Carson : 1, 2, 3, Falconia !

On ne l’a pas vu venir, il a suffi d’une validation de son producteur et beatmaker de renom, Madizm (issu du collectif IV My People), pour qu’il prenne son virage. De retour dans le 94, ce dernier a monté son label, Double M Music, avec l’aide d’un partenaire. C’est ainsi qu’on a jeté une oreille sérieuse sur leur rookie, Carson, rappeur et compositeur qui possédait quelques sorties officielles avant Falconia. Titre qui tire son nom d’une capitale dans le manga Berserk. On a assisté littéralement à ce qui s’avérera être une bonne pioche dès le départ. Vu les annonces vaporeuses dans le rap, on a tendance à ne pas y croire, mais la promesse a été tenue en termes de sorties. Que ce soit pour lui ou le reste des membres du roaster. Le concret, c’est tout ce qu’on apprécie. D’autant plus quand il est bien rythmé, et semble préparer le terrain pour quelque chose de plus grand.

 

 

 

 

À vos marques

Pour se lancer dans le circuit rap et pérenniser son talent, il fallait commencer par faire le tour des mixtapes k7, accessibles et imaginables. En posant la plupart du temps sur des Face B ou productions originales, selon les moyens de chacun. Ensuite, venait l’opportunité ou par la force de travail, de sortir un vinyle (comprenant minimum deux titres, en dehors des instrus et/ou acapellas). Un aboutissement conséquent pour tout rappeurs en herbe, des années 90 au début des 2000’s. C’était un moyen d’être validé par ses pairs, surtout les dj’s. Le passage vers le cd, se faisait via un maxi, composé de trois à cinq titres ou même un seul, décliné sous différentes versions (radio, mix, remix, etc). Cette partie concernait directement le public rap et selon les retours, l’artiste pouvait espérer de voir plus large, avant d’atteindre l’album.

Bien entendu, avec le temps, ce type de parcours non figé, a évolué. On a par moments sauté l’étape des mixtapes, pour passer directement sur compil. Puis il y a eu l’arrivé des street albums. Qui a profité à une génération, avec des aspects différents, pour atteindre une signature en maison de disque via son label. Désormais, il s’agit de sortir de manière intermittente, soit des freestyles, de préférence en vidéo, d’une durée de 2 à 3 minutes maximum, ou des singles uniquement audio, qui seront transposés éventuellement en clip. Un freestyle peut devenir un single et vice-versa, c’est comme l’appellation que l’on fait désormais entre un album et une mixtape, cela reste flou. Il y a une volonté de ne prendre aucun risque en cas d’échec.

Tout cela nous ramène à Carson, qui s’est investi seul dans le milieu, avant de signer et d’envoyer Falconia, son premier mini LP, ensuite décliné par épisode. À la manière d’un Alpha Wann, entre 2014 et 2018 et sa trilogie « Aph Lauren ». Ces dernières années, les EP sont omniprésents sur les plateformes de streaming. En effet, le chemin qui mène au Graal, que constitue l’accès à un album, est différent. Un passage obligé, pour le développement durable d’un rappeur, sauf cas exceptionnel. La temporalité va être adaptée selon le choix de l’artiste. Par exemple, Niro a préféré découper son album « Stupéfiant » en plusieurs parties, qu’il a délivré au fur à mesure, entre 2019 et 2020. Cela concerne aussi bien les nouveaux mc’s que ceux déjà établis. L’appellation album tient toujours une place d’accomplissement.

Prêt 

Dans la même catégorie du rappeur d’Orly, on peut citer aisément, Tedax Max (trois EP en 2021), Djado Mado (trois entre 2020 et 2021), Limsa d’Aulnay et Benjamin Epps (trois entre 2020 et 2022 chacun). Cette brochette est considérée comme les espoirs d’un rap performant, par les anciens comme les nouveaux puristes. À tel point, qu’on oublie tout esprit critique les concernant. Ils parlent à un public déjà conquis par les codes old school remis au goût du jour. Le simple fait de rapper de la sorte, leur donne l’immunité. Comme il s’agit de rappeurs qui évoluent à priori avec les attentes de leurs auditeurs, on leur laisse plus de facilité à essayer. Surtout qu’ils sont dans une démarche d’entrée, de faire petit à petit et non tout fournir d’un coup. Sortes de geeks du rap avec des formules toutes différentes, mais contenant des références précises. C’est limite dure de partir sur des recettes déjà connues, car l’attente est disproportionnée et au final, l’erreur sera proscrit. La personnalité reste un enjeu primordial, tout comme le bagou.


« Je ne suis pas de ceux qui faisaient que mon quartier était chaud »
[Carson – Tout ce qu’on voulait]

Avec ses trois projets au compteur, Carson dépeint un caractère bien trempé. De par sa volonté de revendiquer son côté normal [Tout ce qu’on voulait], ni voyou, ni bandit. Son attachement au Val-de-Marne est primordial, mais tout cela ne l’empêche pas d’avoir des mauvaises intentions dans ses textes. Un tiraillement entre le bien et le mal, qu’il énonce naturellement, que ce soit en relatant les faits ou usant d’egotrip. Un second degré qui écorche un peu toute la société, lui, le premier.

Il évite toute surexposition, ne serait-ce que par le choix des covers, qui conservent son anonymat. Excepté sur Falconia 2, qui reste une partie à part dans cette trilogie. Si on peut considérer le premier volet comme un semi-album, car il regroupe aussi bien des inédits que ses premiers titres. Le second sonne comme une mixtape. Pour ainsi dire, il adapte sa vitesse de croisière et crée des automatismes avec Madizm. Sorte de mise à niveau très personnel de la concurrence, il s’impose en se frottant à la tendance dès « Héritier ». Une traduction sonore, de faire mieux avec les mêmes codes.

L’épisode final correspond à la dernière étape, celle En attendant, comme ont pu le faire ses aînés, Ol Kainry ou Sinik. Le court « Esprit de Hustler » apparaît comme un prélude au premier album. Si sa voix au micro ne semble pas encore définitive, il a les avantages des productions soul conduites par Izm. Ce qui procure un certain plaisir à l’écoute des trois projets, qui sont sortis successivement depuis fin 2019. Qu’il rappe sur des standards entêtants comme « Crenshaw » [Produit par Carson], ou des formules efficaces avec « Roule avec nous ». C’est-à-dire quelque chose de familier, mais impossible à reconnaître d’entrée. Des bases solides qui permettent d’apprécier tout simplement la musicalité. Rim’K apparaît comme un parrainage tout trouvé pour chaque usager de la ligne « 183 ». Driver la caution westeux, comme dans le passé avec A2H et Diddi Trix, vient ici valider la sensibilité ride. Le sarcellois a œuvré un temps, sur le réseau sous-exploité des mixtapes gratuites, intitulées Roule avec Driver, dont Carson a dû être client.


« Je suis le Maire pas le Président donc personne ne va me gifler » [Driver – Roule avec nous]

L’usage de la talkbox ou tout simplement du vocoder sur « Casca », enfonce le clou sur ses inspirations. Tout comme les ballades (Neptunes) et les effets chopped n screwed (300 Sseudi). Au niveau des pulsions sexuelles décrites dans sa discographie, cela peut être pesant par moment. Ils ont eu la bonne idée d’intégrer une artiste féminine, Nayla pour légèrement contrebalancer sur « Semblant ». Un genre de crossover, de moins en moins présent dans le rap.


« C’est tous devenu des chanteurs de Zouk » [Carson – Prince]

Pour le côté encore plus salace, il y a le projet « Nouvelle Ère » [2021] avec son double du 93, L’Don (déjà présent sur Le toit de la ville et Crenshaw). Ils balancent un concentré de rap décomplexé en cinq titres, avec une atmosphère un brin plus south (Argent Israélien, Nouvelle Ère). On retrouve cet état d’esprit volage sur « Eastpack » avec Heavy BBK.

 

 

 

 

 

 

Feu

Carson met en avant ses références via des feats (Rim’K), la voix de Kery James, extraite d’Une poignée de dollars [Ideal J] sur « 94310 », jusqu’au titre « Freddie Gibbs ». Malgré les nombreuses citations de rappeurs contemporains comme Kendrick Lamar, on ne peut pas lui trouver littéralement un équivalent us ou une version rajeunie d’un ancien rappeur français. Ce qui plaît d’autant plus, qu’on sent une marge d’évolution possible. Il tient à marquer son territoire par la revendication de sa ville.

Ses bases ne sont pas toutes musicales, ni toujours accessibles (Hagakure, Shadow Moses). Les fondations varient entre la culture nippone, la musique et le cinéma, l’introduction dans « D’où je viens » tire son discours du film Le Dictateur [1940] de Charlie Chaplin. Pour son album, qu’il continue de nous surprendre dans ses choix et qu’il s’émancipe de l’école du micro d’Orly.

La cohérence devrait être de rigueur, mais faudrait qu’il puisse éviter de se répéter. La compétition musicale est d’autant plus forte avec les artistes de sa génération, cités plus haut. Ce qui est communément appelé l’émulation dans le rap, se voit justifier même par une partie du public. Encore plus avec une phase comme ci-dessous, qui ne devrait pas laisser Epps indifférent, bien qu’ils ne profitent pas de la même exposition médiatique.


« T’es Kennedy en 2005, je suis Rohff en 2006 » [Carson – Gryffondor]

Un feat avec Djado Mado ne serait pas mal vue. Pour le moment, il n’y a qu’Aketo qui a fait le passage entre les deux (Baltimorly / Falconia 2 et Mañana / Noor II), en dehors de leur posse cut.

Il n’y a aucun faux départ à déclarer sur sa route. Tandis que d’autres peuvent rétrograder, après l’envoi continu single-clip et caler sans sortir de projet. En nous laissant sur notre faim. Sur ce point, Carson et Double M, nous régalent. Reste à savoir si le dernier EP, prévu avant l’album, sera digeste.

 

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