, loin de là. Sa construction est différente des standards : à peine 10 morceaux, pour 39 minutes. Chose rare à l’époque des albums de plus d’1h, voire 2h. Beaucoup d’albums de rap ont été construits en suivant ce format par après, que ce soit aux États-Unis ou en France. Cela tend cependant à changer, à cause des plateformes de streaming & des rééditions. En effet, au plus un album est long, au plus il fait des ventes…

Nas choisit de proposer la qualité plutôt que la quantité. De ce fait, Illmatic est un album facilement digeste. Il ne contient que 2 featurings : AZ et Q-Tip. Cela permet de créer une cohérence, en évitant les moments creux à cause d’un éventuel niveau inégal avec d’autres rappeurs.

Nas et AZ
Nas et AZ

Pluralité des productions pour un univers singulier

Peu de rappeurs mais plusieurs producteurs. Illmatic est composé par Pete Rock, DJ Premier, Q-Tip, Large Professor et L.E.S. Si cela paraît peu aujourd’hui, à l’époque il s’agit d’une véritable évolution : les projets étaient généralement produits par 1 ou 2 personnes max.

Avoir autant de producteurs sur un album de rap ne se faisait pas pour trois raisons majeures :

-une recherche de cohésion, créer un univers avec un seul producteur est plus facile
-un manque de proximité (qu’elle soit géographique ou humaine)
-une question de budget

Nas a pris le risque de le faire et c’est payant : l’album est très harmonieux, les morceaux se suivent et s’emboîtent facilement. Cette innovation est parfois reprochée. La seule critique qu’Illmatic continue d’essuyer, même 28 ans après, c’est d’avoir ouvert la porte aux albums produits par un grand nombre de personnes.

On voit les retombées aujourd’hui : la plupart des disques partent dans tous les sens musicalement, ou manquent de logique. Pire : les albums produits par une seule personne se sont faire très rares. Ce qui était tout à fait commun avant est devenu exceptionnel.

En 2013, le magazine Complex accusait même Nas d’avoir « ruiné le hip-hop ».

Étudié par les rappeurs et par les étudiants

Au début des années 90, le fast-flow était fréquent, surtout à New-York. L’écriture se voulait brute, sans finesse. Nas a posé ses textes de façon calme, avec des schémas de rimes inédits. Il a poussé les rappeurs à changer de flow, dont son futur rival Jay-Z.

Illmatic fait d’ailleurs partie des 4 premiers albums de rap archivés à la bibliothèque d’Harvard, la plus prestigieuse des universités américaines. Le but est qu’il y soit entre autre étudié (pour son fond et sa forme) par les étudiants. L’artiste a même échangé à propos de l’un des textes d’Illmatic avec Elisa New, professeure de poésie à Harvard.

En résumé, Nas a influencé le son/rap de New-York, et New-York a influencé le reste du monde. Le rappeur synthétisera assez bien cette idée dans une punchline (à l’encontre de Jay-Z) :

« Name a rapper that I ain’t influenced »
Nas-ETHER

Voilà les raisons principales pour lesquelles son premier album est majoritairement considéré comme le meilleur et le plus influent du rap. Nas n’a pas tout inventé, mais il a été le premier à tout faire à un tel niveau.

Rotka
Rotka
Life's a bitch and then you die

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