INTERVIEW

Double Zulu : fait pour le rap

Photo : Camulo James

Actif depuis plusieurs années, Double Zulu connait une ascension lente mais certaine, à l’image du catcheur Shawn Michaels qui escalade une échelle pour décrocher une ceinture au sommet. Si l’analogie est belle, elle n’était pas recherchée :

« On s’est juste dit que la photo et le combat étaient iconiques. Y avait pas vraiment de réflexion sur le côté ascension. En fait, avec JustMusicBeats on a le projet de faire plusieurs EPs comme ça, mais à chaque fois avec un match différent. »

cover de l'EP Ladder Match de Double Zulu

Ladder Match est un projet court (7 titres pour une durée totale de 20 minutes), où Double Zulu distille les punchlines imagées et les références bien placées à la pop culture. L’EP est une réussite évidente, pourtant il a failli ne pas se faire : courant août, Double Zulu dévoilait sur Twitter le besoin de faire une pause, car sa santé mentale ne suivait plus. « La musique fait partie de moi depuis que j’ai 13 ans, j’en ai 29 : ça fait plus de la moitié de ma vie. Si j’avais dit arrêter la musique définitivement, je serais revenu et on m’aurait répondu ‘t’es comme les autres rappeurs, tu dis arrêter mais tu reviens…’ c’est pour ça que j’ai préféré utiliser le terme parenthèse. »

Réaction de combattant

Le rappeur va un peu mieux aujourd’hui, et un message de JustMusicBeats a fait la différence : « Je suis sorti de ma ‘retraite’ car JustMusicBeats m’a contacté, et il m’a dit ‘arrête de faire ta chialeuse, viens on fait du rap’, je lui ai affirmé que je reviendrai en 2021, et il a répondu ‘non, on fait ça maintenant, après je n’aurai pas le temps’. Il m’a proposé de faire un EP. » La connexion n’est pas nouvelle : le producteur avait déjà collaboré avec Double Zulu, notamment lors de sa mixtape DBZ 2.

Cette fois-ci c’est différent : le projet est entièrement produit par JustMusicBeats. « Buddah Kriss (JMB) et moi avons une passion commune pour le catch, du coup on a eu l’idée de faire un projet là-dessus. À la base, la cover c’était l’Evolution (ndlr : un groupe de 4 catcheurs, composé de Randy Orton, Ric Flair, Triple H et Batista). Mais ça ne collait pas vu qu’on était que deux. Alors on a pris la fameuse photo de Shawn Michaels face à Razor Ramon. »

Ce n’est pas la seule passion qu’ils partagent : l’amour pour le rap et le goût du sample les rapprochent et renforcent la cohérence de l’EP. La collaboration était très naturelle « JustMusicBeats fait des prods de ‘vieux con’, et moi je fais des textes de ‘vieux con’, du coup on s’est dit que ce serait cool de faire un projet de ‘vieux cons’ : Ladder Match est né. » De la cover aux interludes (qui retracent la rivalité opposant les deux catcheurs emblématiques), jusqu’aux morceaux : tout est harmonieux.

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« Pas besoin de la gloire si j’ai la rançon,

Est-ce à l’église ou dans les transports en commun que je vais enfin trouver la rédemption ? »

Double Zulu dans « rêves et cauchemars »

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L’ambiance musicale soignée de l’EP n’a d’égale que l’écriture de Double Zulu, même s’il concède l’avoir parfois simplifiée : « Aujourd’hui j’ai dû faire de la concession dans ma technique, j’ai dû faire un pas vers le public pour que le public fasse un pas vers moi.» Mais cela ne l’a pas empêché de faire preuve de beaucoup de technique, et d’inviter de fines plumes. Parmi celles-ci, on retrouve Ron Brice et Perso à l’occasion du morceau Triple Threat. Les trois rappeurs se rendent coup pour coup, et contrairement au match de catch du même nom, il n’y a pas de gagnant ici. Sauf peut-être l’égo de Double Zulu : « Perso fait partie de mon top 10 rappeurs français. J’étais heureux de rapper avec lui, ça me faisait plaisir qu’il me valide. » Rapper Cham vient compléter le roster des invités sur le morceau Chikwang & Exeter.

Rêves et cauchemars

Nous vous parlions de la pause que Double Zulu a prise en 2020 par nécessité : il n’en était pas à son coup d’essai. Lors de son début de carrière, à une époque où il rappait sous le pseudonyme J-Welzz (J pour son prénom Julien, Welzz car il était fan de Dipset et plus particulièrement Juelz Santana), il dévoila sa mixtape RSP en 2012. Et même si c’était son premier projet, le rappeur n’en a pas honte, bien au contraire « récemment j’ai réécouté RSP, que j’ai sorti en 2012 quand j’avais 21 ans, et j’ai réalisé que j’étais super chaud (en toute modestie). » Il aimerait d’ailleurs le publier sur les plateformes de streaming ou sur Soundcloud à l’occasion de ses 10 ans.

Après cette première ébauche, Double Zulu s’est accordé une pause de 5 ans « J’ai pas pu enchaîner malheureusement, il n’y avait pas forcément l’argent pour payer des beatmakers et j’en connaissais peu. Puis je suivais encore les études, et certains évènements dans ma vie ont fait que je n’avais plus envie de rapper. Du coup j’ai fait cette pause. J’ai voulu reprendre avec un nouveau projet qui devait s’appeler Palladium. J’avais enregistré tous les morceaux, et y avait une vraie DA : c’était un projet introspectif dans lequel je parle de la tristesse et j’évoque beaucoup la mort etc. C’était un condensé de deux années difficiles où j’ai perdu des proches et j’ai pleuré des gens, ça a chamboulé ma vie. J’ai dû connaître la mort pour me remettre à rapper, mais je trouvais ça malsain. Je n’ai jamais sorti le projet, et je pensais arrêter le rap pour de bon. »

Retour, premiers succès

Une rencontre déterminante avec Atis du groupe 70cl le poussera à reprendre le rap de façon sérieuse. Après avoir abandonné son pseudo J-Welzz (qui ne sonnait plus aussi bien à ses oreilles) pour le nom de scène Double Z, il fit son retour avec les céréales avant le lait, un morceau léger et facile. Tout change : le son fonctionne et offre de la visibilité à l’artiste qui en avait besoin. Reboosté et déterminé, il dévoile DBZ 1 en 2019, dont les chiffres seront au-delà de ses espérances.

Il enchainera assez vite avec DBZ 2 en 2020, et enfin Ladder Match quelques mois plus tard. Avec du recul, il considère aujourd’hui que DBZ 1 est son moins bon projet, et que même sa rookie mixtape RSP est plus intéressante. Entretemps, il choisit d’ajouter l’extension ‘Zulu’ à son pseudo, car selon ses propres mots, il y a beaucoup trop de Double Z dans le rap.

Ce n’est qu’à partir de DBZ 2 que tout se professionnalise pour l’artiste : mieux entouré grâce à l’équipe +33 (composée des beatmakers Landi, Steinberg et du rappeur Baek), Double Zulu ne se contente plus de poser uniquement sur des type beats. Il reçoit des prods taillées sur mesure, prend plus de risques, progresse et propose une vraie direction artistique. Évolution poursuivie à travers Ladder Match. Et bien qu’il le considère comme son meilleur projet, il ne s’arrêtera pas là « beaucoup de gens m’ont dit ‘ça y est, t’as trouvé ton truc’ mais je ne veux pas me contenter de ça, je veux explorer d’autres horizons. J’me sens super à l’aise dans cet EP, je suis dans mon élément mais je ne veux pas me brider pour mes prochains projets. »

Plans pour le futur

L’un de ses objectifs principaux serait de sortir des projets courts avec des beatmakers et des concepts différents à chaque fois. En attendant, il travaille sur son nouvel EP qui sera beaucoup plus introspectif que ses œuvres récentes. Il devrait être proche de Palladium que Double Z avait enregistré lors de ses 5 années d’absence : « Le projet était très marqué par la tristesse, et ici c’est pareil. Après DBZ 2 j’ai enregistré pas mal de morceaux mélancoliques. Et en compilant je me suis dit que je tenais un truc. Sur un 7 titres qui dure 25 ou 30mn je suis capable d’amener une vraie thématique, et si j’ai la chance de faire des clips elle y sera présente. C’est pour ça que je prends mon temps. J’ai besoin qu’entre Ladder Match et ce projet il y ait une évolution. »

Il faudra donc attendre la sortie de ce nouvel EP pour être témoin de la suite de l’évolution de Double Zulu, et en apprendre un peu plus sur ce qui a impacté sa santé mentale ces derniers mois.

Rotka
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Life's a bitch and then you die