Grödash – Lever l’encre, dix ans d’avance [Interview]

Revenir sur le passé, est un moyen de se positionner dans le présent et anticiper sur son avenir. C’est ce qu’on a fait avec Grödash, en jetant un œil dans le rétro sur une proposition musicale qui paraît anodine, mais pourtant efficace à son échelle. Lever l’encre est un hymne rude, rempli de désillusions pour toute personne résidant loin de son pays natal.

Surtout, l’un des premiers titre rap français, ne laissant place qu’au chant, sans aucune partie rappée. Il y a bien entendu des morceaux avec des couplets ou refrains chantés avant 2011, mais il y avait encore de la place pour les deux genres. Au fil du temps, l’un a pris l’avantage sur l’autre. 

Dash revenait avec un troisième opus, un tant soit peu différent, tout en gardant l’intérêt qu’on pouvait déjà lui porter il y a dix ans. L’artiste possède énormément de compositions marquantes dans son domaine. Il développe ici, un thème précis, celui de l’exilé africain, puis en cours de lecture, l’élargit à des sentiments plus universels. Tout est bien calé jusqu’aux longues notes de piano qui clôturent cet assemblage harmonieux.

Le mal du pays pour ressenti, avec ce vécu qui revient au long de l’album Enfant Soldat. Celui du statut d’immigré qui est mis en valeur et contre balancé sur différents titres comme Kongo, Ciao Bambino, Viendra le temps et Dernier. Que ce soit pour espérer un retour réussi au pays d’origine ou confier le non-respect de la durée d’un visa. 

Shizzle joue la confusion sur l’orthographe du mot encre, avec le départ annoncé d’un voyage maritime. Même si dans son propos, le trajet s’est effectué en avion, quitte à prendre le pilote pour un vrai sauveur. L’arrivée étant loin des clichés de cartes postales, il va se heurter à une vie difficile, faîtes de codes et tout ce qu’il en coûte. À chaque acte, bon ou mauvais, il y a une conséquence suivie d’un apprentissage pour accéder à une idée du bonheur. En se livrant de la sorte, le rappeur arrive à figer son histoire, similaire à d’autres, mais sans trop en dire.

Traverser l’océan

L’exil est le thème central du titre ?

Refugees Anthem, j’aime bien l’appeler la chanson des réfugiés.

Quel regard portes-tu sur la situation des migrants ?

J’ai un regard très fraternel, car moi-même, je suis migrant. Arrivé en France en 1994 et à l’époque, on est venu avec un visa qui ne me permettait pas de rester aussi longtemps que je suis resté. On est passé par les airs, pas par la mer. C’est le même stress à chaque contrôle, quand fallait passer par la Belgique, aux douanes frontalières. Cette honte d’avoir un passeport qui ne te permet pas d’aller plus loin dans ton aventure. Ça me touche particulièrement, je me suis toujours senti international, du fait d’être né en France.

Très jeune, j’ai voyagé pour l’Algérie, ensuite Brazzaville (République du Congo). Je n’ai pas grandi au Congo-Kinshasa (République Démocratique du Congo) et sentais que ça posait problème : d’être un étranger, mais je n’avais pas le droit d’aller dans mon pays. C’est une vie de réfugiés et un thème qui revient beaucoup dans ma musique.

Il y a bien une référence à « Brazza » de Pyroman Et Neda ?

Bien sûr ! Quand je suis arrivé du bled, c’est ce morceau qui tournait. C’est le seul rappeur congolais que j’entendais à la radio sur Générations : « il pleut des bombes sur ma ville / brazzaville« . Il racontait ma vie. À une époque où il n’y avait pas beaucoup de congolais dans le rap ou qui se revendiquaient du Congo.

On avait été touché par le texte d’Ekoué (La Rumeur – « Blessé dans mon égo »), quand il raconte son arrivée à l’aéroport du Togo, mais ce n’est pas un congolais. Là, on entendait notre propre histoire, bien sûr que c’est un clin d’œil, mais c’est tellement ancré en moi que j’avais zappé la référence.

Tu as pu côtoyer Pyroman, lors de ta tournée commune avec Assassin ?

On s’est checké, c’était quelque chose de fort, car au-delà de ce petit clin d’œil, je me suis retrouvé pendant un moment à enregistrer mon album « Illegal Muzik » (2006) au Brésil. Là-bas, on me parle beaucoup d’Assassin et d’un jeune mec qui a tout retourné, fort en rap et son nom n’arrête pas de sortir, les gens me disent : « tu me fais penser à Pyroman. C’est une star ici. »

J’apprends qu’il a vendu 40 000 albums de son projet en français [au Brésil], une grosse perf pour l’époque même aujourd’hui. On a eu l’occasion de faire un titre ensemble (Que tu quieres), mais je regrette qu’on n’ait pas passé plus de temps. À chaque fois, je suis en France, il est au bled, quand je suis là-bas, il est au Brésil, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup.

Pourquoi ton atelier d’écriture se nomme Lever L’encre ?

Je trouvais que c’était un bel hommage à ce morceau, qui pour moi aurait dû tourner dans les médias, en playlist, etc. J’ai beaucoup de gens qui m’ont appelé, la Sexion d’Assaut par exemple, que ce titre était incroyable, qu’il devrait passer à la radio. Un jour, Rockin Squat a mis un coup de pression à Fred Musa lors de La Nocturne, pour lui dire que c’était un scandale, qu’un morceau comme cela ne soit pas jouer. Il l’a lavé en pleine antenne, même nous, étions gênés.

Je me suis dit qu’il fallait que ce morceau survive d’une manière, c’était bien d’appeler les ateliers d’écriture ainsi. On a vocation à faire voyager les enfants, les emmener dans d’autres ambiances. Pour Au-delà des frontières, on a pris des jeunes d’Evry jusqu’à Pointe-Noire (Congo), pour faire un atelier d’écritures avec des jeunes congolais. Ils en ont fait une chanson, un clip. C’est lever l’encre dans le sens inverse, on va prendre des jeunes des quartiers, essayer de les emmener en Tunisie, au Canada, pour qu’ils comprennent qu’il n’y a pas que le quartier, les tours de béton. Il y a beaucoup d’humains à rencontrer avant tout.

À travers le clip, tu avais mis les moyens nécessaires pour qu’il soit perçu comme un vrai single.

J’avais fait venir le réalisateur du Canada, Usef Naït (Iceland Films). Pour nous, c’était important de faire un beau visuel, par rapport à ça. T’as des mecs de Générations qui te disent cinq ans après : « ah ouais franchement lever l’encre, on était bien tenté de le jouer, mais je ne sais pas pourquoi on ne l’a pas joué« , les discussions comme cela…

En même temps, c’est un morceau dénonciateur de réalités, pas vraiment un tube genre les singles de l’époque. Je ne sais pas s’il y avait d’autres morceaux qui pouvaient ressembler à celui-là en France. On n’aime pas trop mettre les messages en avant, pas comme aux States, avec « I Can » de Nas, des gros messages revendicateurs, pulvérisés à toute heure à la radio. Ici, on est plus dans bite, chatte, kichta, c’est plus ça qu’on met en tête de gondole.

Même s’il y a du rap de niche, mais en vrai, c’est débrouille-toi avec ta communauté et fais en sorte d’accéder à plus… Cela a été la période de transition, entre les rappeurs à la radio et ceux qui ont réussi à break avec leur public, sans passage radio.

Par la suite, les rappeurs ont continué à s’investir dans le chant. 

C’était avant-gardiste, je m’étais déjà lancé dans l’auto-tune en 2008, avec « Freestyle 2019 », la même année que « 0.9 » (Booba).

Un morceau 100 % chanté, c’était assez rare. J’ai vraiment pris du plaisir à le faire et comme pour la plupart de mes chansons, à aucun moment, on ne s’est dit, ce serait un tube. Mon histoire a prouvé qu’il y avait des embûches qui bloquaient la plupart de mes bails jusqu’à cette époque-là.

Peut-on faire un parallèle entre ta chanson et celle de Michel Berger, « Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux » ?

On ne s’est pas imaginé péter la timbale à la Berger, je me suis vu faire un morceau comme J’attends mon heure, One Shot.

Je raconte ce que j’ai à dire, sans mettre une forme spéciale pour que ce soit vendu. Je kiffe le chant, j’en ai toujours fait depuis mes premières mixtapes avec Ul Team Atom. Au-delà du fait que mon ingé son, RC Lorakl, avait une longueur d’avance sur l’auto-tune. Ça m’a permis de me débrider à fond, lâcher mes mélodies, le texte je l’ai bossé avec Sep, ma femme et membre de l’équipe. L’ambiance du morceau était en mode chillin, on fait une belle chanson. Après, le reste ne t’appartient plus.

En quête de cash money

Quel est ton positionnement aujourd’hui, par rapport au coltan [composant utile à la fabrication des smartphones] et les résistants de la diaspora qui annulent les concerts des artistes populaires congolais ?

C’est légitime, car c’est une souffrance indescriptible et une manière de se faire entendre. Le seul bémol, c’est qu’on met plus d’énergie à combattre nos frères, que Bill Gates, Nokia, Ericsson, là, on y arrive plus. On est à bout de souffle, limite obligé d’acheter l’iPhone, y’a quelque chose qui nous force, mais pour empêcher un concert de Fally Ipupa, Ferre Gola, ça envoie des grosses voitures en flammes au milieu de la chaussée. Il y a deux poids, deux mesures qui traduisent qu’au final, on ne s’aime pas.

Même la plupart des gens qui s’opposent à tout ça, s’ils avaient eu l’occasion à l’époque de toucher quelque chose au détriment du peuple, malheureusement, ils l’auraient fait. Des jets d’urine, d’excréments, je ne comprends pas ce genre d’humiliations. On est en train de refaire les mêmes bails qu’on nous a fait. Tout ça, c’est du lynch, je ne peux pas cautionner. Au début, j’étais dans ce mouvement, car je supportais l’initiative. Je trouvais que c’était important que les voix se lèvent. Au niveau de la forme, il va falloir qu’on mette de l’intelligence dans les actions, que ce soit plus ciblé sur les gens qui profitent de ce système. Je ne sais pas si Fabregas [chanteur de rumba congolaise] gagne quelque chose sur le coltan congolais ou s’il a un bonus par femme violée…

C’est bien que le débat arrive sur la place publique, mais je dénonce qu’il faut mettre plus d’énergie à contrecarrer les multinationales, que nos frères artistes qui se développent en autoprod ou indé. Je ne trouve pas ça juste en termes de poids économique et préfère des actions plus médiatiques à l’Anonymous, la lutte comme celle du Dr Mukwege qui est sur le terrain. On est plus au stade de la réaction, faut qu’on soit dans l’action.

En termes d’inspirations, est-ce que tu as des morceaux aussi nostalgiques que Lever l’encre ?

Au-delà de la nostalgie, c’était le fait de parler du Congo. Dontcha avait fait un morceau comme cela (Les bords du fleuve). Être dans les premiers morceaux à parler du pays. Aujourd’hui, il y a Damso, Ninho, tout le monde a fait des chansons dessus, mais à l’époque en rap, il y en avait très peu. Je voulais ce côté nostalgique et que ça parle de Brazzaville, car je suis de Kinshasa. On est les frères ennemis. Brazza et Kin c’est la haine, mais je suis le seul congolais de Bz qui chante Kin ou le seul congolais de Kin qui chante Bz. Je me suis dit, c’est une manière de ramener à la nostalgie, toujours du militantisme et une envie de fédérer.

C’est bien Deka (Bandana Muzik, Objectif palper) à la production du titre ?

Oui, un congolais d’origine, très bon beatmaker.

Quel est ton ressenti dix ans après la sortie de l’album Enfant Soldat (Mai 2011) ?

Un bel album, on est allé au bout du truc, double album en mode Roh2f, déterminé, le négro veut écouter personne. C’était bien de le faire, dur pour une jeune structure comme Flymen qui était en pleine naissance. On s’est fait un peu avaler par nos partenaires, mais artistiquement, je suis vraiment content. Juste déçu de ne pas avoir clipé au bled.

C’est un projet qui devait avoir au moins quatre clips là-bas. Il y a un petit décalage entre l’image du projet et l’identité de comment, je l’ai réfléchi, mais justement Lever l’encre rejoint bien cette partie-là, tiraillée entre le bled et paname.

Est-ce qu’il n’aurait pas été préférable de diviser l’album en deux ? En séparant les morceaux conscients du reste de la tracklist.

C’est pour ça que je te dis Roh2f, je ne voulais rien écouter ! J’avais Philo de Bomayé, qui me disait d’en faire deux, tranquilliser, doser. J’étais en mode laissez-moi. Je voulais montrer qu’ici ça rappe. Il faut savoir aussi, que j’ai toujours eu cette ambivalence. Ça m’aurait fait chier de faire un projet que kicker et un autre que revendiquer. Si c’était le côté égotrip qui prenait, le côté engagé allait passer aux oubliettes. Dans le sens inverse, j’étais parti pour être un genre de rappeur moralisateur et tu vois que sur le projet d’après, j’arrive avec une tonne de beuh.

J’ai toujours eu du mal à avoir un personnage lisse, téléphoné, même si ça aurait pu être bankable, mais préféré qu’on ne sache pas me cerner, décrire en 2/3 mots. Ça m’a beaucoup desservi, peut être d’un point de vue business, mais dans mon approche artistique, j’ai grandi avec des Oxmo Puccino, Booba, X-Men, qui étaient autant Black Panther dans leurs freestyles à Générations, que je vais me rouler un putain de joint. 

Quand tu teasais l’album, le titre semblait plus gros que le projet, par rapport à la thématique brutale qu’elle renvoyait.

C’était un parallèle, c’est pour ça qu’il y a tout ce côté street dans le projet. Y a des gens qui ont cru que j’étais un ex enfant soldat. Mais c’est deep, pas des blagues, un truc chaud et c’est quelque chose que je voulais diluer avec le côté enfant soldat de la street

Quand t’écoutes l’intro du morceau, c’est extrait d’un film [From Paris With Love de Pierre Morel] avec John Travolta, ça se passe dans les quartiers et les petits sont des soldats, mais qui ne sont pas comme ceux au bled, à tirer à la kalach dans la forêt. Quelques années après, à Marseille, c’est devenu tout comme. C’est l’armée qu’il y a dans les quartiers que je voulais diluer.

Je ne pouvais pas être que le rappeur du bled. J’arrive avec Illegal Musik, mais je commence à aborder le bled, à peine dans La vie de rêve. C’est dans Enfant Soldat, que les gens ont découvert que j’étais un blédard, mais je ne pouvais pas arriver avec un album qui parle que de ça, il n’allait pas intéresser le public. Il y a quand même une vision économique, où je dois prendre du recul sur mon personnage.

On est en France, il y en a qui s’en battent les couilles de tout cet aspect-là, ils aiment juste bien l’Afrique. Quand je développais sur la géopolitique, j’étais un peu le rappeur relou. Dans Los Monzas, à part Fiks & P.Kaer qui avaient des thèmes sur le continent, le reste, ils étaient dans la rue. Il y avait des thèmes qui étaient durs à imposer, ça m’a même valu mon départ de Néochrome. Quand je leur ai dit que je voulais faire un album qui parle d’Afrique : tu te prends pour Mokobé, arrêtes tes conneries, c’est la street ! C’était réel à l’époque, l’Afrique, c’était un non-thème. Fallait quand même que je dilue mon discours avec un angle qui parle aussi aux soldats de la street.

Toujours par rapport au titre Enfant Soldat, le premier single, Ta bouche, n’a pas permis d’y voir plus clair concernant le contenu de l’album.

On va dire que j’étais en avance sur les bails de streaming. Au final, les gens qu’est-ce qu’ils ont retenu de l’album ? Flashback Remix, ils veulent du bling-bling, des rimes qui tapent, gros beats. Il y a des morceaux beaucoup plus forts, mais ils sont restés scotchés là-dessus.

Même en termes de décision, tu te dis qu’on va cliper ça, mais après on fait lequel ? Je veux cliper Welcome to Amerikkka parce que la thématique, personne n’a jamais traité ça dans le rap ! Je vais me battre contre ma propre équipe. J’aurais voulu mettre Bad News Brown (artiste canadien) dans le clip. Il était super engagé, a sorti un album d’harmonica, mais s’est fait tuer, sa mort m’a démoralisé.

La réalité économique veut que ce ne soient pas les meilleurs morceaux qui seront clipés dans un projet, mais les plus catchy, faciles à partager sur les réseaux, à moins d’avoir un budget qui sort de l’ordinaire.

Tu as visionné le reportage Kivu

Non, il y en a tellement, je vais checker.

Sur le même album, dans RDC Blood Diamond en feat avec ta mère [Georgette Biebie Songo], tu cites Mobutu, Sankara. Quel est ton avis sur le procès en cours sur ce dernier ?

Les dossiers du FBI ! On ne va jamais rien savoir. Tant que les coupables sont encore en vie, je ne m’accroche jamais à ces trucs de procès, vingt ans après. Regardes la fille [Malikah Shabaz] de Malcolm X vient de mourir dans un appartement. Son père, on a pas trouvé et elle, on va retrouver les gens ?

Tout cela me rappelle l’histoire lors du transport de la bibliothèque africaine en Europe, qui a fini noyée, dans les pillages de l’époque. À la fin, il ne restait plus qu’un ou deux livres. Tu tues un vieux singe, une bibliothèque, une histoire, on n’a jamais intérêt à savoir qui a tué Lumumba ou Sankara. C’est des choses qui doivent rester dans un flou artistique, créer des légendes. Les prochains dictateurs se feront encore sur le nom de ces grands révolutionnaires. Sortir des noms, coupables, personnellement, je n’y crois pas. L’histoire nous a démontrés, qu’il n’y avait rien de grandiose qui sortait de ces procès à retardement.

Pour ce qui est de la maman, c’est l’époque à laquelle je me suis rendu compte de l’ampleur de son combat et ce qu’elle représentait pour la femme africaine et congolaise. J’ai commencé à la mettre en avant dans ma carrière, vie, mon quotidien. Ma mère est devenue ma pote. J’ai vraiment capté son boulot. En grandissant, je commence à voir les nuances, sacrifices qu’elle a fait. C’est un morceau qui a été inspiré par son discours prononcé en Afrique du Sud, devant le président de l’époque. J’aurais dû aussi le cliper.

Le fait qu’elle soit devenue ta pote, n’est pas aussi lié à ce que tu racontes dans Lumière blanche

J’ai failli la perdre et cela a été dur de mettre des mots dessus. Je l’ai quitté jeune (13 ans), elle m’a laissé le choix entre rester en RDC et partir en France. Je ne lui avais pas tout dit, posé toutes les questions. C’est arrivé quand je n’étais pas là, ça met un coup de pression. Tu te dis, qu’il faut plus s’intéresser à ses darons, car un beau jour, ils ne seront plus et on aura juste nos larmes pour pleurer et fouiner dans des archives. L’Afrique, on ne laisse pas des testaments, grandes lettres, il faut parler avec eux de leur vivant. On n’est pas très communicant, donc je me suis dit qu’il fallait que je fasse le pas. Qu’elle rentre dans mon monde et que je rentre dans le sien et qu’on avance.

© Sebastien Girod / Sébastien Le Gall

En Avril 2021, t’as sorti Ghetto Littérature produit par Coazart. Sur Jeux Pervers, on ressent un esprit moins manichéen sur l’Afrique et son histoire. Quelle était ton envie en l’écrivant ? 

Je voulais être fidèle au morceau original (Chris Isaak – Wicked Game), car je l’écoutais petit, l’aimais beaucoup, mais ne comprenais pas l’anglais. Quand j’ai capté l’histoire d’amour et haine qu’il y avait, je me suis dit que ce serait bien de la transposer par rapport à l’Afrique. Je sortais d’une période de trois ans là-bas, où j’ai encore mieux connu le continent, compris les nuances qui peuvent y avoir et les trucs que l’on peut se reprocher. 

Je suis resté proche du texte, en reprenant beaucoup d’images et ça collait bien, le monde en flammes et il n’y a que toi pour me sauver. C’est l’Afrique qui a sauvé le monde quand c’était la Seconde Guerre mondiale. Quelle gratitude ? Casse-toi, sale migrant ! Nous-mêmes, quelle reconnaissance, on a pour nos ancêtres ? On veut s’éclaircir la peau, avoir des domestiques à n’en plus finir. C’est bizarre, on vit dans un monde de dingues et je voulais dénoncer toutes ces réalités à travers ce morceau.

Comment tu as rencontré Coazart ?

C’est aussi un bon rappeur sous le nom de Veridik. J’avais fait un concours à l’époque où j’animais une émission sur Trace Radio, Mass Appeal Planet. Le but était d’arriver à faire autant de mesures que moi sur « One Shot ». C’est le seul concurrent qui a réussi à pulvériser le truc. On lui avait promis une mixtape ou une invitation sur celle de Sonar, mais ce dernier n’a rien sorti. Je suis resté en contact avec lui et il m’a fait écouter ses prods. J’ai commencé à bosser dessus depuis le bled. On a gardé cette relation, je me suis dit que c’était bien de lui rendre hommage pour mon retour, en le mettant dans le business du beatmaking. Lui filer un petit coup de pouce, car ses instrus m’ont donné la pêche et la bonne direction, justement avec Poignée de Punchline [2018].

Rezistan

Durant ta carrière, t’as fait de nombreuses collaborations (Al Peco, G.A.N, Poison), mais j’aimerais revenir sur une alchimie toute particulière avec Nakk sur « Dans La Zone« .

Nakk, c’est quelqu’un que j’écoute depuis son groupe, Soldafada. À chaque fois qu’il sortait un couplet, on était mort de rire et se le remettait, je ne sais combien de fois. Dès qu’on a pu collaborer avec lui, c’était un honneur. C’est un ancien du game, il était à Générations, avec Original Bombattak, j’avais fait un morceau sur l’une des mixtapes de Mark avec lui.

Je m’étais fait un peu cabosser, mais je me suis accroché. Quand il m’a appelé pour son projet, je me suis dit, un tête-à-tête avec Nakk, va falloir assurer et puis quand j’ai reçu son couplet, j’étais vraiment égaré, il fallait que je sorte quelque chose de différents. Il avait tapé tellement fort que je ne pouvais pas partir dans son style, j’ai fait quelque chose de lent comme lui était rapide, tout en espérant que ça fonctionne.

Ça l’a fait et le résultat est terrible et encore une fois, ce n’est pas un single, je ne le voyais pas passer à la radio. C’est au public de faire monter les morceaux. J’étais agréablement surpris des retours et on a eu l’occasion de le faire quelques fois sur scène, c’était un sacré bordel.

Dans le clip, on aperçoit Ol Kainry, tu viens d’ailleurs de participer à son dernier projet [Épisode 2 – Rezistan].

C’est la même histoire que Nakk, on l’écoutait à l’époque d’En Attendant, trouvait que c’était le meilleur du 91, qu’il représentait vraiment le département. On avait besoin d’un porte-parole qui casse les bouches, il est arrivé en Superman Noir, a mis tout le monde au diapason. Super respecté dans le rap français, donc à chaque invitation c’est un honneur.

En plus, c’est un gros casting, que des mercenaires sur le titre. C’est avec grand plaisir qu’on s’est retrouvé sur le projet de Difrey. On s’est beaucoup soutenu, à travers toutes ces années, se parle en privé, il y a eu des hauts et des bas dans notre relation, malgré tout on reste proche et continue de progresser.

Tu es toujours en contact avec Sonar ?

Bien sûr, très grand beatmaker. Cela fait longtemps que je n’ai pas bossé sur ses prods parce qu’il faudrait que j’aille dans son studio, tellement il est productif en ce moment. J’aime beaucoup son approche musicale et à l’époque de LVDR, il m’a beaucoup aidé à sortir ce gros projet. 

Et CasaOne ?

C’est la famille, on est associé sur un projet d’édition actuellement. On fait des toplines, beats à pas mal de mecs du rap game. Le dernier single de Naza, c’est nous qui avons proposé la topline et l’instru, avec deux mecs de Brazzaville à la réalisation, qu’on a signé sur la structure CasaOne Édition, qui est en Thaïlande. C’est quelque chose de super-grand. Je suis content de continuer mon amitié et aventure dans le business avec ce grand monsieur, qui en connaît un rayon. Il a deux instrus dans mon prochain album. 

T’as une attitude assez roots dans pas mal de tes sons (Besoin d’Air, Qui l’demande).

J’aime bien le reggae, j’ai grandi avec ça, Bob Marley, Lucky Dube, Alpha Blondy, c’est une musique de révolutionnaires. Ça me va bien, l’ambiance révolution, guitare, weed, y’a tout ce que j’aime. C’est indémodable comme le Rock, qui restera toujours dans le paysage. Avec l’avènement de la Zumba, du Zouk qui revient, Kizomba, tout cela me laisse encore de l’espace. J’ai encore fait une chanson récemment, 100 % reggae que je vais bientôt balancer. Je m’éclate sur ce genre de riddim.

 

 

 

 

Comment tu t’es retrouvé en feat avec Djamatik ?

J’étais honoré parce que je l’aimais beaucoup dans son groupe Nèg’ Marrons, je trouvais que sa voix cassée était atypique, comparée aux autres. Il m’a appelé sur le projet de Tiwony ! C’est ce que je dis dans « 1er Spliff« , un des seuls rappeurs validé par les rastas basta. Cela me fait plaisir, car c’est tous des tueurs, un milieu de one shot, freestyles. Les mecs vont au studio, enregistrent couplet-refrain-couplet-refrain-couplet-outro sur la même piste ! En dix minutes, ils te font un 2 titres.

Il a été question d’un Première Classe 3, comprenant une collaboration d’Ol Kainry, Nubi, Smoker, Youssoupha, James Izmad et toi.

Ouais, apparemment… Je savais qu’il y avait Youssoupha et d’autres. DJ Myst a le morceau, mais ne veut pas me le lâcher. Il sait très bien que ça va finir sur les plateformes, direct ! Pas d’avis préalable ou apparaît avec l’aimable autorisation [rires]. Je pense qu’ils se sont passé le mot, pour que ça ne sorte pas du disque dur !

Les Ulis

DJ Myst a une place importante dans ton histoire. Il est quasiment sur chacune de tes mixtapes, comme la réédition de Crème de la Crème.

Oui, Cuvée 2000. Je n’ai sorti que des morceaux enregistrés en 1999/2000. DJ Myst, c’est l’archiviste depuis les années lycée. J’étais en classe avec sa sœur. C’est le frérot, dès qu’on faisait des morceaux, on lui envoyait, il en faisait des mixtapes. Il a tout gardé, des trucs incroyables de moi, avec Nubi, Brasco, Disiz la Peste, des albums ! Il a trop de trucs, ne veut pas sortir, car c’est un gars réglo, il attend l’autorisation de tout le monde. Après l’autre ne veut plus ou Fianso, car son couplet a trop vieilli. Myst a été quelqu’un de fédérateur, mais malheureusement le climat du rap français s’est trop contractualisé, ça le dessert, mais il devrait être le DJ Khaled de ce fucking game.

Quand on écoute ta discographie, tu lâches parfois des pics sur tes anciens collègues (Diam’s, Sinik), mais lors de l’annonce des participants au Demi Festival 2021, il y a eu une sortie surprenante de Reeno envers toi.

C’est l’histoire d’une amitié compliquée, on a accouché par césarienne. On aurait pu faire un truc de fou, mais on n’était pas prêt pour conquérir le monde tous ensemble. Il fallait que chacun puise la force où il pouvait.

J’ai souvent lancé des crottes de nez à Diam’s, mais franchement elle m’a beaucoup apporté. Dans le sens où c’est l’une des premières qui m’a encouragé à faire du rap. On fait souvent les bonhommes, mais elle a eu le déclic avant, je suis obligé de lui donner ce prop pour la culture. Elle nous a incité à faire la mixtape Ul Team Atom : invitez des gens, moi-même je serai là, vais poser, si vous voulez, je vous ramène untel. Elle nous avait ramené la Scred Connexion, était bien connectée avec Koma. C’est quelqu’un qui nous a filé un coup de pouce, mais par la suite cela a été gâché par le business. On était des vrais amis !

L’amitié, c’est compliqué quand le business rentre dedans. C’était comme une bande de potes qui jouent au foot et y en a un qui signe au PSG, l’autre à Palaiseau. On pensait qu’on pouvait y aller tous ensemble ! Après, quand il a fallu se séparer, cela a été très douloureux. Avec le temps, on essaye de mettre des pansements sur ses blessures, mais il y a toujours des trucs qui vont ressortir. Je pense qu’en vrai tout le monde se souhaite du bien. 

Scar Logan aurait dû être le prochain à être mis en avant.

On était dans cette vision-là du rap, en grandissant avec Wu-Tang, Diplomats, Ruff Ryders, Boot Camp Click, malheureusement il y a un côté économique. Quand c’est juste des parties de foot le week-end, ça va, mais quand ça devient l’autre a gagné 200 000, l’autre a pris un million, sept mille là-bas. C’est dur à gérer quand on vient de rien. Ce n’est pas tout le monde qui arrive à avoir la tête froide dans des situations pareilles, ou ce côté businessman de savoir joindre les deux bouts, tirer profit d’un name, buzz.

Ce n’est pas quelque chose qu’on t’apprend dans le rap. On t’apprend à rapper, être calé sur l’instru, faire un bon refrain, gimmick, mais pas à être un businessman, indépendant, une machine à faire de l’oseille. C’est ce qui a manqué à beaucoup de rappeurs de notre génération et celle d’avant, où on était plus intéressé par la technique, le flow, que l’aspect lucratif, présence sur les réseaux. On a participé à cette époque-là, j’étais le plus productif, les autres plus attentifs à ce qui allait se passer (deal, structure). En vérité, des fois, il faut y aller avec sa poche, son réseau et c’est quelque chose qu’on essaye de transmettre dans nos ateliers, un programme qu’on a fait, l’Académie du Hip Hop.

On apprend aux jeunes que pour un artiste dans la lumière, il y a dix personnes dans l’ombre qui travaillent. Avant de t’imaginer au sommet, trouve-toi tes dix personnes ou peut-être que toi, tu vas être parmi les dix personnes pour accompagner quelqu’un au sommet. Tu pourras vivre au moins dans le mouvement que tu aimes. Il n’y avait personne pour nous l’apprendre.

Photo issue du livret de l’album : Ul Team Atom « Les anges pleurent… et la rue chante » [2004]

Qui l’demande ?

Vous avez été Mass Appeal avant Nas.

[Rires] Carrément ! En fait, c’est la traduction des premières mixtapes de DJ Myst au lycée, À la demande générale. C’est devenu le nom de son émission sur Générations : ALDG. Quand j’ai cherché la traduction sur internet, j’ai trouvé ça chanmé

Les grands esprits ! On est connecté ! J’ai des connexions avec pas mal de grands mc’s américains, il ne reste plus qu’on se fasse un cheeseburger avec quelques onion rings, pour causer de tout ça. 

Est-ce que tu peux nous présenter la structure Flymen Vision que tu as montée assez tôt ?

Dans un souci d’économie et pouvoir gagner à tous les coups, que mes projets fonctionnent ou pas, je me suis dit que je ne pouvais pas être dépendant de ma musique. J’étais trop comme ça, à massacrer un single, mettre une phrase qui n’a rien à faire là et va tuer le morceau. Il y en a beaucoup qui aurait pu être des singles, par exemple sur « Katie« , il n’y a pas de refrain. J’ai fait beaucoup de choix exprès et je me suis dit que je ne pouvais pas compter sur ma musique pour me nourrir en réfléchissant ainsi. 

Monter une structure sur de la prestation de services, pour financer mes projets et me permettre de me faire un réseau dans les mecs de la technique (cadreurs), la vidéo, que j’aime beaucoup. Je fais du montage et de la réalisation. On s’est lancé en 2009, à faire des sites internet, clips. En 2008, j’en faisais avec des téléphones, Les pendules à l’heure, la vidéo du freestyle avec La Fouine en studio, qui n’est jamais sortie.

Cela a commencé à bien prendre, j’ai lancé Los Monzas Tv, ça a cartonné sur YouTube. On a fait des centaines de milliers de vues, gardé le truc et ça toujours été moi derrière tous nos pools vidéo. Avant, je faisais des instrus, désormais, c’est la vidéo. Je m’épanouis, j’en fais de moins en moins, mais toujours pour les personnes que je kiffe, les petits freestyles, qu’au téléphone, j’adore ça. Plus que les grosses productions, c’est cool en tant qu’artiste, mais en réalisateur, j’aime bien les petites caméras, handycam, etc. 

On a fait pas mal de clips au bled sur la page 243 Street, pour plusieurs artistes congolais. Vous pourrez regarder ceux de Glock, Rafal, De Dereck. On a secoué Kinshasa, réveillé le mouvement hip hop là-bas avec un impact sur la culture congolaise.

Il y a Mister Donatello qui vient de rejoindre l’équipe, nous fait des designs. YKO, qui aujourd’hui travaille avec SDM, a beaucoup bossé époque B&PH. RC Lorakl pour tout ce qui est 3D, site internet. Dim’s l’ingénieur du son de l’équipe, mais aussi artiste et cadreur. Enzo Lossa qui a bossé sur le super clip de « Ne me quitte pas ». C’est un jeune que l’on a rencontré et emmené au Congo, pour filmer le reportage, on s’est super bien entendu avec lui. On mise souvent sur des jeunes réalisateurs qui demain, seront les plus gros clipeurs du game, il y a beaucoup de jeunes qui nous entourent et prennent des images. Dédicace aussi à Recam, qui est de Gentilly, un super cadreur qui va faire parler de lui.

À la même période, il y avait aussi Maybach Music Films.

[Il coupe] Exactement, grosse inspiration. Rozay faisait des clips mêmes pas stables. Je me disais, c’est magnifique. Les gars ont acheté le 5D, le jour même où ils l’ont sorti du carton, ont fait trois clips. On ne doit pas être parfaits sur tout dans la vie, on doit apprendre devant les gens, en devenant des youtubeurs. Cela a toujours été une grande inspiration, Dre Films. La productivité qu’ils ont eue, la vitesse à laquelle ils ont progressé, c’est phénoménal. 

Tu as un clip filmé via un drone, qui correspond à cette période.

Magnific ! J’étais l’un des premiers à sortir le drone, même Seth Gueko me l’a dit la dernière fois. Le mec avait construit son propre drone. C’est-à-dire que ça ne se vendait pas sur le marché, c’était très rare. On a eu deux opérateurs drone pour ce clip. Tout le monde regardait ça comme des dingues dans la street. Pour moi, cela a toujours été, on se débrouille, mais t’inquiètes, on a la vision. Puis Flymen, faut que ça plane, monte, j’ai toujours aimé ces techniques de filmage. C’est un plaisir de réaliser mes clips ou de participer à la réalisation. Je mets rarement mon nom, mais suis souvent derrière, quasiment dans toutes les étapes pour valider. Par exemple, ATK n’avait jamais fait de clips avant moi.

Est-ce que tu as une date pour le prochain projet ?

Le 21 Janvier ! Ce que je peux te dire, c’est que cette année, ça va chier ! J’ai attendu cinq ans, pour être là où je suis aujourd’hui dans ma paire de pompes. Pour te dire l’inspiration et la puissance que j’ai. L’équipe Addictive Music qui me fait confiance à 200 %, met du carburant pour que tout se passe bien. C’est cool de travailler dans ces conditions.

Mon équipe FMV, qui se professionnalise au max, m’encadre et me soulage dans un millier de tâches. Je suis enfin focus sur la musique, ne l’ai jamais été aussi concentré depuis Enfant Soldat. Je n’avais plus cet amour-là.

Des vraies chansons dedans, on a lâché la plume, grosses têtes, gros feats. C’est la guerre ! GL, c’était un bail quand tu vas à la piscine et mets d’abord l’orteil, ça dit quoi, c’est quoi les bails, est-ce que je suis toujours en vie ? J’ai toujours des singles zéro. La guerre commencera à partir de Janvier avec le nouvel album.

Merci à Thésaurap, des médias comme vous. Continuer à être dans le fond, la diffusion de bonnes informations, parce que les sites avec rap dedans, on s’en méfie maintenant. Ça pousse comme des champignons, c’est la folie. Big up à vous et restez branchés.

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