Après tant d’attentes et de teasing, Damso nous offre enfin ce tant désiré QALF. Deux années après un Lithopédion reçu en demi-teinte, il a donc opté pour un retour sobre, sans promotion exubérante puisque quelques affiches auront fait l’affaire, sans grands communiqués de sa part. Relevant de sa volonté, Damso a choisi de faire parler la musique sans fioritures, comme la cover très minimaliste de son projet le montre également. De plus, il revient dans le mystère le plus total, puisque aucun indice n’a filtré sur la musicalité de QALF, qui sera donc une totale découverte. Un parti pris plutôt intéressant, puisque Damso a un poids artistique tellement élevé que l’on peut se contenter de réceptionner sa musique sans rien autour pour la découvrir. Celui-ci étant dans une mentalité assez personnelle de son art dans le sens où il ne fait que ce qui lui plaît, il sera intéressant de voir sa nouvelle proposition artistique, pour savoir également si elle convainc plus que Lithopédion. Nous voilà donc embarqués dans un voyage de 45 minutes pour QALF, dont Damso est le pilote.
Une musicalité d’exception
Le projet s’ouvre donc tout d’abord avec un Damso dominant, revenu pour mettre les pendules à l’heure sur MEVTR, où il demeure percutant en débitant des flows puissants, montrant qu’il n’a rien perdu de sa superbe lorsqu’il s’agit de rapper. Dès d’entrée, la qualité vocale se fait ressentir, le mix étant d’une clarté limpide dessus, ainsi que la pureté des productions, qui sont tout autant mises en relief par le mix qui fait ressortir avec volume chacun des éléments les composant. LIFE LIFE continue sur cette lancée, ajoutant cette fois-ci de la mélodie sur le refrain, ainsi qu’un effet résonnant avec subtilité sur le vocal. Plus loin dans l’album, D’JA ROULÉ rejoindra cette catégorie de morceaux majoritairement rappés, offrant un banger habituel de Damso entouré de grosses basses, mais où il s’attache à apporter un progrès, à travers les effets vocaux qui se dédoublent par moments avec un aspect robotique, auxquels viennent s’ajouter des adlibs qui étoffent le morceau. Pour ce qui en est du reste, Damso va quitter en majorité l’aspect rappé pour réaliser des ouvertures musicales et des propositions chantées qu’il a peaufiné.
C’est donc dès le troisième morceau, DEUX TOILES DE MER, que Damso commence à nous étonner. Il offre ainsi un morceau très introspectif, qui surprendra avec un changement d’instrumentale, marqué par un message vocal touchant que son fils lui adresse. D’excellente facture en terme de production, la très belle voix de Damso nous envoûte tout au long de sa durée, où il se confie sur sa vie en général et la vision qu’il a de son fils. Très juste vocalement, il joue encore de plusieurs effets nouveaux, parfois dans une sorte de saturation lorsqu’il monte un peu dans l’expérimental, à la manière d’un Travis Scott. Il marque encore une fois une progression dans son chant, trouvant des mélodies d’une harmonie radieuse, où il alterne les rythmes et les tonalités abordées, allant de paire avec les quelques passages rappés, que le mix met toujours en lumière. A la fin du morceau, une transition est faite sur SENTIMENTAL, avec ses notes qui sont jouées. Ici, il s’ouvre musicalement en délivrant un morceau très emprunté variété avec la voix de Noémie Lenoir qui complète encore plus cet aspect. Toujours dans la justesse vocale et le jeu avec les effets vocaux, il démontre une maîtrise du style surprenante, se l’appropriant en plus de cela en rajoutant sa touche personnelle.
S’ensuit une nouvelle transition très intelligente trouvée dans le flux de l’album qui marquera un certain virage pour le projet. THEVIE RADIO (Interlude) annoncera le morceau à venir, qui est donc un featuring avec Hamza, à l’aide d’un présentateur, sur une production éclairée rappelant les radios des jeux vidéos Grand Theft Auto. Cette utilisation est ici très judicieuse puisqu’il met d’abord en haleine le public pour le prochain track, mais surtout car le morceau à venir dénotera une rupture musicale, abordant un tout autre style qui serait passé trop brusquement après les premiers morceaux. C’est donc comme ceci que le fracassant BXL ZOO démarrera. Le terme est ici bien choisi, car il s’agit là de la pure définition de ce morceau drill. Hamza débarque donc sur le morceau de la plus grande des manières, en raflant tout sur son passage avec cette performance de très haute volée montrant sa parfaite maîtrise du style. Alternant entre cadences rythmées et mélodies, ponctuées par des highlights qui ressortent, il propose un couplet impressionnant de qualité, suivi d’un refrain entêtant et puissant, avec des intonations variées et un vocal parfait. Damso délivrera aussi un bon couplet, mais qui restera dans l’ombre de Hamza, qui a totalement pris le morceau avec cette performance grandiose.
Après cette prise de risque qui aborde donc un nouveau style, cette tendance se poursuivra dans l’album à travers le morceau COEUR EN MIETTES, autre featuring, avec Lous and The Yakuza cette fois-ci. Emprunté cette fois-ci pop/rock dans ses sonorités, Damso livre un morceau mélancolique qui montera en puissance jusqu’à son point culminant, le refrain, qui fera exploser le morceau, d’abord sur l’accélération de la production mais aussi sur l’envolée vocale de Lous. Très riche musicalement, des guitares et des violons sont ajoutés sur le morceau en plus des drums et de la snare qui entourent la lead. Une nouvelle facette s’ajoute donc à la palette artistique de Damso qui ne fait qu’ajouter de nouvelles ouvertures musicales à son palmarès à travers ses prises de risque.
L’auteur de QALF réalise également des ouvertures musicales, mais dans ce qu’il a déjà essayé auparavant, comme sur POUR L’ARGENT ou FAIS ÇA BIEN en featuring avec Fally Ipupa. Ainsi il nous propose encore des morceaux à sonorités africaines, comme il avait déjà pu le faire sur Kin la belle ou encore Même Issue. Sauf qu’il ne se contente pas de les rééditer simplement puisqu’il apporte encore une nouvelle plus-value artistique jamais abordée auparavant. Sur POUR L’ARGENT donc, il pose pour la première fois en lingala, et étoffe le morceau d’une richesse artistique inédite dans sa musique, puisque la langue originelle du style correspond parfaitement aux sonorités et apporte de la vie au morceau. Il en sera du même procédé cette fois-ci sur FAIS ÇA BIEN où Fally Ipupa apportera son expertise dans le style avec sa voix singulière et ses variations entre chant magnifique et cadences plus rappées.
Dans un tout autre registre cette fois-ci, Damso va encore approfondir un style déjà abordé sur les morceaux ROSE MARTHE’S LOVE et INTRO. Dans cette tonalité musicale, nous connaissons déjà le Damso très mélodieux, sous effet vocal tout au long du morceau, alternant couplets rappés et refrain chanté. Ici il nous proposera la même recette mais encore plus efficace, déjà par le mix au sommet de son art, par les productions pointilleuses mais surtout par ses performances millimétrées qui trouvent un équilibre juste entre rap et chant, en s’entremêlant dans un même style grâce à la présence continuelle du vocal et la proximité des mélodies qui les rejoignent.
Enfin, les dernières prises de risque de l’album viendront avec les morceaux BPM et 911. Le premier se déroule dans un registre mélodieux mais différent de celui que Damso a l’habitude d’aborder, se voulant ici très sensuel et enivrant, à la limite de la consonnance RnB. Damso pose très sereinement, tout en tranquilité, avec des mélodies envoûtantes sur une production léchée, très douce avec sa ligne de hi hats discrète et ses drums très rondes qui tapent de manière modérée pour dégager encore plus le côté calme du morceau. 911 marquera ensuite le sommet de la prise de risque et du grandiose musical. Sur ce chef-d’oeuvre, Damso s’essaye à un style rétro dans une influence synthwave avec cette production splendide qui dégage une excellence musicale hors norme, avec ses synthétiseurs savamment dosés, sur lesquels notre artiste colle avec brio, en s’immergeant très bien dans le style en empruntant des mélodies prenantes, déjà maîtrisées alors qu’il s’essaye au style pour la première fois.
Dans la forme, QALF est donc un album d’une musicalité exceptionnelle, où Damso approfondit ce qu’il maîtrise déjà, et où il s’essaye à des sonorités avec grande réussite. Musicalement captivant de bout en bout, il permet donc d’être suffisamment immergé pour se plonger dans le fond qui cache un concept subtil sur l’album, qui aura même des répercussions sur sa discographie entière.
Une construction conceptuelle subtile
Avec QALF donc, Damso nous propose un concept sur le fil de l’album en lui-même d’un premier point de vue, mais aussi sur l’ensemble de sa discographie actuelle. Ce concept offre en plus de cela plusieurs lectures sur lesquelles l’auditeur doit se pencher pour comprendre comment Damso a construit son art.
– La conception de QALF
Sur cet album, une lecture à la fois musicale et lyricale peut être interprétée, pour illustrer le voyage de Damso à travers sa vie. L’album a un double sens de lecture, qui exprime des significations selon l’angle par lequel on l’aborde.
En partant de la fin, avec le morceau INTRO, initialement appelé VIE, nous pouvons lier ce titre à la naissance de Damso. Le titre le suivant dans cet ordre, ROSE MARTHE’S LOVE donc, est de sa mère dont il s’agit ici, suivant logiquement la naissance de Damso puisque la mère est la première personne rencontrée dans une vie. Ensuite, FAIS ÇA BIEN pourrait illustrer l’enfance de Damso au Congo, puis 911 qui est un style tout de même assez ancien pourrait aussi marquer l’ère de la jeunesse de Damso. Un peu plus tard dans l’album, le morceau POUR L’ARGENT pourrait signifier le départ du Congo vers l’Europe pour lui et sa famille afin de trouver un meilleur cadre de vie, comme le montre les sonorités africaines, mais aussi le titre lui-même, qui pourrait aller de paire avec la volonté de la famille de Damso de s’en sortir financièrement.
COEUR EN MIETTES représenterait la difficulté et la peine de quitter son pays natal, puis BXL ZOO comme son titre l’indique marquerait l’arrivée de Damso à Bruxelles et en Europe, où les sonorités cessent d’être africaines pour être plus européennes avec l’influence de la drill anglaise, comme c’était déjà le cas auparavant avec l’influence pop/rock sur COEUR EN MIETTES. Les sonorités occidentales se font encore ressentir par la suite avec l’interlude, la variété française sur SENTIMENTAL et le côté plus rappé sur les deux premiers sons. Cette évolution musicale illustrerait donc le voyage de Damso de l’Afrique vers l’Europe, en partant de la fin de l’album et en remontant jusqu’au début. De plus, lyricalement on y suit son évolution puisqu’il commence de la vie et de sa mère avec ROSE MARTHE’S LOVE pour aller jusqu’à la paternité sur DEUX TOILES DE MER.
Néanmoins, en partant de l’autre sens, nous pouvons relier la lecture de l’album avec son actualité. Le début parle plus de son fils qui était d’abord sa priorité à un moment donné. Puis les morceaux à sonorités africaines qui arrivent par la suite pourraient représenter son retour au Congo, qu’il a effectué récemment pour QALF, en allant jusqu’à ROSE MARTHE’S LOVE qui montrerait les problèmes qu’a rencontré sa mère, comment Damso s’est soucié d’elle et s’en est rapproché récemment, comme il l’expliquait en interview. De plus, les voix européennes à la fin de l’album et les voix africaines au début, pourtant chacune inverse à son sens de lecture, représenterait le dédoublement de sens de l’album, marquant ainsi une ligne sans début ni fin.
– La conception de la discographie de Damso
QALF marque donc le point d’orgue de la première partie de l’oeuvre de Damso et parachève une discographie dans laquelle nous pouvons lier tous les albums à travers plusieurs éléments à exploiter que son auteur nous a présentés.
Batterie Faible représente la jeunesse de Damso, à travers tous ses vices et ses travers. Il est ici dans une vie insouciante, où il se drogue, il boit, il a des rapports sexuels et il se vante de lui-même à travers l’egotrip. Néanmoins quelques soupçons de réflexion parviennent par moments, comme avec Amnésie où il se rappelle le décès de cette fille en partie par sa faute, et Graine de sablier où il songe à sa mère. Musicalement cet état d’esprit est bien ressenti à travers le kickage en masse et les passages plus mélodieux sur les deux morceaux mélancoliques cités auparavant.
Sur Ipséité, nous avons de ce Damso là, mais celui-ci entame une transition à l’âge adulte, où il commencera à se soucier des choses plus importantes de la vie, en s’éloignant plus de l’insouciance et la débauche de Batterie Faible. Des morceaux comme Kietu vont le faire se questionner sur sa personne, Kin la belle va lui faire se souvenir de son pays natal, dont il exploite les sonorités dans sa carrière pour la première fois, et Peur d’être père va lui faire se rendre compte de la paternité. Tous ces débuts de réflexion vont s’achever sur Une âme pour deux où il tombe dans le coma, avant d’entamer le prochain album.
Avec Lithopédion donc, Damso sombre totalement dans les débuts de réflexion qu’il avait au cours d’Ipséité. A son entame, il est toujours à l’hôpital, puis tout au long de l’album les réflexions existentielles de la vie vont s’enchaîner. L’album est sombre, traite de tous les aspects de la vie, est parfois flou musicalement et l’on s’y perd dans le complexe des lyrics parfois exagéré, comme pour indiquer les doutes dans lesquels sombre Damso lors de son passage à l’âge adulte. Sur le dernier son William, Damso semble plus perdu que jamais et ne sait même pas s’il y aura une suite à son oeuvre, et conclut donc l’album dans un doute marqué. De plus, le titre de l’album signifie un être mort-né, représentant l’état dans lequel est Damso à ce moment.
QALF permet donc de relier et conclure tout ce que Damso a rencontré. Il y paraît apaisé, il a trouvé les réponses à ses questions et l’exprime à travers des lyrics simples et compréhensibles pour montrer ce nouvel état d’esprit. L’album est éclairé, ce qui montre l’état de plénitude dans lequel Damso demeure. A la fin de l’album, un enterrement a lieu dans une église, et il se réveille brusquement, avec la phrase « Batterie rechargée ». Nous pouvons donc ici l’interpréter comme la fin d’une aventure qui pourrait se boucler comme ceci, mais aussi comme le départ d’une nouvelle où Damso est plus énergique que jamais.
Toute sa discographie est donc reliée grâce à QALF qui en vient en apporter une explication claire pour peu que le temps soit pris de se pencher dessus en profondeur. Damso est désormais serein et tout est clair dans sa tête, l’album aborde tous les sujets de la vie et montre une période de l’esprit de Damso, comme le font les précédents albums, qui suivent donc l’évolution de l’artiste à travers cette oeuvre artistique, mais aussi de l’humain qui suit la même évolution. Comme un parcours, une leçon de vie, la discographie de Damso et surtout QALF représentent la vie et les différentes humeurs selon les époques, comme celui-ci le disait en interview. Ayant confessé qu’il avait préparé son plan de carrière sur dix ans, il est maintenant logique de découvrir que sa musique a été pensée de façon à être liée de bout en bout, et encore plus si l’on se penche sur tous les lyrics de ses différents albums en détail. En réussissant une telle prouesse, Damso a réalisé un tour de force mémorable, qui force à éprouver du respect envers le travail de son art.
QALF est donc à la fois un album très riche musicalement mais aussi en terme de concept intrinsèque au projet ainsi qu’à l’ensemble de sa discographie également. Peu facile d’accès en raison des sonorités, de l’expérimentation, de l’ambition et du format peu communs, il est difficile d’y adhérer en une écoute. C’est pour cela qu’il est fondamental de s’y plonger en le réécoutant pour cerner l’album. Le travail d’orfèvre réalisé par Damso est à saluer, et la performance peu commune réalisée sur cet album offre un réel bol d’air frais au milieu des sorties du paysage francophone. Sur cette réussite, il ne reste maintenant plus qu’à lui de décider s’il clôt une aventure parfaitement bouclée, ou s’il s’en sert de tremplin pour s’élancer vers de nouveaux horizons.