La transition du Rap à l’ère du Covid-19

À partir du 17 Mars 2020, la France et le reste du monde sont rentrés en confinement. Ce qui a transformé le style de vie de la totalité de la planète. Des intérêts économiques ont directement été impactés par cette situation, dont le divertissement et plus précisément la musique et le cinéma qui tiennent une place importante. La culture comme on l’entend est sur le point d’être modifiée dans son utilisation la plus basique.

Doit-on se préparer à un changement intégral de notre vie occidentale ? Oui, cela depuis les gestes barrières et mesures de sécurité imposées à tous. Dans ces conditions, quelles vont être les changements à prévoir dans la consommation musicale ?

On sait qu’après des années compliquées, le rap français a désormais une présence prépondérante dans les charts. Cette demi-pause forcée va t-elle pousser les acteurs de ce secteur à faire preuve de patience et remodeler tout leur système de fonctionnement ? Les parts de marché vont elles revenir à une musique plus pop qu’urbaine ? Autant de questions qu’on se pose et auxquelles il est difficile de répondre de manière affirmative. Il est compliqué d’anticiper sur la réaction des maisons de disque et autres labels. Ce qui est sûr c’est qu’ils peuvent compter pour le moment sur le streaming. Seul élément de revenu avec les passages en radio jusqu’à un retour à la normale. Un bilan s’imposera à eux au fil des mois de cette crise sanitaire.

Au niveau des sorties Rap, les vendredis sont désormais moins embouteillés. Nos habitudes sont bouleversées jusqu’aux publications hebdomadaires où seul les plus passionnés vont sauter immédiatement sur tout ce qui sort. Les soucis sont ailleurs et toutes les musiques n’adoucissent pas les mœurs. Selon le SNEP les ventes physiques ont chuté de 69 % au Top 200 et les équivalent ventes en streaming de 21 % lors de la première semaine de confinement. Il aura fallu deux mois d’acclimatation au public pour contredire une analyse sortie fin Mars. Celle-ci indiquait que la baisse du streaming sur les plateformes musicales depuis le confinement était causée par le manque de déplacement des abonnés. La consommation via internet se passant essentiellement en état de mouvement. Aucune certification particulière sur les albums sortis depuis le 13 Mars (Bosh, Da Uzi, S.Pri Noir, Roméo Elvis). Ce qui n’empêche pas une revalorisation (nouveaux clips, relance promotionnelle) lorsque leur exploitation sera reprise. Par exemple, des artistes comme Jok Air et Landy ont atteint le disque d’or dernièrement, pour leurs albums sortis en Mars 2019. Rien n’est perdu.

À chacun son mode opératoire

Actuellement les têtes d’affiche ne semblent pas prendre de risque. Booba a attendu le 12 Mai pour sortir une collaboration avec Zed de 13 Block, qui est signé en solo sur le label de Maes. Stratégie en continu pour le Duc qui reste dans l’actualité. Avec une nouvelle livraison, quasiment à chaque trimestre. Soit en répondant à une invitation ou en envoyant un single. La nuance dans son cas est que le confinement a causé l’arrêt de tous festivals et prestations scéniques. Dont un qui lui était consacré en Mars 2020 et devait peut être nous fournir des éléments de réponse quant à son dixième album.

Temps d’adaptation aussi pour d’autres têtes d’affiche. Côté canadien Drake qui règne sur les ventes du Rap US a fait son come back sans crier gare, le 1er Mai avec une mixtape nommée Dark Lane Demo Tapes. Sans grande surprise il s’est placé dans le haut du Top Spotify et consorts. Même succès pour Future et son album non annoncé en amont « High Off Life » sorti le 15 Mai 2020. Ce qui s’applique à Aubrey et Nayvadius, qui ont des statuts de star n’est pas applicable pour tous. Ce qui ne change pas c’est qu’au pays du dollar, le spectacle doit continuer. Les sorties US restent pérennes. Moult artistes américains n’ont pas l’air de tenir compte du Covid-19 dans la planification de leurs sorties. De Dababy à Gunna en passant par les vétérans comme E-40 et Tech N9ne, quasiment tout le monde y est allé de son arrivage. Avant la crise sanitaire, Megan Thee Stallion avait déjà opté pour la sortie d’un EP début Mars. Une réponse au conflit avec son label d’origine. Forte du succès de son titre « Savage » elle a eu droit à un remix en or de la part de Beyoncé. Tout cela a alimenté le réseau Tik Tok. À défaut d’un réel clip, elle en a profité pour publier deux vidéos distinctes du remix, fin Avril et début Mai. Fruit de leur collaboration disponible sur sa chaîne YouTube. Plus opportuniste, Snoop Dogg a balancé un titre sans équivoque le 19 Mai 2020 : I wanna go outside sur une production de Soopafly.

Revenons dans l’Hexagone avec un rappeur qui s’applique aussi à maintenir le lien avec ses fans. Le 10 avril 2020, dix nouveaux titres ont été rajoutés à l’album Taciturne, qui pour l’occasion a été renommé Taciturne Les Inachevés. Une façon comme une autre d’atteindre le disque d’or pour Dinos, qui cinq jours plus tard nous a offert le clip de « Arob@se » issu de la première mouture de son deuxième album studio. D’un certain point de vue cette sortie aurait pu aussi bien servir à celle d’un EP.

Extended Play

Depuis le confinement, il semblerait que le format EP ait pris une nouvelle considération dans nos contrées. Ça reste le moins risqué et le juste milieu entre le trop et le pas assez. Tout en restant dans l’actualité. Les exemples qui vont suivre ne sont pas à prendre pour une généralité mais plutôt comme les bonnes surprises françaises. Ils ont été enregistrés avant la crise sanitaire donc ne traitent pas de la pandémie. Fort à parier que dans les mois à venir, le Coronavirus va être mentionné d’une manière ou d’une autre. À tort ou à raison. Il est peu probable qu’il résonne de manière plus politisée que farfelue mais sait-on jamais.

Rim’K toujours dans la bonne tendance, qui après avoir livré sa valise le 6 Mars 2020 aux côtés de SCH et Koba LaD, a sorti l’EP Midnight un mois après. Dans la foulée, le discret mais toujours actif Jarod a fait de même avec son projet Attitude. Ces deux cas répondent à une fan base très classique de l’auditeur de rap. Tout comme les EP respectifs d’Express Bavon, Black P & Fresh One et Aketo pour ne citer qu’eux. Leto de son côté est le seul artiste en vogue à avoir indiqué que son EP Virus, sorti le 17 Avril était un préambule avant l’album. Sans donner plus de précision. Le mois d’avril semble avoir fait la bascule entre l’avant et l’après confinement.

D’autres ont arrêté toute mécanique d’exploitation de titres avant l’album. Sofiane avait repris la direction des studios depuis le début de l’année et l’épisode 12 de #jesuispasséchezso avec le rythme d’un clip par mois. Il n’a plus rien envoyé depuis le 16 Mars 2020 et son clip tourné en Allemagne. Il viendra combler ce vide en Juin aux côtés de Sifax et sur une version Deluxe des projets d’Hatik : Chaise Pliante. Quasiment même tactique pour Rohff et ses titres mensuels depuis Février, dont deux en Mars et le dernier en Avril. Par contre une collaboration a été promise lors d’un live Instagram avec… Dadju. Peut être plus malin mais sans grand effet au delà de ses abonnés, Dosseh a mis à jour son catalogue via la disponibilité sur les plateformes de ses deux premières mixtapes Summer Crack.

On peut éventuellement prendre en compte la période du Ramadan (24 avril – 24 mai 2020) en terme de calme niveau sortie française. Pour autant, il n’y avait aucune information annoncée au préalable qui ait été annulé. Seul Soso Maness pour des raisons privées en lien avec la pandémie, a reporté son album au 5 Juin. Mistral était prévu au départ le 3 Avril. Fort à parier qu’il y aura quelques annonces pour la période estivale. Un sursaut semble en cours, venu des artistes francophones. Parmi eux, il y en a un qui nous vient de Belgique, il s’agit de Hamza et d’un trois titres du nom de 140 BPM qu’il a concocté pour le 27 Mai. Chaque titre a d’ailleurs été clipé. Au-delà de quelques exemples et surprises éventuelles, rien à signaler.

Restez en ligne

La communauté urbaine a pu goûter aux joies des Lives Instagram à tout va et par tout le monde. Au départ, ce qui semblait partir d’un bon sentiment s’est révélé très limité. Le temps devenant long. Les records viennent encore de l’autre côté de l’Atlantique avec cette fois Tory Lanez qui sort grand gagnant du réseau mais aussi 6ix9ine. Les battles us l’ont démontré : on fait les choses avec les moyens du bord. À chacun de faire preuve d’abnégation, pour voir ses idoles se confronter et nous renvoyer à des périodes passées… Zek s’est servi du confinement pour afficher comment il s’inspire de son quotidien pour faire de la musique et faire un retour en tant que rappeur. Mehdi Maïzi a rappelé à quel point une émission comme La Sauce manque cruellement au paysage internet français. Il a été avec d’autres sur Instagram, un moyen de promotion pour certains qui ont sorti leurs disques. Des médias plus traditionnels ont aussi tenté l’aventure des Lives même si ce n’était pas spécialement ce qu’on attendait d’eux. Du fait de l’aspect technique pas toujours évident et supportable. Les lives existaient déjà avant la crise que nous traversons. De là à changer totalement la donne, seul l’avenir nous le dira. Ça reste un moyen interactif de divertissement mais limité pour le moment. Il s’adresse à une communauté déjà acquise contrairement aux plateaux de télévision.

Le jour d’après

Nous entrons dans le quatrième mois de crise et avons connu un déconfinement le 11 Mai 2020. Les plateformes de streaming sont les seules à donner le pouls de la musique. Jusqu’à présent la réussite musicale se ressentait encore de manière directe et indirecte. C’est à dire aussi bien dans un espace privé que dans un lieu de fête. En dehors des chiffres sur les plateformes comment juger la popularité d’une œuvre musicale ? À l’heure où même le physique ne peut plus se vendre que par internet ou via la grande distribution. Les magasins spécialisés restants fermés jusqu’à nouvel ordre. Dans ces conditions, on peut se demander tout bêtement, quel sera le tube (rap) de l’été 2020 ? Il y en aura forcément un mais ne résonnera pas comme les années précédentes. Sans salle de concert, festival, club etc. Notre premier ministre a annoncé une réouverture en partie et sous certaines conditions des lieux tels que les bars et autres pubs. Une seconde réouverture pour les lieux plus festifs coïncide étrangement avec la date annuelle de la Fête de la Musique. Au delà du style de vie c’est une industrie du spectacle qui est mise à l’arrêt. Compliquant un peu plus le statut des intermittents. Notre vie culturelle va reprendre tôt ou tard mais de façon différente. Elle se fera par une crise économique qui réorganisera forcément les priorités de chacun. Sachant que ce sont les plus démunis qui vont payer un lourd tribut. Tout comme le paiement pour accéder à la culture. Ce qui pourrait amener dans la musique à un nouveau calcul des streams.

Et après ? Du fait de toutes les incohérences que l’on peut trouver à la gestion politique de cette crise, il faudra y revenir en tant que citoyen. Quand ? Le temps nous le dira mais fort probable que ça s’opère à partir de la rentrée 2020. Mais si finalement il n’y avait pas d’après ? C’est-à-dire que le Covid-19 devienne une maladie comme une autre. Contre laquelle il faudra se protéger au même titre que le Palud ou le Sida. Que les générations futures ne soient jamais face à des spectacles vivants. Cela dresse un tableau noir de la situation culturelle. À chaque période sombre de notre histoire contemporaine, le rap a su peindre à sa manière, un tableau juste de la société dans laquelle il vit. Celui qui est mis en avant actuellement ne va pas changer du jour au lendemain mais devrait s’inscrire dans une période plus consciencieuse qu’auparavant. De par la situation sociale que le monde traverse. Une nouvelle génération d’artistes peut éclore en étant en phase avec cette nouvelle ère. Un mix improbable entre Keny Arkana et Young Jeezy période The Recession.

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