2020 : un constat encourageant pour le rap français 

L’année 2020 restera gravée dans la mémoire collective en raison de la COVID-19 qui s’est propagée à travers la planète, et qui aura causé d’importants dégâts sanitaires et économiques. Bien qu’éprouvante pour la majorité, cette période aura été bénéfique pour beaucoup d’artistes. Ces derniers ont pu se couper des distractions afin de se recentrer sur eux-mêmes et sur leur art, ce qui a entraîné un nombre considérable de projets. Productivité, quantité ou qualité… que retenir de cette année 2020 si particulière ?

Une tendance naturelle

Depuis quelques années maintenant, le rap est la musique la plus écoutée en France, et d’un point de vue marketing, cela signifie que les rappeurs ont tout intérêt à sortir de leur zone de confort et être plus « mainstream », dans le but de toucher une cible plus large (et par conséquent faire de plus gros chiffres de vente). Cette direction artistique se traduit par l’abondance de titres connotés rap mais qui flirtent en réalité avec d’autres styles musicaux. Pour désigner ce phénomène, certains emploient parfois les termes de « pop urbaine » ou de manière plus négative « zumba ».

En 2020, la logique est respectée puisque les albums urbains les plus vendus proviennent d’artistes ayant pris ce virage musical. Citons Maes et Ninho. Leurs hits respectifs « Blanche » et « Lettre à une femme », ont permis à leurs projets de se hisser au sommet des charts. Le nom de JUL peut également être cité car comme à son habitude, il a réalisé d’excellents chiffres de ventes, cette fois-ci avec son projet « La machine » et le projet collectif « 13’Organisé », compilation dont il est à l’initiative, propulsée par le titre « Bande Organisée ».

Concernant les singles, le schéma est le même : les morceaux urbains les plus écoutés en 2020 ont été des hits prédestinés, comme « Angela » de Hatik, « Djomb » de Bosh. Ces deux rappeurs ont fondamentalement un style de rap agressif logiquement moins accessible, et ces tubes de l’été ont permis aux artistes de se faire une place dans l’industrie. Néanmoins, pendant qu’une partie des fans de musique urbaine est ravie de voir ces artistes au top, d’autres sont lassés par la musique appelée péjorativement « commerciale » et ne comprennent pas pourquoi d’autres artistes talentueux ne réalisent pas les mêmes scores.

Succès ≠ mainstream

En tant que rappeur, il est évidemment tentant de proposer des morceaux plus ouverts pour accroître sa notoriété et ses ventes. Cependant, cette année, au milieu d’artistes qui ont effectivement fait ce choix, des rappeurs ont connu le succès d’une tout autre manière.
De nombreux rappeurs arrivent à se faire une place dans le paysage rap car ils vont totalement à l’encontre de cette logique commerciale présente dans l’industrie musicale. Ils ont un style singulier et ils ne s’en détachent à aucun moment.

C’est cette constance qui permet de créer une communauté fidèle, qui grandit exponentiellement, et qui conduira l’artiste au triomphe, même s’il ne sera pas aussi conséquent que celui des artistes du top albums. Les exemples majeurs de ce type de réussite sont Dinos, Laylow et Freeze Corleone, pour qui 2020 aura été synonyme de consécration.

Pour le premier, 2020 s’est terminé en apothéose puisqu’en octobre, son projet Taciturne, marqué par un style particulièrement mélancolique, est certifié disque d’or un peu moins d’un an après sa sortie. Dans la foulée au mois de novembre, Dinos dévoile Stamina, un album abouti rempli de surprises. Résultat : 23.236 ventes en première semaine. En comparaison, Taciturne s’était écouté à 7.815 exemplaires en première semaine, et Imany s’était écoulé à 3.131 exemplaires en première semaine).

Laylow, quant à lui, marqua 2020 de son empreinte avec son projet Trinity, un album très conceptuel et travaillé en tous points. Il connaît un succès fulgurant grâce notamment à sa fanbase très active sur les réseaux sociaux, qui a entrepris une propagande à la hauteur du talent de l’artiste. Résultat : premier disque d’or pour Laylow, huit mois seulement après la sortie du projet. Celui qui se fait appeler « Man Of The Year » n’a jamais aussi bien porté son nom.

Freeze Corleone avait quant à lui sorti son premier album en 2018, dans lequel il exposait son style tranchant presque engagé, rempli de références et de gimmicks. Le Projet Blue Beam a été l’un des moments clés ayant permis la croissance exponentielle de la fanbase de l’artiste. L’attente d’un nouveau projet se fait vite ressentir et Freeze Corleone conquit ses fans en sortant L.M.F qui va créer un véritable raz-de-marée. Résultat : premier disque d’or, et ce en seulement trois semaines.

Certes, auparavant d’autres rappeurs ont réussi à se faire une place grâce à leur propre style malgré la tendance mainstream, comme Damso ou Vald. Cependant ces artistes avaient systématiquement dans leurs projets, au moins un hit commercial pour acquérir un plus grand public (ex : Damso avec Maracena et Vald avec Eurotrap). Depuis 2015 et l’ère mainstream, au sein des gros noms du rap français, c’est sûrement PNL qui se rapproche le plus du trio de 2020, tant ils ont ramené quelque chose de novateur, tout en restant fidèles à eux-mêmes depuis le départ.

Il est également possible de parler de Nekfeu, un rappeur technique, avec peu, voire pas de morceaux commerciaux mais qui doit son succès à travers les thèmes humains et faciles d’accès qu’il aborde (amour, jeunesse etc.). Même s’ils ne sortent plus d’albums, ces artistes auront marqué l’histoire du rap français. Ils font quasiment l’unanimité chez les fans de rap français et réalisent des exploits que certains n’auraient même pas imaginé. Par exemple, Nekfeu est présent dans le top albums 2020 alors que son dernier projet date de juin 2019.

Dans la lignée de ces phénomènes, Dinos, Laylow et Freeze, ne comptent aucun titre dit « commercial » dans leurs projets. Ils ne doivent leur succès qu’à leur travail et au style qu’ils ont voulu imposer. Ces accomplissements rapprochés dans le temps, démontrent que pour un rappeur, rester fidèle à soi-même n’a jamais été aussi valorisant qu’en 2020 (« si tu es bon, que tu construis ta fanbase, ça peut marcher » – Mehdi Maizi) ; un constat prometteur pour l’avenir du rap français.

Le milieu rap en pleine expansion

Grâce notamment aux réseaux sociaux et au streaming, le rap connaît presque un nouvel âge d’or depuis quelques années. Alors qu’il est possible de penser que la fin de cette apogée arrivera bientôt, cette musique et tout ce qui gravite autour ne cesse de grandir.
D’abord, beaucoup de gros rappeurs ont sorti un nouveau projet cette année, ce qui démontre la réelle opportunité de créer qu’ont eue les rappeurs. 2020 c’est Damso, Dinos, Kalash Criminel, PLK, Zola, Médine, Deen Burbigo, Alpha Wann… sans parler des projets qui ont été annoncés sans date précise ceux de Booba ou SCH.

Ensuite, en 2020, de nombreux artistes ont opté pour un format idéal lorsqu’il s’agit de les découvrir ; l’EP. De nombreux Extended Play de qualité ont vu le jour en 2020 comme l’étonnant « KOLAF » de La fève & Kosei ; l’envoutant « Futée » de Zinée ou encore le rafraichissant « Gaura » de Chanceko. Mais ce format EP a aussi été utilisé par des artistes déjà installés, dans un but expérimental, comme par exemple Hamza et son « 140 BPM » ou Luidji avec « Boscolo Exedra ».

Enfin, au-delà de la musique, de plus en plus de personnes ou groupes de personnes se lancent dans la production de contenu en relation avec le rap. En effet, le nombre de comptes Twitter ou Instagram, de vidéos YouTube et même de podcasts est en train d’exploser. Hormis le fait que la question de la pertinence (voire de la légitimité pour certains sujets) puisse se poser, c’est ce genre d’initiatives qu’il faut soutenir car c’est véritablement ce qui emmènera le mouvement rap encore plus haut qu’il ne l’est déjà.

Cette observation prouve que 2020 n’aura pas été complètement dramatique. Pour certains amoureux du rap, la musique aura réussi à prendre le dessus sur la pandémie, et c’est cela qu’il faudra retenir.

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