Sur les bords de la réussite personnelle et participative de LOSO

Nous sommes allés à la rencontre de Loso, fort d’une expérience en indépendant depuis bientôt vingt ans. Précédemment nommé M24, le rappeur est originaire de la périphérie rouennaise. Après une aventure en groupe et un déplacement définitif sur la capitale, il s’est lancé en solo. Son dernier projet date de Novembre 2019. Un délai plus que convenable entre la sortie et cette interview, pour nous permettre d’apprécier et juger son dernier produit « Sur La Rive » et revenir sur le précédent, « Panorama » sorti en 2017. Voici l’échange avec un rappeur engagé et disponible.


 

Pourrais-tu tout d’abord te présenter ? Si j’ai bien suivi ton parcours, auparavant tu t’appelais M24, rappeur de Rouen plus précisément à Val de Reuil et issu du groupe Makizars.

Effectivement, j’ai grandi entre Rouen et Val de Reuil et ai commencé le Rap sous le pseudonyme de M24. Notre groupe MAKIZARS comportait quatre mc’s et un beatmaker. On s’est tout de suite orienté vers un rap qu’on appelait conscient à l’époque, où on avait toujours envie de déployer un message d’indépendantiste aussi bien artistique que social.

Pourquoi avoir changé de nom ?

Une fois le groupe « dissout » que chacun se retrouvait pris par ses responsabilités respectives, j’ai eu envie de poursuivre tout en repartant à zéro. Sous le pseudonyme M24, j’avais sorti déjà pas mal de mixtapes, je les vendais dans la rue c’était mon gagne pain. Avec une vie plus stable qui m’a aussi permis d’amorcer un tournant artistique, je trouvai adéquat de basculer sur un nouveau nom de scène et rompre avec l’ancien moi ce qui a donné vie à LOSO.

On vendait dans toute la France. On bougeait beaucoup, ça a duré deux ans environ et c’était le seul revenu à l’époque.

Ton unique gagne pain à l’époque ?

Oui sur la période du projet « 24 Saisons », de 2005 à 2006 je ne faisais que ça. Samedi, dimanche, lundi à Clignancourt et le reste de la semaine à Châtelet. Les commerçants connaissaient tellement nos têtes qu’un jour, on m’a proposé de travailler. J’ai commencé à Neo Shop puis à Ruffneck sur la Rue Saint Denis. Vers 2008, un ami qui continuait de vendre nos disques s’est retrouvé incarcéré, j’ai donc décidé de retourner sur le terrain. Mais ça avait évolué, désormais on vendait dans toute la France. On bougeait beaucoup, ça a duré deux ans environ et c’était le seul revenu à l’époque.

En 2017 tu as sorti ton premier projet sous ton nouvel alias, « Panorama » et deux ans après « Sur La Rive ». Quand on les écoute à la suite, on sent une légère différence de ton dans l’humeur. Que s’est-il passé en deux ans pour que tu sois plus sombre dans ta musique ? Le premier est par exemple très lumineux jusque dans le choix de la pochette, tout le contraire du second.

Exactement, « Panorama » est très lumineux je pense que j’avais envie de vraiment passer à un « autre style de Rap ». J’avais besoin de propager quelques chose de plus positif, mon mode de vie a beaucoup changé. Je ne fume plus, bois rarement, j’ai des enfants, je suis vraiment devenu quelqu’un d’autre. « Panorama » devient donc une sorte de projet où je suis encore en train de régler ma couleur musicale. En essayant d’avoir une approche mainstream ce qui n’est plus du tout le cas de sur « Sur La Rive ». Où là, je continue d’être transparent avec ce que je suis, mais sans chercher de titres mainstream. Je renoue un peu avec mes premiers textes. J’ai envie de propager mon message sombre ou non mais sans transiger sur mon style. J’essaye vraiment de livrer ce que je suis sur chaque track.

On a fait un saut dans le temps mais il me semble que tes solos sous M24, sont disponibles sur ton SoundCloud ?

Il y a peut être quelques titres mais je suis en train d’uploader une partie de mon catalogue sur les plateformes de streaming. Malheureusement mon premier disque était bourré de samples. J’espère que quelques titres passeront tout de même. Donc d’ici quelques semaines, il devrait être possible de découvrir ou redécouvrir d’anciens morceaux.

Rendons à César ce qui lui revient, c’est via un statut sur les réseaux de Ruf.D, que j’ai découvert ton dernier projet. C’est la pochette qui m’a intrigué. Par ailleurs, ce proche avec qui tu as collaboré par le passé, vous semblez avoir une longue expérience dans l’underground et vous en contentez. C’est voulu ou juste par la force des choses ?

Mon gars Ruf.D, le monde doit découvrir sa voix, il est tellement talentueux ! Je connais énormément d’artistes qui évoluent dans l’underground, le talent n’est pas toujours synonyme de réussite. Pour ma part je ne pense pas avoir réellement essayé de percer. Le circuit était clair : on produit le disque, on sort le vendre, on investi dans le suivant. À aucun moment, je n’ai rêvé d’être connu donc cette position d’artiste underground a toujours été confortable pour moi. Depuis peu, j’ai décidé d’entamer une démarche plus professionnelle en créant ma structure Liberty Seed mais tout ce qui me motive honnêtement ça reste le partage. Dès que je rentre en studio, c’est pour créer puis partager. Au final je pense que le statut d’artiste underground est aussi le fruit de mon investissement. Il y a des artistes qui ne sont pas extrêmement talentueux mais qui se sont toujours battus pour exister aux yeux du grand public et qui aujourd’hui on fait leur place. Leur acharnement a payé et c’est bien. Moi, mon approche est différente.

Peut-on parler d’une scène à Créteil ? Si c’est là-bas que tu as élu domicile en arrivant sur Paris.

Je suis au Nord de Paris. Je ne connais pas très bien Créteil mais via Lalcko, j’ai découvert beaucoup d’artistes et je sais que dans le 94 il y en a un bon nombre. On peut citer Ruf.D, je crois que M City arrive très fort aussi. De toute façon je pense que tout les quartiers de France ont une réserve de talents qui n’attend que d’éclore.

Atis / 70CL ?

J’allais le citer mais je ne sais pas exactement de quel secteur il est mais sûr que 70CL c’est quelque chose. J’ai découvert il y’a quelques années maintenant que Atis est très fort aussi bien niveau Rap que réalisation. Il fait des clips etc… Y’a un vivier impressionnant à vrai dire.

Ta vie ne se limite pas uniquement à la musique, du coup comment tu allies cela à ta vie professionnelle et familiale ?

C’est assez simple au final, ma vie personnelle et professionnelle nourrissent ma vie artistique. Je pense qu’à partir du moment où le Rap n’est pas la ressource première pour un artiste, ça lui laisse la liberté de créer librement. C’est ce qui se passe pour moi.

Revenons-en à tes derniers projets. Ils sont plutôt courts mais tout aussi denses en terme d’écriture. Quel est ton processus créatif ?

J’aime bien les projets courts car je les trouve facile à découvrir puis réécouter et analyser. Niveau processus créatif je n’ai pas le sentiment de beaucoup plancher sur mes projets. Le seul mot d’ordre est d’être sincère. Je passe beaucoup de temps à observer, écouter, j’essaye de lire un maximum. Tout est source d’inspiration pour moi, si je vais au musée ou à une exposition ça peut déclencher une idée qui va aboutir sur un album. Depuis quelques années la société est piégée dans la division. Personne n’y trouve vraiment sa place, je pense que les gens doivent s’accepter pleinement pour pouvoir accepter les autres. C’est ce raisonnement qui a donné « Sur La Rive ». Ça c’est pour l’aspect créatif. Pour la réalisation c’est le feeling, une bonne instru, toutes ces idées amassées et boum un titre qui sort.

Tu écris sur une instru avant d’aller en studio ou tout se passe lors de l’enregistrement ?

J’essaye de toujours optimiser mon temps un maximum donc quand j’entre en studio tout est déjà écrit. Si quelque chose me dérange, je peux écrire à nouveau sur place. Changer le refrain, ça c’est la part du travail qu’on fait sur place. Pour une collaboration, ça dépend soit on crée tout au studio, soit on en a déjà parlé avant. En gros j’aime que 90 % soit prêt, comme ça je gagne du temps. Je termine ma séance avec le nombre de morceaux que je voulais, j’aime bien travailler comme ça.

D’ailleurs pour le moment tu n’as pas fait de collaboration ?

Oui c’est un choix. Tout ce qui a été enregistré jusqu’ici, sont des solos y compris sur SLR2. On va voir quand je commencerai à inviter des artistes. Ça dépendra aussi et surtout du projet.

SLR2 !?

« Sur La Rive 2 » est en mix au moment où on parle. Le confinement ne doit pas nous ralentir.

Comment définis-tu ton style de rap ?

C’est une question que je trouve difficile à répondre. Je pense que mon rap est dynamique et vecteur d’un message. J’essaye d’associer le style et la plume. C’est pas ce qu’il y’a de plus évident mais c’est ce que j’aime dans la musique, être à l’heure artistiquement mais garder son sens pour que le message reste.

Faire comprendre aux auditeurs que rien ne peut les stopper. Il faut avoir un objectif, de l’ambition dans la vie.

« Ambition » [produit par Dj Easy] c’est ton propre parcours ? J’ai l’impression que tu t’adresses à ta propre personne. Tu fais souvent part de motivation, positivité, réussite sur ce projet. C’est aussi le cas sur « Marche Arrière » [Phohat], « Horloger » et « Panorama » [produits par P.Cabbin] qui clôture l’album.

Oui c’est l’objectif. Faire comprendre aux auditeurs que rien ne peut les stopper. Il faut avoir un objectif, de l’ambition dans la vie. J’estime être parti d’en bas comme beaucoup de gens mais le fait de croire en mes objectifs et de me battre pour, ça m’a permis de toujours obtenir ce que je voulais. Effectivement tous les titres que tu viens de citer c’est moi 100 %.

T’es à la limite du rap conscient et religieux mais pas comme on pourrait l’entendre. Vois-tu ce que je veux dire par rapport à ces deux genres ? Il y a un côté très apaisant si je peux le dire ainsi. Je pense notamment sur « Le cœur » [Sleez Beats] et « Étoile noire » [Exxtazy].

Je vois totalement oui. Je pars du principe qu’il serait irresponsable de dire des choses que je n’appliquerai pas. Je ne peux pas pousser l’auditeur à aller braquer alors que je ne le ferais pas du tout. Comme je ne peux pas vanter la débauche donc oui la spiritualité a une place importante dans ma vie. Le civisme et la spiritualité ça peut sauver quelqu’un. « Le cœur » c’est la course à l’inutile, la surconsommation, la perte de l’essentiel. « Étoile noire » c’est une référence à mes origines ghanéennes. Au panafricanisme qu’elle symbolise et côté science fiction c’est l’Étoile de la Mort dans Star Wars. Oui, je trouve intéressant de mettre en confrontation l’espoir et le néant. Ça pousse à se battre, j’aime bien.

Quelles sont les paroles du titre en fond vers la fin de « Tout ce que j’ai » ? Sur « Décroche » [Alwio] tu dis, Je graverai ma tête sur des billets / Pour que jamais tu ne puisses m’oublier. C’est un clin d’œil à une phase déjà existante? Ajouté à ceux-là, « Toi » [Dj Easy] et « Sundae Caramel » [Ja7cee] ça fait quatre titres romantiques à souhait qui sonnent aussi très sincères quand tu abordes l’amour en couple.

Merci, je pars du principe qu’en étant sincère ça marche. Si on fait semblant ou qu’on raconte une fausse histoire ça ne fonctionne pas. Il faut puiser dans ses expériences personnelles pour pouvoir les développer ou les extrapoler, c’est là que la magie opère. « Tout ce que j’ai » le titre a été composé par Alwio. Il y a des voix qui sont jouées ce qui sonne très bien mais ce n’est pas un sample avec un message particulier c’est juste beau [rires]. « Décroche » et la phase Je graverai ma tête… c’est une référence au livre « Ubik » de Philippe K. Dick, qui a écrit le livre à l’origine du film Blade Runner. Il y a un passage où l’un des protagonistes voit le visage d’une personne qu’il pense décédée, sur des pièces. « Sundae Caramel » tout est parti d’un top en dentelle que j’avais en vente dans un magasin. J’avais une boutique de prêt-à-porter féminin. Je l’ai regardé et j’ai décidé de partir d’un bout de tissu pour en faire un titre. D’ailleurs j’oubliais mais « Tout ce que j’ai » est le titre qui a eu le plus de retombées. Passage web radio, beaucoup de messages sur les réseaux sociaux. C’est vraiment un titre simple mais qui a touché.

Sur « Minimum » [Phohat] qui est le premier titre du projet « Sur La Rive », tu es d’entrée engagé tout en jonglant entre l’égotrip, la dénonciation sur l’Histoire, les jeunes rappeurs et ton vécu.

Oui, la prise de position est plus palpable sur ce projet. « Minimum » ouvre le bal, j’y pointe du doigt le regard qui est posé sur nous. Sans épargner les rappeurs qui nourrissent les clichés. Dans les extraits audio, on y retrouve Sand Van Roy qui est une présumée victime d’agression sexuelle par une personnalité du cinéma francais. Audrey Pulvar qui évoque « La coloniale » de l’Armée française. Coluche qui décrit très bien les français de tout horizon.

Tu enfonces le clou sur « Itinéraire » [Ja7cee] qui contient Je soutiens business de peau foncée / Républicains sont offensés mais aussi énormément de références repêchées sur ton parcours. Peux-tu nous parler de Richard Wright dont tu as extrait un passage du livre Enfant du Pays au début du clip ? Pourquoi ce décor très parisien ?

Dans le livre « Un enfant du Pays », il est question d’un jeune homme noir pris au piège dans un monde qui n’est pas le sien. Tout ce qui est attrayant lui est interdit, lui est inaccessible. Si on fait abstraction de la couleur de peau, c’est ce que vivent plus de la moitié des français et même des hommes et des femmes dans le monde. La société de consommation s’adresse à ceux qui peuvent consommer, laisse les autres sur le côté. Voilà pourquoi clipper à Place Vendôme me semblait intéressant. Toujours opposer les mondes. Soutenir business de peau foncée c’est un mode de vie. Il faut aider et développer notre communauté sans tomber dans l’extrême. Ça serait jouer le jeu du racisme et ça c’est un piège. Mais il faut savoir aider nos frères et sœurs quand on le peut.

« Yep » [Ja7cee] est une version plus cool et abordable de « Itinéraire » : Je te livre un album de huit titres / Sans insérer une insulteau père de ma mère / Qui a combattu SS.

Le projet commence par l’opposition et fini par l’acceptation « Première Dame de France m’accueille en me faisant la bise ». La phase sur les SS est vraie mon grand-père maternel s’est retrouvé en camp de travail et a combattu l’ennemi. Donc la France c’est NOUS, peu importe nos origines, nos religions etc… la France c’est NOUS ! Quand je dis que je livre un album sans une insulte, c’est vrai. Je ne pense pas avoir besoin d’être grossier pour impacter. Ça m’est venu naturellement depuis « Panorama » d’ailleurs. J’essaye d’avoir des paroles accessibles à tous, ça permet d’échanger.

Quel est l’extrait du film au départ de « Nuit » [Ja7cee] ? J’ai bloqué une table de treize / Allons manger rejouer la Cène. On en revient à la peinture mais aussi la religion. Est-ce le titre le plus représentatif de ton style ? C’est à dire, bien bonhomme est l’attitude mais aussi bien pour l’égalité des sexes et contre toutes les discriminations.

Ça me définit bien oui. C’est tout à fait ce que je suis. J’ai beaucoup de phases plus ou moins cachées faisant référence à la spiritualité. J’aime bien inclure ce message. Au début de « Nuit » l’extrait audio vient de « 187 code meurtre » avec Samuel L. Jackson. Une manière d’évoquer la force de l’éducation, du savoir face au fléau de l’ignorance.

Pourquoi ce choix de garder la VO ?

J’ai longtemps réfléchi. Je pensais mettre en français pour que ce soit plus accessible mais au final je suis dans la VO. Netflix tout ce que je regarde c’est en VOST mais toujours VO. Donc on a gardé comme ça.

Sur « Ocho » [Phohat] on a droit à des notes de musique latine. Tu narres la vie de rue. Quelle est la traduction du titre et terme cocina ?

La Cocina c’est la cuisine en espagnol. La cuisine dans l’univers du Rap c’est là où on prépare la marchandise. C’est donc là que je suis toujours aux fourneaux. En train de préparer le prochain disque. Ocho c’est le 8, l’infini, rien ne s’arrête jamais. On verse l’alcool au sol pour les disparus. Je fais un huit pour ne jamais les oublier.

Second extrait d’un film sur « Rivages » [Phohat], un personnage en mer s’adresse à un autre et lui demande où se trouve la terre. Cette fois, il y a une ambiance de musique traditionnelle africaine. Comme si tu te mettais à la place du personnage et évaluais ta situation de naufragé.

J’aime beaucoup ce titre. L’extrait vient de « Racines » lorsque Kunta Kinte découvre que la terre a disparu. C’est un peu le tournant du disque. On a utilisé cette disparition de la terre pour faire un parallèle avec l’éloignement de l’être aimé sur le titre « Terra ». On aborde ce thème dès le poème en parlant de la déesse Gaïa. J’ai essayé d’inclure plusieurs lectures à « Sur La Rive ».

En effet, une mise en situation que tu poursuis sur l’interlude de l’album. Pourquoi ce choix de 40 secondes récité ?

Ça s’est fait un peu à l’improviste mais un de mes collaborateurs a insisté pour qu’on prenne le temps de dire, ce que ce projet déployait comme idée. On a donc décidé de le faire acapella, ça permet peut être une seconde écoute plus approfondie.

On retrouve ton côté lover sur « Terra » [Ja7cee]. Amoureux au sens large de ta femme, famille, des bonnes choses. C’est important pour toi d’équilibrer ta musique avec ce genre de titre ? Simple et profond.

Pour moi c’est la base. Profiter de choses simples c’est ce qui permet d’avancer. Courir après le matériel c’est une course sans fin. À l’inverse, prendre conscience de la valeur des choses, savoir les apprécier c’est un véritable luxe à mes yeux. Je pense qu’il y aura toujours des titres comme ça dans mes projets.

En 2014 à l’Abcdrduson, tu disais n’avoir jamais mis pieds au Ghana, pays d’origine de ton père. Entre temps tu as pu t’y rendre. Peux-tu nous parler de ton séjour et ce qu’il représente pour toi ?

C’est la première fois que je me suis senti réellement chez moi, l’accueil était formidable. J’ai eu la chance d’aller sur les terres de mes aïeux, passer du temps avec ma famille au sens élargi, payer le respect aux défunts, savourer des instants simple, une bière, des brochettes dans un maki [bar populaire], attieké poisson dans la cour familiale. C’était un véritable retour aux sources.

As-tu ressenti une différence avec tes séjours au Cameroun ?

Pas vraiment. En dehors de l’aspect familial qui était présent au Ghana, mes séjours au Cameroun étaient très similaires. Je pense que l’Afrique en générale pour ce que j’ai connu, du Maroc au Ghana en passant par le Cameroun, à un mode de fonctionnement et des valeurs qui n’existent plus en Europe. Le partage, s’assurer du bien être de son prochain à plus d’importance là-bas qu’ici. On a énormément à apprendre.

Sur Twitter tu as mentionné IAM, du fait que vous vous êtes inspirés de la même toile pour la pochette de votre dernier projet respectif. As-tu eu un retour de leur part ? Peux-tu nous expliquer le choix de ce tableau, Le Radeau de La Méduse de Théodore Géricault ?

Historiquement, le Radeau de la Méduse est une œuvre d’art qui décrit un échec puissant de la colonisation. Le navire s’est échoué au large du Sénégal et le peu de survivants s’est entretué par « survie » sur le radeau. Je trouve que cette toile est la description parfaite de notre société en perdition, où les gens s’écrasent les uns sur les autres pour exister. On peut aussi faire le lien avec les migrants qui fuient des pays en guerre et atteignent l’Europe dans des conditions effroyables. Pour moi rien n’était plus éloquent que cette œuvre de Gericault. Concernant IAM je n’ai pas eu d’échos non [rires].

Je trouve que cette toile est la description parfaite de notre société en perdition, où les gens s’écrasent les uns sur les autres pour exister.

Tu n’hésites pas à partager ton nombre de streams sur tes réseaux. Peux-tu nous expliquer comment ça fonctionne pour un artiste comme toi, la rémunération et ce que tu en fais dans ton développement artistique ? Sachant que tu as débuté par la vente de physique, main à la main. 

D’expérience, la vente main à main est fastidieuse mais le retour est direct à environ 10 € le CD, ça monte vite. Le problème est que en séminaire de vente, il faut payer l’hôtel, la nourriture au quotidiens l’essence etc. Donc au final ça part très rapidement mais ça te laisse de quoi prendre en charge tes prochains enregistrements, ton pressage, ton loyer, donc ça tourne. De nos jours, c’est le stream, et là pour toucher dessus il faut vraiment exploser les stats ce n’est pas encore mon cas. Grâce à la SACEM, tu peux toucher un 300 €, 400 € par répartitions selon si tu as produit, pressé des disques. Rien de bien affolant, donc concrètement pour un artiste indépendant, si tu veux faire de la musique pour gagner de l’argent, arrête tout de suite. Y’a des choses bien plus lucratives et moins aléatoires pour gagner sa vie. Si tu le fais pour toucher les gens et que par miracle tu en fais ton métier, bravo mais c’est un coup de poker.

Tu as ton propre label de production et d’édition, Liberty Seed. Peux tu nous le présenter ? Sur le site internet, il est défini comme un véritable engagement mixant art et mode. Une idée comme a pu avoir Nipsey Hussle. Quel est ton rapport à son parcours ?

Liberty Seed c’est vraiment le cœur de mes différents intérêts. À savoir la mode, milieu dans lequel j’exerce depuis un certain nombre d’années, la musique et l’investissement associatif. J’y fais mes premiers pas mais c’est important à mes yeux de distribuer aux personnes dans le besoin. J’aimerai aider à mon niveau et apporter ma pierre à l’édifice. Essayer de soutenir financièrement les combats pour lesquels je prends position dans mes textes. Lutte contre la discrimination, égalité hommes femmes, éducation. Nipsey Hussle était un exemple. On a commencé par vendre nos disques dans la rue puis créer des sociétés. Il y a deux ans j’ouvrais un magasin de prêt-à-porter. C’est un exemple on revient toujours aux mêmes principes, l’ambition avant tout après rien n’est impossible.

Qu’en est-il de ce magasin ?

Les premiers mois étaient très intéressants. Le concept d’une mode accessible avec des grandes tailles a très séduit mais le tournant a été Octobre-Novembre 2018. Quand le mouvement des Gilets Jaunes s’est endurci, que les gens faisaient des manifestations en ville etc… Pour une boutique en province, il te suffit de quelques mois pour te mettre K.O, les gens bloquent ta rue etc… C’était compliqué, heureusement que j’avais pris un bail précaire pour ne pas trop prendre de risque. Au final j’ai fermé à la fin du contrat. Mais c’était une bonne expérience, je comprends les Gilets Jaunes mais il faut garder en tête que les commerçants, c’est pas juste des gens blindés. C’est juste des hommes et des femmes qui se bougent pour rentrer de l’argent et parfois faciliter la vie de leur consommateurs.

Connais-tu le créateur Ikiré JonesLa pochette de SLR m’a aussi renvoyé à son travail. Qu’en penses-tu ?

Non je ne connaissais pas je viens de le suivre à l’instant sur Insta. C’est très beau ce qu’il fait. Les imprimés sont magnifiques je vais suivre de plus près. Je pense que le style carré de soie avec peinture et illustration crée le lien avec le visuel oui, qu’on dirait un peu noué sur mon visage c’est vraiment la même ambiance.

Qu’écoutes-tu en ce moment ? En dehors de Gregory Porter dans la sélection jazz.

[Rires] En ce moment beaucoup d’instru sinon The Game, Jadakiss, Boogie, Kanye West, Stormzy, Stonebwoy. C’est ce qui tourne beaucoup dans mon Tidal.

Loin l’envie de vous comparer mais lorsque je t’écoute, m’imagine une collaboration avec Djé et Prince Waly sur un track. Trouves-tu l’association judicieuse ?

Mixer la rue, le story telling et la vision est un mélange intéressant ça pourrait sonner bien.

Nous vivons une période de confinement suite au Coronavirus. Cela t’inspire un projet plus proche de « Panorama » ou SLR ? Sachant qu’il y a déjà un SLR2 en route. Peux-tu nous dire quelle va être l’ambiance et du coup que t’inspire la situation actuelle ?

Là on est tous « Sur La Rive ». « Panorama » je prenais mes marques mais SLR c’est la ligne de conduite donc tout ce qui va arriver sera dans la lignée de SLR. Vue sous différents prismes mais l’idée reste la même. La situation de confinement, j’espère que ça poussera les gens à appréhender le monde différemment. Se remettre en question sur notre mode de fonctionnement, sur notre modèle de société et peut être permettre à tous de  penser plus aux autres. D’être plus dans le partage et l’acceptation pour avancer, sont tout ce que ça m’inspire ou plutôt conforte dans mon raisonnement.

La situation de confinement, j’espère que ça poussera les gens à appréhender le monde différemment.

Comment vois-tu l’avenir en tant que citoyen ?

En tant que citoyen, il faut penser civisme, tolérance et partage. C’est des valeurs simples et elles facilitent le quotidien.

Toute proportion gardée et pour revenir sur un échange amusé sur les réseaux. Sibeth Ndiaye mouille plus le maillot que Henri Guaino ?

Les politiciens on peut difficilement leur faire confiance mais au moins Sibeth Ndiaye ne mise pas sur la division et la discrimination. Donc rien que pour ça, je supporte après ce que le gouvernement la pousse à faire c’est autre chose.

As-tu quelque chose à ajouter pour conclure l’interview ?

Rien de particulier, à part que je te remercie d’avoir passer du temps à te renseigner, écouter des titres, lire des interviews. Ça a été agréable d’échanger et d’avoir ton ressenti sur les titres. Je ne sais pas quand les lecteurs auront accès à cette interview* mais si le confinement est toujours d’actualité, restez chez vous, donnez de la force au personnel soignant. Courage et force à tous !

*Propos recueillis le 22 Mars 2020.

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