Big Sean s’était absenté après avoir dévoilé une série de projets peu convaincants. Il est revenu par la grande porte avec Detroit 2, qui s’impose comme l’un de ses meilleurs albums.
Période creuse et retour aux sources
A la suite de débuts prometteurs, la carrière de Big Sean a ralenti au milieu des années 2010. La faute aux sorties précipitées de l’album collaboratif Twenty88 en 2016 (groupe du même nom qu’il forme avec sa copine Jhené Aiko), du complexe mais décevant I Decided en 2017, et de la mixtape Double Or Nothing, entièrement produite par Metro Boomin, sortie quelques mois plus tard.
Les trois projets ont eu un accueil critique mitigé voire mauvais, et seul I Decided a connu un beau succès commercial. Big Sean a partiellement compris qu’il vaut mieux proposer de la qualité plutôt que de la quantité. Il s’est retiré de la musique pendant trois années pour travailler son album Detroit 2. Offrir une suite à sa mixtape sortie 8 ans auparavant est un pari risqué, la première version n’en avait pas besoin tant elle était réussie et se suffisait.
Big Sean déchaîné
Cette absence semble lui avoir laissé l’estomac creux, il rappe la faim au ventre, comme un rappeur qui a tout à prouver, comme le Big Sean qu’il était à la sortie de Detroit en 2012. Dès l’intro Why Would I Stop? il s’attaque à ses détracteurs, et pose une question essentielle : pourquoi arrêter quand on est inarrêtable ?
And they want me to stop but why would I stop?
Huh? I am unstoppable
Hold up, why would I stop?
Il en profite pour rappeler son amour envers Detroit, car c’est bien de ça qu’il s’agit : l’album est une lettre ouverte à la ville qui l’a vu grandir. Il va y faire référence dans la quasi-totalité des morceaux. Cette intro explosive donne la température et figure comme l’un des principaux moments forts du disque.
Dès le morceau suivant Lucky Me, la température baisse : il peine à démarrer. Big Sean utilise l’anaphore « lucky me » pour bâtir la première partie introspective et recenser ses bénédictions. L’utilisation d’une telle figure de style, couplée à une absence de refrain et une courte boucle pour le beat rend cette partie redondante et ennuyante. C’est seulement au bout de 2mn15 qu’il y a un beat switch, et que Big Sean change de flow pour accélérer la cadence et offrir de l’égotrip. Et finalement, la chose la plus marquante de la chanson est la confession du rappeur à propos de ses problèmes cardiaques, quand il confie ne plus croire à la médecine occidentale.
I was diagnosed with a heart disease at 19
Could barely stand on my feet
Doctors said they had to cut it open, put a pacemaker on it to put it back on beat
‘Til my mama took me to holistic doctors and they prescribed me magnesium for two weeks
Went back to the regular doctors and they said, « Huh, damn, looks like we don’t need to proceed »
That’s how I know that western medicine weak
Beaucoup d’invités et de morceaux
Une trentaine d’artistes pour une vingtaine de tracks. Des chiffres qui donnent le vertige, et qui rendent difficile la création d’une œuvre complète sans en faire trop. Difficulté qui a impacté l’album. Detroit 2 contient de très bons morceaux collaboratifs, tel le single Deep Reverence. Le défunt Nispsey Hussle tutoie les étoiles comme il le faisait si bien lors de Victory Lap, son dernier album. Big Sean délivre un très bon couplet introspectif. Il affirme d’ailleurs que le décès de Nipsey l’a poussé à enterrer la hache de guerre avec Kendrick, embrouille qui a éclaté après le couplet de ce dernier sur Control.
En fin de morceau, il y a un extrait de Nipsey qui parle de Detroit, et qui affirme vouloir travailler avec Big Sean. Poser cet extrait permet de faire d’une pierre deux coups : il efface le doute à propos de sa conception, la collaboration est naturelle. Et elle a parfaitement sa place dans un album qui vante Detroit.
On doit le meilleur morceau du disque à un quatuor : Anderson.Paak, Earlly Mac, Wale et évidemment Big Sean. L’alchimie partagée par les artistes dans Guard Your Heart est remarquable, comme la prod. Tout est à un niveau similaire, celui de l’excellence. L’autre collaboration qui fonctionne bien est Respect It, featuring Young Thug. Les deux rappeurs sont diamétralement opposés, mais tellement complémentaires. La star d’Atlanta continue son année 2020 impressionnante, et sa folie apporte beaucoup à Detroit 2. Malheureusement, on ne peut pas en dire de même de tous les invités.
Des collaborations anecdotiques
Contrairement à Young Thug, Travis Scott peine à amener de la créativité à l’album. Ses ad-libs sur le banal ZTFO servent juste à teaser son arrivée trois pistes plus tard. Et sa prestation dans Lithuania est en dessous de ses standards habituels. Les deux morceaux qu’ils partagent sont largement moins bons que toutes les autres chansons qu’ils ont offertes par le passé, comme l’inoubliable Don’t Play.
Dans la lignée de cette collaboration négligeable, il y a également Friday Night Cypher. 14 artistes de Detroit (11 rappeurs et 3 producteurs) se succèdent. Les rappeurs font de l’egotrip et le beat change de temps en temps. L’ambiance « cypher » (comprenez freestyle groupé) est respectée, mais le temps devient de plus en plus long au fil des 9 minutes, d’autant plus qu’il n’y a pas de cohésion artistique entre les acteurs présents. Le morceau perd donc assez vite en replay-value au bout de quelques écoutes.
Pour continuer dans l’anecdotique, on peut citer les interludes de l’album. Il y en a 3, et à chaque fois c’est le même procédé : un invité se confie à travers un long monologue. Ainsi, Erykah Badu parle de son amour pour la musique, Dave Chapelle raconte une anecdote à propos de l’un de ses passages à Detroit, et Stevie Wonder dévoile son enfance dans cette ville, et sa vision philosophique de la vie, lui qui souffre de cécité. Les trois histoires sont agréables à entendre pour la première fois, mais là encore, elles deviennent vite lassantes au fil des écoutes. Regrettable, Big Sean aurait dû proposer quelque chose de plus intéressant avec des artistes d’une telle qualité.
Post Malone a lui aussi été mal utilisé dans Wolves : son couplet est largement en dessous de ce que propose Big Sean, et sa présence aurait été plus adaptée au refrain. Il est dans la continuité de son Hollywood’s Bleeding : fade et prévisible.
Big Sean s’essaie au RnB deux fois. La première c’est dans l’onctueux Body Language, en compagnie de Ty Dolla $ign et Jhené Aiko, une belle réussite. Cependant, à l’occasion de Time In il reforme le duo TWENTY88 avec Jhené Aiko et livre un morceau à l’image de leur projet collaboratif de l’époque : un échec.
Jamais mieux servi que par soi-même
Les morceaux où Big Sean se retrouve seul sont souvent mieux que ceux proposés avec d’autres artistes. Harder Than My Demons en est l’exemple idéal : il découpe parfaitement la prod et dévoile un rap beaucoup plus positif et optimiste que celui auquel il nous a habitués. La chanson fait penser à Nice For What de Drake, et c’est un avantage. Le seul défaut qu’on peut lui trouver c’est sa courte durée : deux minutes. C’est à ce style de sons que le rappeur aurait dû accorder plus de place au sein l’album, plutôt qu’à un cypher ou des interludes interminables.
Avec Detroit 2, Big Sean ne salit pas le premier. Véritable exploit lorsqu’on sait que souvent c’est l’inverse qui se produit quand les rappeurs veulent offrir une suite peu nécessaire. L’album souffre des mêmes défauts que les précédents, des choix artistiques questionnables, des featurings qui n’apportent pas toujours leur pierre à l’édifice, quelques morceaux à rallonge et des productions inconsistantes. Mais cela ne l’empêche pas d’offrir un album qui contient de très bons sons et qui se hisse dans le haut du panier de sa discographie.