En délivrant My Beautiful Dark Twisted Fantasy, album enraciné dans l’obscurité, les pensées vengeresses et l’art exquis, Kanye West est au sommet de son art et franchit une marche décisive et déterminante de sa carrière.
Les fruits de la colère
Rétrospectivement, cet album n’aurait pas pu sortir à un meilleur moment. En 2009, Kanye West devient l’ennemi public numéro 1 aux Etats-Unis après avoir gâché le discours de Taylor Swift, qui venait de remporter le premier VMA de sa carrière. Le président de l’époque, Barack Obama, ira jusqu’à le qualifier de jackass (abruti). C’est après cette bronca médiatique que Kanye quitte la lumière des projecteurs et s’envole secrètement pour Hawaï. Il ramènera avec lui des top producteurs tels que RZA, Mike Dean et No I.D pour participer à la production de l’album.
Une production haut-de-gamme, maximaliste et inégalée
C’est d’ailleurs la première chose que l’on note en écoutant MBDTF : sa production. Maximaliste à l’extrême, bordée de choeurs, de tambours tribaux, de symphonies, de violons, de pianos, de guitares, de solos de vocoder, la construction de chaque morceau est tentaculaire, tant les instruments, les mélodies et les voix se chevauchent.
Dans une intro symphonique et époustouflante, Nicki Minaj lance le projet, avec une intonation british et féérique. Soudain, les auditeurs qui se laissaient prendre aux belles touches de piano et à la magnifique voix de Teyana Taylor sont sortis de leur rêve par Kanye.
D’un coup de pied, Kanye impose sa présence sur Dark Fantasy, parlant de ses luttes intérieures avec le diable et son mode de vie autodestructeur. « I saw the devil in a Chrysler LeBaron », « Took pills, kissed an heiress, and woke up back in Paris », « Sorry for the night demons that still visit me, the plan was to drink until the pain over/But what’s worse, the pain or the hangover? »
Gorgeous procède de la même manière avec le chant de Kid Cudi et un verse bien orchestré de Raekwon, membre du Wu-Tang Clan. Deux pistes et on peut déjà faire l’éloge de la quantité de musicalité fournie dans chaque piste. Kanye, ainsi que les producteurs impliqués ont prêté attention aux détails de chaque sonorité appliquée à chaque piste afin de faire de ce projet une symphonie. My Beautiful Dark Twisted Fantasy est un spectacle de lumière colorée et sonore plutôt qu’un simple album.
Un kaléidoscope musical et humain
Cet opus ne s’est pas bâti tout seul. Des noms tels que Pusha-T, Rick Ross, CyHi The Prynce, Bon Iver, John Legend et même des artistes légendaires tels qu’Elton John ou Gil Scott-Heron ont participé à la construction de ce mastodonte. Ces artistes aident Kanye sur chaque morceau de façon à créer une approche cohésive de l’album.
Il est évident que Kanye n’aurait pas réussi à faire un projet d’une telle envergure tout seul et que c’est l’aide de nombreux artistes qui ont poli le thème général de l’album ainsi que son ambiance. Le morceau All of The Lights en est la représentation parfaite : les voix de Rihanna, Kid Cudi, The-Dream, Charlie Wilson, John Legend, Alicia Keys, Elton John, Fergie, Ryan Leslie, Drake et bien d’autres s’additionnent et sont portées par des cymbales guerrières et mélodieuses.
L’une des chansons les plus violentes de l’album est certainement Monster. Un morceau aussi vicieux que son titre. Tandis que Kanye reste dans son personnage arrogant habituel, Nicki Minaj performe là l’un des meilleurs couplets de sa carrière.
Devil In A New Dress est à ce titre peut-être le morceau le mieux produit, quoique cette précision n’indique rien, tant cet album sort du cadre trop étroit de la production hip-hop tel qu’on le connaissait jusqu’alors. Produit par B!nk, cette production est un chef d’oeuvre. Les violons, le piano, les drums, tout est extrêmement bien dosé afin de fournir une expérience de haut vol. Le sample extraordinaire soulful de Smokey Robinson, l’immense solo de guitare électrique qui sert de pont avant le couplet de Rick Ross, ce morceau est mélodieux et extravaguant au possible. Rick Ross délivrera d’ailleurs l’une des meilleures performances de sa carrière, tout en opulence et en classe.
Runaway est le morceau le plus emblématique de l’ADN de cet album. Morceau long de 9 minutes, démarrant par une touche de piano répétée timidement et inlassablement, la production s’embellit et se transforme à l’apparition des drums, accompagné par un Kanye crooner et portant un toast de manière ironique à ceux qui l’ont mis la tête sous l’eau. Le piano, la voix qui fait écho à l’arrière-plan, la distorsion du chant de Kanye et l’énorme solo de vocodeur de fin : chaque élément de cette piste est grandiose, d’une beauté rare. Combinez cela avec le verse de Pusha et cela devient un instant classic.
Blame Game est une chanson qui décrit une relation entre Kanye et une fille, que beaucoup croient être Amber Rose, qui a mal tourné. En samplant Avril 14th d’Aphex Twin, ce morceau devient beaucoup plus nostalgique et rageur. Ce morceau tire sa notoriété de sa fin, dialogue entre le comédien Chris Rock et la fille dont parle Kanye, qui a donné naissance à la phrase «Yeezy taught me». Kanye revendique avoir tout appris à cette fille, comment bien s’habiller, comment satisfaire un homme et c’est ce qui transparait à l’écoute de ce dialogue teinté à la fois d’humour et d’amertume. « You should be grateful a nigga like me ever noticed you ».
L’héritage et l’impact laissés par My Beautiful Dark Twisted Fantasy est clair, il a tout d’abord amené les artistes à devenir plus créatifs et à être plus attentifs aux détails, qu’ils soient musicaux ou qu’ils soient au niveau de la présentation même de leurs projets et de leurs covers d’albums. Ce projet est l’un des disques les plus influents de l’histoire du rap et se fait le porte-parole d’un style de vie chic, arrogant mais sensible. Pour la troisième fois de sa carrière, Kanye West réécrit complètement les règles du rap et trace les voies d’un chemin qui sera à maintes reprises emprunté.