2019 vient à peine de se clôturer qu’il est difficile de s’empêcher d’être déjà un peu nostalgique en regardant en arrière. Certes, ce ne fût pas une année exceptionnelle pour le hip-hop (surtout pour le rap américain qui nous a globalement laissés sur notre faim en comparaison avec les précédentes années), mais il y eut quelques moments marquants et importants. Parmi ceux-ci, on retrouve évidemment l’avènement du rappeur DaBaby.
D’inconnu à star du rap
1 an, c’est le temps qu’il a fallu à DaBaby pour sortir d’un presque total anonymat et devenir une tête d’affiche du rap américain. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est pas un jeune sorti de nulle part. Il est déjà plus âgé que la plupart des rappeurs de sa « génération » (donc plus âgé qu’une grande majorité des rappeurs qui ont, comme lui, percé subitement ces dernières années). En effet, DaBaby, de son vrai nom Jonathan Lyndale Kirk, est né à Cleveland, dans l’Ohio, le 21 décembre 1991. Il a déjà 28 ans, soit entre 5 et 10 ans de plus que les rappeurs de « sa génération ». L’âge n’est pas le seul facteur qui le démarque de ses homologues. Mais nous y reviendrons plus tard.
Ses débuts
Après quelques années, sa famille emménage à Charlotte, en Caroline du Nord, que le rappeur ne quittera quasiment plus jamais. En 2010, il est diplômé de la Vance High School, équivalent américain pour le lycée. À la suite de cela, il sombre dans la délinquance et la vie de rue. En 2014, il décide de se lancer dans le rap. Il sort son tout premier projet l’année suivante sous le pseudonyme Baby Jesus. Ainsi, en 2015 il publie la mixtape NonFiction. Celle-ci ne connaîtra pas un grand succès et Jonathan décidera de changer son nom de scène pour « raisons politiques », comme il l’expliquait un peu plus tard, en 2016, à travers le morceau intro.
Au moment d’écrire ces lignes, le sobriquet Baby Jesus est encore visible sur le compte instagram de l’artiste :
Toujours en 2016, le rappeur enchaîne les mixtapes/EP mais malheureusement pour lui, son travail passe relativement inaperçu.
La recette du succcès
Après des années de galère, Jonathan commence doucement à se faire connaître en 2018. Et c’est pour tout sauf pour son art. Un peu à la manière d’XXXTENTACION en son temps, le rappeur fait davantage parler de lui pour la violence qui l’entoure et ses bagarres que pour sa musique. La première fois que DaBaby fait réellement les gros titres, c’est quand en 2018 il tue en état de légitime défense un jeune homme de 19 ans qui tentait de le braquer sur un parking de supermarché Walmart (attention les photos peuvent être choquantes)
Arprès plusieurs mois d’ennuis avec la justice, DaBaby sort son premier album Baby on Baby le 1er mars 2019, projet contenant le morceau qui allait tout changer pour lui : Suge, qui va poser les bases de son style, étant assorti d’un clip plutôt drôle rendant hommage et parodiant Suge Knight (l’ancien producteur de Tupac, et patron du label Death Row Records, largement connu pour la violence dont il faisait fréquemment usage sur les artistes de son label et sur ses concurrents afin de gagner de l’argent et surtout pour accroitre la puissance du label en question).
https://www.youtube.com/watch?v=KvuQNNVrbtM
Le flow de DaBaby combiné à une gestuelle marquante, un beat catchy et un clip humoristique fait mouche. Il reconduira cette alliance pour à peu près tous ses autres morceaux, au point d’en abuser et de lasser les auditeurs.
Son premier album s’est timidement classé 25e du Billboard 200 lors de sa première semaine d’exploitation. Avec le temps, et grâce au hit Suge, le disque a de plus en plus fait parler de lui, ainsi que de son auteur. Dès lors, il est très vite devenu LE rappeur à suivre, sans pour autant faire l’unanimité, la grande critique adressée à son premier album était son côté trop répétitif, tant au niveau de ses beats que des flows que Dababy a utilisés dessus.
Omniprésence
Ces quelques critiques n’ont pas empêché le rappeur d’être présent sur les albums hip-hop les plus attendus de l’année : Post Malone l’a invité sur son décevant 3e album, Hollywood’s Bleeding, à l’occasion du morceau Enemies, l’un des temps forts du disque. Ce n’est pas tout : J.Cole l’a invité sur son projet collaboratif Revenge Of The Dreamer III, afin d’y faire l’intro. Donnant l’opportunité à DaBaby de poser aux côtés de Cole lui-même, ainsi que Lute mais aussi Kendrick Lamar. Opportunité qu’a brillamment saisie l’artiste de Charlotte puisqu’il y fait l’un des meilleurs couplets de l’année. Une des rares fois où il a fait l’unanimité.
https://www.youtube.com/watch?v=eUUuI–jAlM
Là encore, il se démarque de ceux de sa génération : il est capable de bien rapper. Une grande partie des nouveaux arrivants dans le rap sont perçus comme des « mumble rappers », terme péjoratif utilisé pour décrire des rappeurs qui ne savent pas articuler et s’exprimer, qui murmurent la plupart de leurs lyrics. DaBaby peut découper des prods, ce qui lui permet de faire le lien avec l’ancienne génération, et c’est probablement ce qui a séduit Cole chez lui.
Il a également été présent sur le très attendu 2e album de Chance The Rapper, pour le morceau Hot Shower. Trippie Redd l’a convié pour Death, issue de la mixtape A Love Letter to You 4. Le point commun entre ces 4 disques, en dehors de la présence de DaBaby dans chacun d’entre eux, c’est leur succès commercial : ils se sont tous classés premiers des classements Billboard lors de la semaine de leur sortie. Offrant encore plus de visibilité au rappeur.
Cerise sur le gâteau: il a été nommé en juillet par le très populaire magazine américain XXL comme un des freshmen de 2019, c’est à dire comme l’un des plus gros espoirs de l’année, et a donc fait la couverture du magazine, en plus de participer aux freestyles/cyphers disponibles sur YouTube (qui comptabilisent toujours plusieurs millions de vues). Il est également nominé aux Grammy Awards 2020 dans deux catégories (« meilleure chanson rap » et « meilleure interprétation rap » pour Suge), le début de la consécration pour DaBaby.
Pas le temps de se reposer
Septembre 2019, craignant de ne devenir qu’un « one hit wonder » comme tant d’autres avant lui, Jonathan décide de sortir directement son 2e album, intitulé Kirk. En effet, entre la sortie du premier (en mars) et celui-ci, son statut a changé, il est passé d’inconnu à rappeur incontournable. Ce changement de statut va se ressentir dans ses chiffres de ventes : Kirk est l’un des albums les mieux vendus de cette année, il a pris la première place des charts au moment de sa sortie. Ce qui représente une nette progression en quelques mois seulement.
Bien que le succès commercial soit présent, ce n’est encore le cas du succès critique : DaBaby doit essuyer une nouvelle fois des critiques lui reprochant d’être trop répétitif, comme lors de son premier CD. Pourtant, le rappeur avait sorti un single au préalable intitulé « intro », dans lequel il renouvelait son flow, se livrait beaucoup plus qu’auparavant et sur une prod complètement différente de ce à quoi il avait habitué le public. Malheureusement, il ne s’agissait que d’un pétard mouillé, puisque le reste de l’album ne suit pas du tout cette nouvelle direction.
Kirk était dédié au père de DaBaby (le nom de l’album étant son nom de famille, d’ailleurs on l’aperçoit sur la cover) mais pas assez de chansons parlent de son paternel. Ce qui a déçu les fans, qui ont eu l’impression que tout cet emballage artistique n’était que de la poudre aux yeux.
Jonathan aura réussi à prolonger la durée de vie de son album en sortant le clip de BOP, qui est très rapidement devenu viral, son 2e hit. Dedans, l’artiste fait l’étalage de ses talents de danseur et, avec sa troupe de danse, rend hommage cette fois à Broadway, quartier de New-York prisé pour ses théâtres et ses comédies/pièces musicales.
https://www.youtube.com/watch?v=28hYUZMufDg
Avenir incertain dans la musique
Quoi qu’il en soit, DaBaby s’est transformé en tête d’affiche du Rap US, et on peut s’attendre à beaucoup entendre parler de lui lors de la prochaine décennie, à condition qu’il se tienne à l’abri des ennuis judiciaires (qu’il a l’air de particulièrement aimer), et surtout qu’il se renouvelle, étant donné qu’écouter un de ses albums en entier peut vite être usant. D’ailleurs il semble perspicace puisque dans le morceau BOP dont nous parlions plus haut, il dit : « Ayy, when you gon’ switch the flow? » I thought you’d never ask (ce qui se traduit par: « Hé, quand est ce que tu vas changer de flow ? » Je pensais que vous n’auriez jamais demandé »). Il est donc conscient de ce problème mais n’y a pas encore remédié.
Pour comparer l’incomparable : Kirk s’est un mieux vendu que So Much Fun de Young Thug (autre gros succès de cet été), mais Young Thug a fidelisé sa fanbase et l’a agrandie au fil des années car il s’est sans cesse renouvelé. Ce qui signifie qu’il est à l’abri d’un flop et, surtout, est parti pour durer. Si DaBaby veut connaître une telle longévité, il devra lui aussi fidéliser sa fanbase, et pour le moment ce n’est pas gagné, il donne plus l’impression de fonctionner par effet de mode. Son charisme et son humour ne pourront pas suffire à lui offre une carrière.