Rappeur encore trop confidentiel, So La Lune a développé en moins de 3 ans un univers musical riche et envoutant. Son rythme de création, très prolifique, confirme une ambition à la hauteur de son talent.
So La Lune est un artiste originaire des Comores qui partage depuis 2019 son style musical poétique et mélancolique. Il témoigne de son quotidien de Parisien désabusé à travers une voix percutante, élément principal de sa signature sonore. Après une mixtape passée inaperçue durant l’été 2020, So La Lune marque l’année 2021 avec 7 EP de 5 titres. Formant une véritable mythologie autour de son personnage qui, combiné à son silence médiatique, intrigue de plus en plus. Il convient de dépeindre son univers particulier avant la sortie de Fissure de Vie, son premier album (prévu pour 2022).
« Fissure de vie bientôt sur CD » – Montana
Artiste affranchi
Parmi l’innombrable quantité de rappeurs underground ayant fleuri ces derniers temps, So La Lune se démarque par de nombreux parti-pris qui font sa force. Le plus évident reste sa tonalité, particulièrement aigüe lorsqu’il monte en voix de tête, comme sur le morceau Seven Up, mais qui peut aussi devenir plus grave quand il diminue son volume. Cette aisance vocale lui permet aussi bien de maîtriser un chant sur des envolées lyriques qu’un kick incisif sur ses freestyles ou un flow planant lors de certains morceaux légers.
Cependant, comme plusieurs artistes au timbre atypique (Benjamin Epps, Khali), un temps d’adaptation est parfois nécessaire afin d’apprécier pleinement la musique. So La Lune ne se démarque pas que par sa voix, ses choix de prods témoignent également d’une orientation musicale qui lui est propre. Produites notamment par VRSA Drip, ses instrumentales se caractérisent par des drums décalées, une clarté et une rondeur dans les mélodies avec le choix quasiment systématique d’instruments samplés. Cet agencement de prod crée une ambiance exotique et entraînante qui porte d’une émotion à l’autre en fonction de la direction du morceau. Même vis-à-vis de l’industrie de la musique, So La Lune se place à contre courant. Il lance d’ailleurs des piques à sa concurrence au gré de ses morceaux. Au-delà de dénoncer les artifices de ses collègues rappeurs, le jeune Parisien se montre adepte d’égotrip. Il exprime régulièrement sa susceptibilité face à ceux qui osent venir lui parler de rap, lui qui se considère comme un maître en la matière.
« Arrête le rap t’es bien meilleur dans l’cinema » – Santé
« J’vais t’apprendre le rap, miskin, reviens » – Au bélier
Rappeur confirmé
Cette prétention n’est qu’en partie fantasmée car So La Lune possède, malgré son jeune âge, une certaine expérience, ayant commencé le rap en CM2. Ces années passées à s’exercer lui ont permis de se forger de nombreuses armes. La première est une très bonne maîtrise de ses placements et de ses toplines. Ses refrains en sont le meilleur exemple : entre l’entraînant Rodé, le mélancolique Balade et le calme Lune City, tous ont le potentiel pour rester en tête plusieurs jours sans perdre de leur impact.
La seconde est une multitude de gimmicks et de motifs qui se sont accumulés au fil des projets et qui permettent de stimuler sa communauté à leur simple apparition dans un morceau. Un véritable glossaire se répartit donc entre les intros (toujours maîtrisées pour tenir l’auditeur en haleine), les outros et les backs, voire les paroles elles-mêmes. Il suffit d’une écoute pour s’y accoutumer et se sentir plus familier avec l’univers de So La Lune.
La troisième et dernière arme que le rappeur manie avec dextérité n’est autre que sa plume. En effet, même si on ne peut pas le considérer comme lyriciste, So adopte une écriture particulièrement visuelle et poétique à travers les images qu’elle transmet. Ce n’est pas systématique. Cependant, lorsqu’il s’écarte des registres historiques du rap (drogues, filles faciles, déboires judiciaires), il propose des visions floues mais très imagées de ce qu’il peut ressentir, comme dans le morceau Pacifique. Certaines thématiques tiennent d’ailleurs une place majeure dans ses textes et constituent une galaxie qui reste en partie à explorer.
« Le soir j’parle avec la Lune » – Fissure de vie
Un univers à part entière
Comme son nom de scène le suggère, le rappeur entretient une relation toute particulière avec l’environnement nocturne et le satellite de la Planète bleue. Le nom de ses quatre premiers projets de 2021 est d’ailleurs directement relié à cet astre car sa première série d’EP (Théia, Satellite naturel, Orbite et Apollo 11) retrace l’histoire de la Lune. On retrouve également dans ses textes de multiples références à sa connexion presque mystique avec elle. Le calme de la nuit accorde à So un temps de méditation et de sérénité, nécessaire à son processus de création.
Ayant été bercé par l’influence de la culture japonaise, l’ambiance de la ville nocturne n’est pas la seule source d’inspiration du rappeur. Il puise en effet de nombreuses références dans les mangas. Le titre de sa première mixtape, Tsuki (qui est également un de ses surnoms), fait même la synthèse des deux mondes puisqu’il signifie Lune en japonais. So La Lune ne renie pas son environment pour autant, il vit à Paris et s’en revendique, même s’il semble indépendant des différents collectifs de la ville. Son quotidien n’y est cependant pas des plus exaltants, ce qui justifie une forte consommation de drogue et l’envie d’évasion qu’il manifeste régulièrement dans ses morceaux.
Écorché vif
Le sujet le plus fondamental qui est aussi le plus mystérieux reste les fissures de vie, série d’événements tragiques dont So La Lune aurait été victime. Leur importance s’impose puisqu’elles donnent leur nom au premier single de l’artiste, à sa seconde série d’EP de 2021 (première faille, deuxième faille et troisième faille) ainsi qu’à son futur album. Le rappeur semble cependant avoir du mal à se livrer sur ce point, même s’il lui tient à cœur de mentionner son existence. Il dévoile par la même occasion une facette blessée et sensible de sa personnalité.
« J’fais des Tskuithèses qui parlent de s’barrer vers la montagne la vallée, reparler d’nos belles années » – Tsukithèse
Malgré son apparent statut de « rookie » (qu’il réfute), So La Lune est donc un artiste complet et dont les qualités ne sont plus à prouver. Si la stature d’un grand artiste lui manque encore, ses atouts lui permettront de convaincre un large public lorsque l’occasion se présentera. Déjà star du dernier Grünt d’or dans lequel il s’est illustré très récemment, son album prévu pour la première partie de l’année se présente comme l’occasion de franchir un nouveau cap et de continuer à rallier des auditeurs à sa cause, dans une course qui semble inarrêtable.