Savage Mode est le projet le plus iconique de 21 Savage et Metro Boomin et a su s’imposer au fil du temps comme un classique de la trap par son univers si singulier dont une grande influence a découlé. Réaliser la suite d’un album aussi important et toujours un pari risqué, et c’est ici celui que 21 et Metro ont choisi de prendre. Quatre années plus tard et après moult mois de préparation, Savage Mode II est donc enfin là. Teasé en grandes pompes avec une vidéo digne d’un court métrage, la hype a été intense dès son entame, annonçant la noirceur désormais connue du duo, avec un effet filmographique en plus cette fois-ci. La voix de Morgan Freeman n’en accentue qu’encore plus l’effet. De plus, la cover aux influences reconnaissables de la Dirty South laissait à présager une couleur similaire à venir qui pourrai parsemer le fil de l’album. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour laisser place à une grande suite de l’aîné Savage Mode. Il ne restait donc plus qu’au chef d’orchestre et à son artiste de combler les grosses attentes mises en place.
L’esprit Savage Mode
Dans toute suite de projet, il est fondamental que demeure l’esprit instauré dans la démarche artistique et musicale de celui-ci. C’est ici ce qui a été respecté dans un premier temps par le duo. L’atmosphère Savage Mode est bien présente avec des morceaux comme Runnin’, Glock in my Lap, Many Men, Slidin’ ou encore My Dawg. Les ténèbres de Savage Mode ressortent à travers des morceaux comme ceux-ci, présents sur le deuxième opus. Toutefois, il n’est pas question ici de réitérer la musicalité du premier trait pour trait, puisqu’en plus de l’esprit, un nouvel apport musical est ajouté. En effet, Metro Boomin comme 21 Savage augmentent leur niveau dans leurs travaux respectifs, la production pour le premier, les performances pour le deuxième. Metro ajoute donc une touche cinématographique à son instrumentalisation, avec un côté épique qui se différencie du premier Savage Mode. Les productions connaissent plus d’envolées avec des ajouts d’éléments divers, que ce soit des bruitages parfois semblables à des portes qui grincent ou encore des voix hantées qui envoûtent l’atmosphère de sa musique. 21 suit cette tendance puisque par l’explosivité des productions il se doit de proposer des performances à la hauteur. Le contrat est donc rempli, avec une richesse apportée à sa palette de performances, où il muscle son jeu avec des flows plus percutants et moins lancinants comme sur Runnin’, des mélodies ténébreuses collant à la tendance de Metro pour Slidin’ par exemple, et des placements parfois étonnants, où il demeure chirurgical sur certains morceaux comme Many Men, rappelant certains flows que pouvaient adopter les trappeurs des débuts et les artistes de Memphis ainsi que de Houston, qui sont ses modèles, à l’image de l’esprit de la cover.
En dehors de la musicalité horrifique de cette partie là du projet, un fil conducteur cinématographique y est apporté. Comme précisé auparavant, les productions grandioses de Metro Boomin y jouent une part de responsabilité, mais les transitions en sont encore plus importantes. Pour cela le duo a vu grand en invitant le légendaire acteur Morgan Freeman qui prête sa voix à la narration du projet. C’est donc ainsi que tout au long de l’album nous pouvons suivre un fil qui augmente l’immersion de cette expérience intense de 45 minutes. La parole de Morgan Freeman apporte un charisme avec sa voix profonde qui captive, en nous présentant l’esprit Savage Mode et en apportant des transitions idéales entre les morceaux. Il peut ainsi parfaitement introduire le morceau Snitches & Rats avec son interlude qui nous en présente le thème, ou encore transiter entre Slidin’ et Many Men, moment fort de l’album. Il s’occupe même de réaliser la mise en place du projet avec Intro, où il présente la mentalité Savage Mode avec l’union de Metro Boomin et 21 Savage pour réaliser ce Savage Mode II. Qui de mieux donc que Morgan Freeman pour narrer la trame artistique d’un album qui se veut scénaristique par son ambiance, où sa voix va peser encore plus sur l’atmosphère que Metro veut mettre en place. Présent tout au long de l’album, il va même jusqu’à le conclure sur une ouverture musicale en rappelant de rester en Savage Mode jusqu’à la prochaine fois. En terme d’ouvertures, c’est d’ailleurs là que la seconde partie de l’album va se jouer.
Une ouverture musicale bien sentie
Malgré le fait que Metro et 21 ont repris les codes de Savage Mode en les améliorant pour le second volet, ils ne se sont pas reposer sur cette musicalité en restant fermés dans cet univers musical. Des ouvertures ont été apportées, tout d’abord par les morceaux avec les featurings. Mr. Right Now avec Drake apporte une musicalité propre à ce dernier qui embarque Metro dans ses sonorités, et pousse 21 vers le chant et la mélodie qu’il a travaillé ces dernières années pour la peaufiner encore plus. Quant à Rich Nigga Shit, le morceau se veut très aérien et planant, avec une production éclairée très riche par ses keys et ses percussions avec l’ajout de saxophone, et un Young Thug dans ses gammes cristallines qu’il a pu proposer ces derniers temps. Par la suite, Step On Niggas justifiera totalement le ton de la cover, avec une influence très old school que Metro rapporte par sa production, où les snares et les scratches rappellent très clairement les grandes heures de la Dirty South musicalement. Enfin, la conclusion de l’album se penchera avec insistance sur ces ouvertures musicales, où le trio No Opp Left Behind, RIP Luv et Said N Done terminera l’album avec cette tendance. Le premier transite parfaitement après les morceaux sombres où il fait un bon entre-deux entre ceux-ci et les ouvertures, le deuxième vire totalement dans cette optique pour introduire le troisième qui insufflera encore une inspiration à l’ancienne avec le sample de la voix féminine et les crépitements de la production. Néanmoins après avoir relevé ces ouvertures, il est important de se demander si elles rentrent ou non sur un projet dénommé Savage Mode.
En effet, ce genre de contrepieds musicaux peuvent désarçonner à la première écoute dans un projet avec une direction artistique si identitaire que l’on connaît déjà. Cependant avec le recul elle n’en est pas moins logique. Le premier Savage Mode avait un certain esprit de conquête, 21 Savage était encore méconnu et avait l’ambition de se faire un nom à travers cette attitude sauvage qui lui permettrait de gravir les échelons. Quatre ans plus tard c’est désormais chose faite puisqu’il demeure maintenant comme un poids lourd. Les objectifs de réussite qu’il avait depuis le premier Savage Mode sont comblés et il est intéressant de voir comment il peut en profiter maintenant à travers des sonorités plus apaisantes sur les ouvertures musicales, traduisant bien son état d’esprit. De plus, le projet se voulant comme un film d’horreur mis en musique avec ses sonorités sombres, il est à noter aussi que les films du genre ne sont pas non plus sombres du début à la fin, puisqu’il y a souvent des moments de lumière et parfois des fins joyeuses, ce qui est bien retranscrit en musique avec certaines ouvertures avant le retour à la noirceur, ou avec la fin éclairée. De plus, pour ce qui est des ouvertures à sonorités retro, elles s’inscrivent logiquement dans un album trap où les protagonistes ont été bercés par cette époque là, et sont d’autant plus anticipées par la cover qui en reprenait la typographie et même les éléments de richesse montrant la réussite du duo. Toutes ces composantes aboutissent donc à un album cohérent, ponctué à la fois de sonorités sombres propres à Savage Mode, mais aussi des ouvertures abouties qu’ils ont travaillées durant ces quatre années ainsi que leurs influences du passé.
Savage Mode II est donc une réussite dans sa globalité. 21 Savage et Metro Boomin y reprennent les codes de leur classique en les élevant au rang de musique plus épique, et en y apportant tous leurs apprentissages artistiques glanés durant la période qui sépare les deux projets. Un bon retour aux sources est également opéré pour rendre hommage à une scène les ayant façonnés, pour un rendu final complet, marquant leur réussite et leur esprit toujours en Savage Mode. Les ouvertures n’en feront pas un album incontestable car certains choix de direction artistique seront remis en compte, mais il en demeure que le duo a bien travaillé son univers une fois de plus en livrant une musicalité diversifiée, riche, et singulière dans le paysage actuel du rap américain, qui ressortira clairement des autres sorties de l’année.