Kill Me, la rage de dire

La compilation « Kill Me » est sortie le 22 octobre dernier, à la hauteur de ses ambitions, dirigée par les rappeurs Eben (2 Bal 2 Neg) et Stélio. La photo d’un sarcophage représentant une bataille romaine laisse songeur. Le teaser, comme le contenu du projet ne laissent aucun doute, quant au positionnement qu’occupent les deux têtes pensantes du projet. Ils sont loin de s’avouer vaincus, contrairement aux barbares de la sculpture. Dans leur combat, ils sont rejoints par une pléthore d’artistes de leur acabit, ceux du label L’Or Noir en tête.

Été indien

À la manière d’un Médine qui rentre sur « Lecture Aléatoire » : 

« J’ai mis mon casque et mon blouson / Sorti ma vieille goose grise / Appropriée pour la saison / En peau de bison / Ipod dans l’intérieure poche / Du baladeur fait passer le fil par la manche »

Nous sommes encore loin des températures hivernales, mais l’écoute de « Kill Me » provoque directement une sensation de froid et mise en condition. Le type musical qui s’accorde avec un jean large et des Timberland aux pieds. La tenue idéale pour affronter le bitume lorsque le mercure baisse.

Cette compil remet au goût du jour, l’époque du discman, où ce type de projet était jugé important. Qu’on pouvait écouter, en se déplaçant même dans la fraîcheur d’une nuit d’été. Bien entendu, on compte par dizaine, des compilations estampillées boom bap, comme Le Gouffre ou DJ Blaiz ont su le faire, pour ne citer qu’eux. Des projets sur lesquels on peut retrouver les invités d’Eben et Stélio. L’esprit est Hip Hop et englobe ses différents courants.

Spleen méditerranéen 

Cela a été longtemps la spécialité musicale du côté obscur de Marseille (Chroniques de Mars, Comme un aimant), d’utiliser des boucles froides sur des notes de piano ou violon. Très loin de l’ensoleillement actuel que l’on connaît. L’unique mouvement de tête a laissé place à un emballage plus coloré et dansant.

Comme tout, cela avait un avantage et un inconvénient. Celui de faire découvrir des nouveaux artistes, mais aussi de se terrer dans un univers sombre, sans once d’espoir. L’une des nombreuses phases qui représentent à outrance cette ère est la suivante :

« Mes rêves ? / Quels rêves ? / Même nos rêves c’est des cauchemars »

lance Freeman sur le refrain de « Rêves », issu du premier album solo de Shurik’n.

Une ambiance remplie de complaintes, souvent critiquée sur la durée par les auditeurs. Ajouté à un manque de renouvellement de la scène marseillaise, qui au final, l’a mis sur la touche pendant un temps. Ce cliché a longtemps été collé à la cité phocéenne. Soprano et L’Algérino sur la durée, puis Jul principalement, ont su inverser la couleur musicale attribuée à leur zone.

Mission suicide

Dans la même veine, la capitale n’était pas en reste. La compilation « Mission Suicide » du label Kilomaitre et du rappeur Eben sort en 2001. Ce dernier officie aussi bien derrière les machines que devant le micro. En offrant des idées aussi décalées (Gomes et Tavares) que pesantes (Meilleurs Vœux 2) et revendicatrices (Mission suicide).

C’est le même esprit (compositions rap et la participation dancehall) que l’on retrouve sur « Kill Me ». Qui peut être considérée comme une suite indirecte à MS. On prend presque les mêmes et recommence, Busta Flex, Eben, Fdy, Kazkami et 2 Bal 2 Neg, pour cette nouvelle offensive.

Ils sont accompagnés de Maj Trafyk, une tête identifiée comme étant de leur entourage, qui intervient par deux fois. Ainsi que des visages plus connus, qui ont posé précédemment sur des prods d’Eben. Cela va de Brav (Rodéo) à Iron Sy (Même si) en passant par Nakk (On s’reverra là-haut). Un témoignage de l’éventail proposé par son statut de producteur. Le nouveau venu dans la liste est Demi Portion, combiné efficacement avec l’artiste havrais sur « Donne moi ».

La vieille garde

On retrouve certains rappeurs qui se font rares, comme Sëar Lui-même et Kazkami (l’un des quatre solos – il est à la production de son titre Rappeur à risque), mis en lumière sur les volets de « Première Classe » I (1999) et II (2001). Tandis que JP Manova se faisait remarquer sur « Liaisons Dangereuses » (1998). Avant, il débutait, désormais, il clôture les compiles. Le signe d’un changement de statut, pris avec des à-coups. Donnera-t-il une suite à son seul album, « 19h07 » paru en 2016 ? Il y a peu de chance, pour le moment.

La duologie PC et l’aventure Virgin Rue étaient affiliées au Secteur Ä. Kazkami de Villiers-le-Bel, ne profitera pas pleinement, via sa signature, de l’aura du label sarcellois, en perte de vitesse à cette période. À peu près la même situation pour le Phenomen au mic, avec son premier album sur la structure. On a pu l’entendre sur Les faces-à-face, challengé par un certain Sëar sur « Combat de maîtres ».

Busta Flex moins conceptuel que sur PC2, est tout aussi énergique et amusé au refrain, sur la production de Born 2 Kick. Le tout dans une combinaison qui fonctionne, mais quasi-identique à celle sur « 93 Empire ». C’est le seul défaut que l’on peut évoquer sur cet inédit avec un Nakk impeccable.

Le vétéran reggae Féfé Typical galvanise sa troupe, composée de Tiwony, Straïka D et Cali-P sur « Shottaz » [Eben], un morceau à la conscience roots. Ils ont aussi bien œuvré sur compil (Ma 6-t va crack-er), qu’en albums communs et feats interchangeables.

Entre espoirs et artistes confirmés

« L’argent reste un papier coloré / J’oublie mon passé sous papier Bolloré »

Place aux newcomers, notamment à Badara en tête de gondole, avec son titre « Plus de larmes » [produit par Eben]. Sûrement le texte sur trois couplets, le plus représentatif de la compil et qui se place dans le style, entre trois générations (de Booba à Ademo). Aucune trace significative jusqu’à présent, en dehors des projets trouvés ci-dessous.

© Ineday Way / Addictive Music (2018)
© Shinzay (2019)

 

 

 

 

 

 

 

Denzel est plus dans la tendance drill, mais éclipsé par Fdy, en grande forme sur « Cage vide » [Cabz]. À se demander s’il ne s’agit pas d’un duo père-fils. Ce dernier ayant été évoqué en Septembre, dans l’interview de JMDee à l’Abcdrduson.

« Le temps d’un bonjour au Four / Je croise les potes de mon fils »

En dehors de leurs apparitions et les connexions détectées, il faudra attendre de Titan Mc Dyess et Jo l’Affront, des morceaux moins groupés. Dans le but de juger réellement leurs styles, pas directement identifiables, lors des compilations. Le résultat est identique sur « Mickey » [Eben] avec Nad, Flow, Le Zad & Ayaman, mais le fait d’avoir été sélectionnés, laisse présager un certain talent. Bien que tout cela soit réussi. Des noms à creuser sur les plateformes, car la plupart y sont présents. Qu’il s’agisse de projets confidentiels ou professionnels. L’exemple le plus représentatif reste Komplice A.D.S.

© Le Komplice A.D.S Facebook

Vins & Sandro Grabuge (présent sur les deux albums de Stélio) rappellent le genre de connexion entre Bakar & Tonio Banderas, anciennement chapeautés par Eben. Deux générations furieuses se regardent avec respect sur « Les experts » [Furio], celle de Lacraps situé à Montpellier et Aki l’Anonyme (anciennement la Machine) du XVIIIe.

© Neoloko / Bendo Music (2020)
© D2G (2020)

 

 

 

 

 

 

© Moteurs (2010)
© Muzance Production / Keyzit (2020)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traverser le temps

Stélio, étoffe sa discographie depuis 2010, avec un esprit de partage, présent dès ses débuts. On remarque des feats avec Layone, Ol Kainry, Zek (époque Kevin Ramos), Wira, Dany Boss, etc. Ce qui donne une idée de son style, tout comme sa participation à de nombreuses combinaisons underground. D’ailleurs, l’été dernier, il nous a gratifié du titre « Article 19 », qui aurait pu finir sur la tracklist finale de KM. Ce casting regroupe déjà, Nasme et quelques acolytes cités précédemment. Une sortie à prendre comme un long teaser au projet.

Le dijonnais n’est donc pas en reste sur « Garder l’espoir » [Tony Punchline & Eben], aux côtés du prolifique Swift Guad. Dans la même veine d’occuper le terrain que le montreuillois, Maj Trafyk ne déroge pas à la règle avec sa « Couleur Cocaïne » [Eben], troublant d’efficacité.

En plus de se la jouer collectif avec son groupe, sur le simple « Légendaires » [Bigo Beatz], Eben s’offre un solo, « La Lune » [Cabz], fidèle à lui-même. C’est-à-dire un caractère bien trempé avec des idées basées sur le refus de se fondre dans la masse, même si cela devient difficile avec l’âge. Le maintien du respect est introduit par un extrait tiré du film Pulp Fiction, puis les quelques rappels à l’ordre des lois de la nature humaine.

« T’es devenu ancien / Lorsque ton bébé pleure / Tu t’es réveillé mais c’est pas la bonne heure / Tu t’es endormi mais ce n’est pas le bonheur / Tu t’es réveillé mais ce n’est pas le bonheur »

Kill Me est une œuvre nécessaire loin de toute photocopie actuelle. Elle n’est ni parfaite, ni remplie de défauts. Les titres s’écoutent aisément car ils sonnent juste. C’est un projet avec un esprit commun, celui de se relever à chaque nouveau défi. Qu’il soit de toujours rester vif, redéfinir des bases ou d’injecter du sang neuf dans le mouvement. Le parcours de chacun est respectable, le temps leur permet de le prouver à chaque occasion.

« Le monde est nouveau / Kill Me / On kill en nouveau » [Cage vide]

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