Entamant l’année 2019 avec sa série des DRILL FR, Gazo vit sa côte exploser après le quatrième opus de la série en featuring avec Freeze Corleone. Grâce à sa voix grave et ses gimmicks reconnaissables, il fît peu à peu son trou au sein d’une scène drill francophone en ébullition – on vous en parlait déjà ici en 2020, Gazo représentant un des plus grands espoirs parmi les rookies.
Arriva forcément la première mixtape, intelligement intitulée DRILL FR, qui forçait le respect quant à sa puissance, tout en laissant circonspect quant à la richesse de son contenu. Deux ans plus tard, il semble que le rappeur castelroussin désire simplement capitaliser (c’est le mot) sur son succès plutôt que de délivrer un projet pouvant renverser les codes de la scène drill francophone.
Peu ou prou la même recette, mais sans la fraîcheur de la nouveauté
Si cela pouvait marcher sur un premier projet, la mayonnaise ne prend plus autant sur le second opus. La majorité des morceaux sont oubliables car n’apportent rien d’autre de ce que l’on ait déjà entendu : une drill adoucie de samples mélancoliques et saupoudrée de paroles rentrant dans le cadre classique du gangsta rap (drogue, argent, violence).
La plupart des morceaux sont ainsi constitués de beats tournant en rond et de rimes prévisibles, avec comme meilleur exemple “Hennessy” où le rappeur fait rimer “y a que d’la haine ici” avec le titre de la chanson. Et si “Rappel” possède un refrain assez catchy, les couplets retombent encore et toujours sur les mêmes sujets. Ce verdict tient pour la majorité de l’album: les morceaux hésitent entre drill aggressive et semi-ballade autotunée, et dont le champ lexical entier repose sur le cheminement classique “pauvreté-deal-armes-trahison”.
Bien que cette pauvreté lyricale faisait déjà défaut par le passé, on en vient désormais à se demander si Gazo a d’autres choses à dire. Il semble évident qu’il désire transmettre de la mélancolie au milieu de ses saillies gangsta, mais les prestations manquent de puissance pour que l’on puisse véritablement être touché par les propos du rappeur. Ce manque de puissance se retrouve aussi dans les refrains, assez peu fédérateurs dans l’ensemble, qui auraient bénéficié d’une énergie qu’on est en droit d’attendre de lui. Cela vaut aussi pour certains invités: “Mauvais 2x” ne restera pas la meilleure apparition de Ninho sur un feat, et Damso est au mieux oubliable sur “Bodies” – heureusement que le sample du piano vient de composition n°2 en mi bémol majeur de l’opération n°9 des Nocturnes de Frédéric Chopin.
Tout n’est heureusement pas à jeter: l’intro Becte remplit son rôle. Elle débute la mixtape énergiquement avec un mélange de mélancolie et d’egotrip fait de toplines assez simples quoiqu’efficaces. De même, le beat – drill au possible avec ses basses vrombissantes – est joliment accompagné d’une guitare basée sur des gammes mineures qui agrémentent bien le propos.
Die, sûrement le morceau le plus musical du projet, propose une production remplie de violon et de choeurs soutenant le refrain, tandis que Fleurs (en featuring avec l’excellent Tiakola) instaure son spleen pas seulement dans les paroles, mais également dans la production. On notera également une mince expérimentation sur Boss, dont la production légèrement synthwave amène une vibe estivale qui sied bien au rappeur. Si ces morceaux sont en soi qualitatifs, ils constituent plus des promesses que de véritables propositions artistiques. D’abord parce qu’ils sont trop peu nombreux, mais surtout parce qu’ils ne s’écartent jamais vraiment de la formule Gazo. “Boss”, par exemple, aurait mérité de voir son esthétique rétro plus poussée.
Pas de proposition artistique aboutie
On se retrouve donc avec une mixtape dont on connaissait quasiment tout avant même de l’avoir écoutée. Gazo n’a pas ajouté une plume, une science des refrains, ou un univers propre: il s’est contenté de délivrer ce qu’on savait qu’il était capable de faire.
On peut néanmoins se poser la question de l’absence d’énorme banger marquant durablement le public à la manière d’un “DRILL FR4” déjà emblématique de la drill francophone. Ce constat est encore plus étonnant quand on sait que les maisons de disques sont justement à la recherche du nouveau hit qui tournera dans les soirées et/ou sur TikTok. Cela n’empêche pas l’album de fonctionner: il vient déjà de décrocher le disque d’or. En vérité, il s’agit du minimum syndical: l’album est distribué par Epic Records, filiale de Sony Music France, maison connue pour vouloir signer tout ce qui “va se vendre”. Une maison de ce calibre aligne le budget nécessaire pour que l’album soit écouté et donc vendu par caissons.
Cette logique mercantile semble de même avoir dicté la création de l’album, sorti à peine un an après DRILL FR. Un an, pour un jeune artiste, est rarement suffisant pour développer son art et cela se ressent. Dans le même ordre d’idée, la conception de KMT semble bâclée: les titres s’enchaînent sans cohérence entre eux, et tous les singles se retrouvent placés à la fin de la tracklist. Concernant ce dernier point, il s’agit tout bonnement d’une stratégie de maximisation de streams qui, dans la logique néolibérale qui dicte le marché actuellement, fait son sens. On aurait pu cependant être en droit d’attendre de ne pas être uniquement pris pour des consommateurs. C’était peut-être naïf de notre part d’attendre autant de Gazo, mais, sans exigence, le public acceptera de plus en plus d’ingurgiter le fast-food rap proposé par les maisons de disques.
Il est difficile de trouver une âme à KMT – si l’âme est un concept abstrait, on peut facilement le traduire par: « cet album n’a rien de spécial par rapport à l’époque qui l’a vu naître ». Certains morceaux parviendront peut-être à durer, mais, dans la grande histoire du rap français, KMT ne demeurera au mieux qu’une anecdote.