Après le succès critique de son premier album Imany, Dinos se lance à la conquête des charts avec Taciturne, mais pas que.
J’suis le mec que tout l’monde aime bien mais qui vend pas beaucoup d’skeuds
Mais tout ça c’est fini, tout ça c’est fini, j’le jure devant Dieu
Ces quelques lignes extraites du morceau On meurt bientôt, qui ouvre l’album, résument parfaitement la mentalité de Dinos au moment de la conception de Taciturne. Comme il le dit dans la même track, jamais la barre n’avait été aussi haute pour lui. Après une année 2018 couronnée de succès sur le plan artistique, puisqu’il a enfin pu sortir son tant attendu premier album, le rappeur de La Courneuve s’est retrouvé face à une impasse. Adoubé par quasiment toute la critique et les médias Rap spécialisés, mais toujours ignoré du grand public, il commençait à prendre l’étiquette du « rappeur pour puristes » dont les morceaux ne passent pas en radio, à l’image d’un Alpha Wann qui a toujours revendiqué ce parti pris au maximum. Mais l’intention de Dinos était, quant à elle, complètement différente ; son album Imany regorgeait de mélodies, transmettait beaucoup d’émotions et adoptait une écriture souvent simple, traitant de thèmes universels comme l’amour ou la recherche du bonheur. Une direction qu’on pouvait voir sur le seul « hit » de l’album, le magnifique Helsinki. Hélas, si cela a suffi à Dinos pour se créer une solide fan base et une identité à part dans l’industrie, ça ne lui a pas permis de suffisamment marquer les esprits. Raison pour laquelle il est revenu le 29 novembre dernier avec Taciturne, un deuxième opus plus mûr et beaucoup moins avare en bangers.
Dès l’intro On meurt bientôt, le ton est donné d’office avec un sample très réussi de Booba période années 2000, ce qui permet de rappeler le côté passionné de Dinos. Un message est lancé implicitement à l’ensemble des auditeurs, malgré sa nouvelle posture plus mainstream il a toujours à cœur d’honorer la culture Hip-hop comme il se doit. Surtout, il rappe par amour et non par opportunisme, sa démarche est authentique et c’est pourquoi il pose, pour la cover de l’album, sur un banc de sa cité des 4000 à La Courneuve. Plus loin dans l’album, il parodie (gentiment) les trappeurs actuels avec le morceau Wouuh qui adopte volontairement une instru minimaliste tournant autour de quelques notes de piano, et des paroles ultra-simples. C’est un pari gagnant pour Dinos car il s’octroie alors un banger efficace, et taillé pour la scène, tout en faisant mine de ne pas trop se prendre au sérieux. Le reste de l’album bénéficiera ainsi de la même diversité musicale, et de la même intelligence.
Taciturne se révèle au final très hétérogène, bien plus que son prédécesseur qui fonctionnait comme un disque en vase clos (raison pour laquelle il s’est attiré une fan base extrêmement fidèle mais a échoué a toucher le grand public). Dans ce second opus, Dinos varie donc les styles, les ambiances et les références pour notre plus grand plaisir. On peut passer rapidement de titres comme XNXX ou Oskur, calibrés pour les radios et presque Pop dans leur composition, à Quand les cailleras prient qui est une véritable prouesse lyricale comme Dinos sait désormais les faire. En terme d’émotions, il nous fait ainsi jongler du rire aux larmes avec beaucoup d’habileté. Il faut signaler la présence de ces piques humoristiques disséminées un peu partout sur le disque, et bien pensées à défaut d’être toujours bien dosées (on pense à l’intervention de Jacky des Neg’Marrons qui reprend son fameux jingle de l’émission Couvre-feu sur N’Tiekar, le clin d’œil est amusant mais cela finit par gâcher l’écoute à la longue).
A côté de ça, on trouve aussi sans surprise beaucoup de spleen tout au long de l’album, son titre parlant pour lui-même. La musique semble être un moyen privilégié pour Dinos, lui qui n’arrive pas à pleurer, d’extérioriser ses émotions, ses doutes et ses questionnements. On retrouve ainsi le thème, déjà fortement présent sur Imany, de la spiritualité où le rappeur monologue face à lui-même et remet en question ses croyances religieuses. Plus mature que son album précédent qu’il avait écrit et enregistré sur une période de 3 ans, Taciturne veut se faire l’expression d’un instantané de la vie de son auteur. De nombreux constats sont aussi dressés sur notre société actuelle et sur sa banlieue natale de La Courneuve, « là où même la pluie ne tombe plus » (en effet, la pluie est traditionnellement synonyme de bonnes récoltes et d’un avenir meilleur). Il évoque notamment la jalousie qu’il a pu ressentir envers lui et sa réussite, et le fait que dans la réalité peu de monde tienne vraiment à ce que tu t’en sortes. En vrac, il balaye également le matérialisme et la superficialité de notre époque, ses rapports avec autrui faussés à cause de la célébrité et sa volonté de rester en famille, les nombreuses avances qu’il a obtenu des femmes depuis qu’il a percé et sa peur de ne pas connaître le véritable amour, etc. Taciturne peut, à ce titre, être considéré comme l’album du passage à l’âge adulte. On sent une vraie maturité se dégager de ce projet, et un recul assez incroyable de Dinos qui, encore une fois, a su saisir sa réalité avec beaucoup de justesse. Il suffit d’écouter l’énorme trio Quand les cailleras prient, Les garçons ne pleurent pas (avec le musicien de Jazz légendaire Manu Dibango) et Taciturne en collaboration avec Dosseh pour s’en convaincre.
Au final, le parti pris hétérogène de l’album est donc plus que réussi, Dinos a su ajouter de nouvelles cordes à son arc et délivre une palette de sons enrichie. En 49 minutes, on ne s’ennuie jamais et on pourrait même pousser le vice à dire que l’album passe un poil trop vite. Néanmoins, on notera quelques moments un peu faibles où les lyrics baissent nettement en qualité (la combinaison Wouuh / Frank Ocean, qui passé l’effet de surprise s’avère très en deçà du reste de l’album et qu’on va rapidement oublier), même si ce n’est pas bien grave vu le niveau global du reste du projet. Une fois de plus, Dinos survole donc le reste de la concurrence et délivre un des albums les plus marquants de l’année, que ce soit au niveau de l’écriture, de la richesse musicale ou de la grande diversité des thèmes abordés. Une réussite d’autant plus flagrante qu’il a avoué en interview avoir entièrement improvisé les paroles en studio, pour l’ensemble des morceaux !
Toujours aussi sophistiqué et sincère dans son art, le voilà paré pour durer.