Mauvais Ordre est une ébauche risquée que Lomepal a voulu transcender à travers des musicalités innovantes qui le font quitter peu à peu la scène du rap. Si cette évolution donne naissance à des morceaux étonnants, l’identité artistique originelle du Parisien, qui fait sa richesse, se perd au même titre que le supplément d’âme qui caractérisait jusqu’alors sa musique.
Trois ans. Trois ans d’attente durant lesquels le public de Lomepal trépignait d’impatience à l’idée de découvrir un projet encore plus abouti que les deux derniers qui ont fait sa réputation. Entre-temps, Antoine Valentinelli a troqué son costume de showman à l’énergie débordante sur scène pour celui d’artiste discret et pensif.
Il y a bien sûr eu cette parenthèse enchantée qu’a été 3 jours à Motorbass, un projet dans lequel il reprend ses plus grands titres en live acoustique. Puis il y a eu cette tournée des théâtres antiques à l’été 2022, mais musicalement, rien. Pas étonnant puisque Lomepal le disait lui-même, il a été touché par le « syndrome de la feuille blanche ». Pourtant, après des mois de tourmente, une nouvelle histoire est née d’une simple phrase : « J’ai peur de devenir l’image que je renvoie ». Après le doute, l’heure était à la mise en œuvre.
Pour concocter ce nouvel album, il s’entoure de ses fidèles acolytes comme les beatmakers VM The Don, Stwo ou le musicien Pierrick Devin. Dans le même temps, il sollicite également des musiciens plus éloignés du rap, aux influences riches comme le batteur Jonathan Kapela, le pianiste Guillaume Ferran ou encore le chanteur et guitariste Ambroise Willaume. Tous ont permis à Lomepal de proposer un éventail de morceaux influencés par la musique électro ou pop rock pour un résultat assez surprenant.
En chair et en os
Il n’est maintenant plus question d’adolescence sulfureuse ou de grand-mère sénile, le récit est tout autre. Le rappeur originaire du 13e arrondissement conte ici l’histoire d’un homme qui souffre de se sentir isolé. L’artiste trouve encore et toujours son remède à travers ce qu’il sait faire de mieux : de la musique. Pour ce faire, il s’appuie de nouveau sur quelques ingrédients de son succès.
Dans un premier temps, une rythmique haletante, quasi reposante qui, sur certains morceaux, lui laisse assez de place pour pouvoir s’exprimer librement et offrir un récit introspectif. C’est le cas de l’intro éponyme du projet. Comme à son habitude « Pal », est « toujours dans la mauvaise zone ». Il ne se sent pas à sa place lorsqu’il est entouré ni quand il est seul.
On parle la même langue mais on s’comprend jamais,
s’rait p’t-être temps que j’admette que j’viens d’un autre monde
Mauvais ordre
Pour exprimer ses déboires, Aymeric Westrich l’accompagne avec une batterie douce et gracieuse qui rythme la track. En parallèle, la boucle de guitare jouée par Pierrick Devin et Mohave embellit une prod qui joue parfaitement le rôle de mise en bouche du projet. Lomepal retrouve ses bases. Il commence à faire dérailler sa voix calmement et se met à l’aise.
Comme son nom le laisse entendre Mauvais Ordre est un album fouillis, en bazar, les tracks se suivent et ne se ressemblent pas. Malgré tout, les habituels éléments qui caractérisent Lomepal, à savoir des lyrics imagées utiles à un discours honnête sur une prod au BPM lent, sont reconnaissables.
Crystal par exemple, est le reflet de cette volonté. Sur un beat reposant où la guitare est directement inspirée de Nirvana, le rappeur chante un couplet simple mais entrainant qui fait prendre une dimension onirique au projet. Néanmoins, ces dires sont loin du rêve parfait. Il s’agit d’un storytelling mettant en avant l’amitié que l’artiste entretient avec une prostituée accro au crystal meth, une drogue très puissante. Peu de comparaisons ou de métaphores, mais surtout une volonté de faire comprendre à son public que cet addictif tourmente bien des âmes. Comme sur l’intro, la musicalité prend une part importante du morceau, soit un solo de guitare est laissé à la fin, soit un aller-retour de la prod permet à Lomepal de remettre le couvert pour un dernier couplet.
L’outro du projet est aussi prépondérante dans ce reflet du « Lomepal mélancolique ». Après 47 minutes de désordre, l’artiste classe ses idées et clôture son œuvre sur un piano-voix émouvant. Il se confesse. Malheureusement, le message est le même que lors de ses aveux dans les précédents projets, il fait comprendre qu’il n’est qu’un homme, qui a ses torts, qui est loin d’être parfait. Seule différence, il témoigne de son inquiétude à la vue de tous les gens qui lui tournent autour à cause de sa notoriété.
Dans Maladie Moderne, Lomepal parfait son style mélancolique et devient un chanteur intrigant. Pour cela, il ne lui faut qu’une guitare sèche et un kick espacé en fond. Les influences mêlées entre Post Malone et le groupe de rock The Strokes font de ce morceau l’un des plus réussis de l’album. Lyricalement, le rappeur arrive à suivre et propose une paronomase assortie d’une métaphore inspirante.
Bien sûr qu’j’me sens M.A.U.D.I.T
Le vide fait du forcing pour me dater
Maladie Moderne
Une aventure musicale
Pour comprendre Mauvais Ordre, il faut s’attarder sur la richesse musicale que le projet propose. Afin d’introduire son album, celui qui se prénommait anciennement “Jo Pump”, a présenté deux clips bien distincts l’un de l’autre. Il est quand même possible de déceler un point commun : autant dans Tee que dans Auburn, la prod est évolutive. C’est une volonté inscrite dans ce projet.
L’exemple parfait de ce mic-mac entre passage calme et hargneux, c’est Decrescendo. Dans ce titre, Lomepal surprend tout son monde et fait monter la température à travers ses couplets avant de se poser sur un piano voix dans les refrains.
C’est à l’image de l’album et des constructions lyriques : déstructuré. Difficile de turn up. Fort dommage quand on connaît le potentiel de l’artiste à haranguer les foules. Par la même occasion, le rappeur confie qu’il s’interview fréquemment, il se dédouble en quelques sortes, et cela rentre parfaitement dans la thématique revendiquée. Malheureusement, impossible de retrouver le grain de folie de « Pal », même quand on s’y attend. Autant se rabattre sur la technique rappée alors. Mais là aussi, pas grand chose à se mettre sous les dents, comme dans tout le projet d’ailleurs. Une des seules envolées notables, qui prend forme d’allitération se trouve dans Pour de faux :
Juste cette fille-là, c’est tout c’que je demande
Je n’saurais que faire du reste du monde
Je l’ai désirée éperdument
Et maintenant, j’me sens tellement perdu
Alors Lomepal n’est peut-être plus le rappeur qu’il était, mais est-il déjà l’artiste qu’il souhaite devenir ? Rien n’est moins sûr. Avec ses nouveaux compagnons de route, il expérimente. Hasarder reflète ce souhait. Le rappeur pose sur un beat constitué en partie d’un orgue, d’une caisse claire, de drums et de snares éloignées qui constituent un BPM calme et permettent à Lomepal de pouvoir faire vaciller sa voix comme il sait le faire. Malheureusement la topline est loin d’être exceptionnelle et ne parvient pas à donner à la composition l’élévation attendue. Bon point tout de même, les éléments caractéristiques du rappeur qui sont à retrouver dans ses lyrics, à savoir des paysages inspirants comme une forêt de séquoia, se mêlent aux excès du quotidien représenté par l’alprazolam (Xanax).
Autre exemple de ce voyage musical entrepris par le Parisien dans cet album, la track le miel et le vinaigre. Là encore, la composition est riche de nombreux éléments. La 808 est déstructurée, la boucle est un élément sonore quasi métallique et le synthé entraîne l’auditeur. Cette utilisation d’éléments peu habituels en fond se remarque d’ailleurs dans d’autres morceaux comme Prends ce que tu veux chez moi, où là encore une ambiance électro rythme la mélodie. Lomepal expérimente, mais il y a trop peu de plus-value dans ces risques, rien n’est transcendant, c’est trop monotone.
Un personnage enfermé dans l’amour
Pas encore évoquée mais pourtant importante, la thématique de l’amour est encore une fois le fil rouge de Lomepal dans ce projet. Comme à son habitude, le rappeur évoque une femme du début à la fin de l’album. Parfois à l’aide d’un égo-trip ironique comme dans Ethna.
J’suis connu pour m’faire baiser par tout l’monde
Et comme tout l’monde t’es venu chez moi
Parfois aussi de manière plus intime comme dans À peu près :
D’ailleurs, j’ai prévu de pas dépasser ma moitié du lit
Juste au cas où tu voudrais revenir cette nuit
J’te demanderais même pas de raison
J’veux juste qu’on fasse comme si t’avais quitté la maison
À travers ce dernier extrait, Pal avoue encore une fois qu’il souffre d’une rupture amoureuse et qu’il espère le retour de sa chère et tendre. Le discours est assez redondant et manque de profondeur, il aurait pu l’imager de manière plus riche. C’est un peu le sentiment ressenti à travers tout le projet. Le rappeur change ses musicalités, il devrait également pouvoir changer ses thèmes et s’aventurer vers des sujets différents. Même si cela appartient à son univers et que de très bons morceaux ont prouvé qu’il avait réussi quelque chose de fort avec ses déclarations d’amour sur fond de crise sentimentale, il pourrait innover. Il devrait au moins le faire dans la forme. Mais il semble enfermé dans cette case.
Il l’image d’ailleurs aisément à travers la cover de l’album et l’interlude Skit Il. Lors de ce passage, il explique que dans le film Truman Show, Jim Carrey découpe « un oeil, un oeil, un nez et se fait sa femme parfaite avec des magazines. » Et bien pour Lomepal, c’est quasiment pareil. Il est actuellement enfermé dans l’image d’une femme, c’est d’ailleurs ce qu’il souhaite parfaitement représenter sur la cover de l’album. Le personnage du rappeur évolue, il aurait été souhaitable que son style fasse de même.
Imparfait
En résumé, Mauvais Ordre est un projet qui reflète bien la nouvelle vie de l’artiste qui, musicalement souhaite se renouveler. Il est cependant regrettable que, dans son flow ou dans sa manière de poser, le rappeur n’ait pas tenté davantage. À la fin de l’accoste du projet, de nombreux morceaux osés séduisent, mais un goût d’inachevé, au vu du potentiel de l’artiste, se ressent également.