L’ouverture à la tristesse dans le rap US des années 2010

Le rap US a souvent été affilié dès sa création à une représentation d’egos se voulant tous plus forts les uns que les autres. Plutôt revendicateur à ses débuts ou montrant simplement la difficulté de la vie dans le quartier ainsi que la volonté de réussir, le rap US s’est à l’origine positionné comme un style fort, démontrant un statut de puissance avec des individus rugueux. Le gangsta rap en est un bon exemple avec des artistes comme les membres de NWA, 50 Cent, The Game et consorts. Néanmoins, au cours des années, le côté invincible s’est ouvert à un nouveau type d’émotions dans le rap, à savoir la vulnérabilité.

Et ceci ne date pas d’aujourd’hui. Des artistes comme Eminem, 2Pac ou même Nas par moments se sont ouverts à des morceaux plus intimistes, exposant leurs peurs et leurs faiblesses, et ce dès la fin des années 90 et au début des années 2000. A partir de la fin de cette décennie 2000, tout un pan du rap a basé une grande partie de sa musique sur l’aspect mélancolique et la tristesse qu’il était possible d’en ressortir, jusqu’à aujourd’hui. Maintenant, au commencement de la décennie 2020, il est temps de faire une rétrospective de ce que la dernière décennie nous a apportée en la matière.

Historique

– 808’s & Heartbreak, le pionnier

Nous sommes en fin 2008, à l’aube d’une nouvelle décennie. C’est donc à ce moment charnière de l’histoire du rap que Kanye West a décidé de donner l’heure de la nouvelle époque qui arrive. Vivant la pire période de sa vie avec le décès de sa mère et la perte de sa fiancée, il se servira de 808’s & Heartbreak comme d’un exutoire de sa profonde tristesse, ce désespoir personnel qui deviendra ensuite porte étendard de toute une nouvelle génération artistique et même humaine.

Jusqu’alors connu pour sa virtuosité à teinter le rap de ses samples soul, Kanye va opérer un changement brutal. Désormais, il n’est plus question de cela puisqu’il va orienter sa musique sur cet album vers un univers froid marqué de mélancolie, à l’aide de nouveaux procédés artistiques. C’est de ce fait que viendra une utilisation massive de l’auto-tune, à l’époque utilisé en grande partie par Lil Wayne et son acolyte T-Pain. Parfumé de cette touche d’auto-tune, Kanye va aussi mettre en place des productions plus synthétiques et froides, loin de la vie chaleureuse amenée par ses sonorités soulful de l’époque de Late Registration.

Ses drames personnels vont le pousser à révolutionner le rap US, en parlant de thèmes comme la tristesse, la perte d’un être proche, la désillusion amoureuse ou encore le désespoir de vivre. A savoir qu’à cette époque et même avant, pratiquement personne n’évoquait des thèmes aussi sensibles, pouvant laisser paraître autant vulnérable. En plus donc de sa révolution musicale avec son auto-tune et ses productions électroniques, Kanye réussit l’exploit de chambouler l’approche lyricale d’un rappeur.

Ainsi c’est une nouvelle musique totalement hybride que Kanye amène. Il ne rappe plus vraiment, il chante sous auto-tune alors qu’il est piètre chanteur, un pari risqué qui permettra au final de faire passer le plus d’émotions possibles, qui même s’il rebute à sa sortie, finira par convaincre et influencer le game sur des années. Et le fait de miser sur ses performances en chant alors qu’il n’excelle pas dans le domaine le rend encore plus touchant, dénotant une certaine fragilité amenant à une sympathie envers lui pour celui qui l’écoute. Ce mouvement est d’autant plus courageux par le fait de sa décision de déconstruire sa musique en la remodelant sous un autre aspect, presque sans cesse passée sous filtres vocaux dans une époque où ce qu’il a fait ne se faisait absolument pas. Avec cette empreinte conséquente laissée dans le rap, Kanye a montré que désormais cette musique ne pouvait pas uniquement transposer la réussite et la gloire, mais aussi la tristesse et le désespoir.

C’est donc par cette influence artistique qu’il créera une toute nouvelle génération d’artistes inspirés par 808’s & Heartbreak, qui vont baser leur musique sur la mélancolie, la tristesse et le mal-être. D’autant plus qu’il s’agira des artistes majeurs de la décennie suivante à l’instar de Drake ou Kid Cudi, descendants directs de la musicalité et du lyrisme de cet album dans leur approche artistique. Et c’est désormais ce que nous allons voir avec le premier artiste descendant de Kanye West, sans doute le plus marqué de ce fait et celui qui influencera le plus par la suite, à savoir Kid Cudi.

– L’apparition de Kid Cudi

Apparaissant sur 808’s & Heartbreak, Kid Cudi émerge à la suite de celui-ci. Il faut savoir qu’il a joué un rôle important sur l’album influent de Kanye en y étant très présent. En effet, il apparaît en featuring sur Welcome to Heartbreak, mais aussi en compositeur/écrivain sur Heartless, Paranoid et RoboCop. Par sa grande présence sur cet album, il était donc logique qu’il participe à l’explosion de ce nouveau style musical dans le rap. L’année d’après, en 2009 donc, Cudder sort son premier album studio, Man on the Moon: The End of Day. Après s’être fait repéré par Kanye début 2008 suite à sa mixtape A Kid Named Cudi alors qu’il était encore inconnu, il est signé chez Good Music où il y étendra son patrimoine musical.

Son style se développe donc sur ce premier Man on the Moon, et sans surprise il se rapproche de celui de son mentor qu’il a instauré avec lui un an plus tôt, mais avec une touche personnelle. Cudi nous présente son monde : l’idéal imaginaire d’un enfant, où il s’évade pour fuir sa dure réalité. En effet, celui-ci a connu la mort de son père à 11 ans, a eu une scolarité tumultueuse, un casier judiciaire, et s’est fait rejeté par son oncle, ce dernier évènement ayant inspiré le hit classique Day’n’ Nite. Ce dur vécu transparaît en musique puisque Cudi semble perdu dans la mélancolie et la tristesse, que l’on reconnaît musicalement avec des morceaux comme Solo Dolo (Nightmare) ou Sky Might Fall. Mais c’est bel et bien tout l’album qui est parsemé de cette teinte. Tout comme son prédécesseur, tristesse, nostalgie et mélancolie sont de mise. Néanmoins, ici nous y retrouvons un côté enfantin, limite naïf qui montre l’innocence de son auteur. C’est ainsi que son univers musical va s’étendre, reprenant les bases de 808’s & Heartbreak mais avec la fragilité de Cudi.

Cette fragilité en question est toute naturelle pour lui puisqu’elle transparaît aussi dans sa voix. Endossant la casquette de rappeur mais aussi de chanteur, Kid Cudi a une sensibilité vocale bien à lui, qui le démarque des autres et participera à étendre ces nouvelles sonorités plus mélancoliques dans le rap. C’est toujours de cette teinte que sera composé son album suivant, Man on the Moon II : The Legend of Mr. Rager. Toujours sous cette influence pop savamment dosée avec le rap, Cudi nous parle de ses démons, comme sa dépendance à la marijuana, qui a remplacé celle qu’il avait pour la cocaïne sur le premier Man on the Moon. Encore très mélancolique avec des morceaux comme Mr. Rager ou All Along, Cudi pousse le style musical et s’impose désormais en figure de proue de celui-ci, reprenant parfaitement l’héritage de Kanye West.

L’influence que son mentor a eu sur lui a été digérée pour en faire son propre univers artistique avec sa touche singulière, et après avoir été impacté par un artiste, ce sera à son tour d’impacter d’autres artistes, avec en tête de ligne l’incontournable Travis Scott. Ce dernier lui voue une admiration sans faille, reprenant même son prénom dans son nom de scène, et formant un groupe, The Scotts avec son mentor tout récemment, dont un album commun devrait sortir après le single du même nom. Et ce n’est pas la seule influence que Cudi aura sur Travis. En effet, il s’inscrira lui aussi dans un univers musical torturé et ténébreux, usant de l’auto-tune à son paroxysme, reprenant ainsi là encore une fois l’héritage de 808’s & Heartbreak, dont l’influence est arrivée au sommet en milieu de décennie 2010. Lui-même connaîtra une influence gigantesque dans le rap en enfantant des artistes comme Don Toliver. Concernant cette influence, il est enfin important de noter que tous les artistes qui en découlent d’années en années figurent parmi les plus grosses têtes du milieu. En effet, Cudi a découlé de Kanye, qui fera lui-même découler Travis Scott, puis Lil Uzi Vert découlera aussi de ce mouvement. A chaque nouvel artiste émergent, il s’agit d’une future tête d’affiche, qui règne actuellement sur le rap, preuve de la popularisation de ce nouveau genre plus fragile musicalement, tous ancrés sur une teinte musicale dépressive.

Cette touche musicale, Cudi l’aura du début de sa carrière jusqu’à aujourd’hui. Du premier Man on the Moon en 2009 jusqu’à Passion, Pain & Demon Slayin’ en 2016, il évoluera toujours dans cet univers dépressif, lui qui a même eu des pulsions suicidaires et a dû subir une cure de désintoxication en raison de ses addictions trop destructrices. Fort heureusement, il semble aller mieux comme en témoigne le projet Kids See Ghosts avec Kanye West, où il célèbre sa renaissance avec le titre Reborn notamment, en ayant exorcisé ses démons. Il semble suivre cette voie pour son prochain projet Entergalactic, qui sera peut-être placé sous le signe d’un Cudder plus désireux de vivre.

– La pierre à l’édifice de Drake

Autre titan qui émerge en début de décennie 2010 des suites du classique de Kanye, Drake pointera le bout de son nez pour amener la musique triste au sommet du rap. Il se permettra même le luxe d’y apporter sa particularité, qui influencera énormément la suite des approches musicales des artistes venant après. En effet, là où son modèle a emprunté une touche chantée, lui se l’accaparera totalement, jusqu’à même bousculer les codes du rap mainstream.

Drake apparaît relativement en même temps que Kid Cudi sur la scène rap, courant année 2009, avec sa mixtape So Far Gone, où il fera ses premières armes avec Thank Me Later. Mais c’est ici son premier véritable gros album studio qui nous intéressera : Take Care. Grandement chanté (aussi dû à l’apport de la présence de The Weeknd sur l’album), Drake, qui a jusqu’alors un vécu moins lourd en peine que ses deux collègues, développera des maux causés par un autre style de souffrance : l’amour destructeur avec les femmes.

Déjà introduites sur 808’s & Heartbreak, les déceptions amoureuses seront monnaie courante dans la musique de Drake, limite comme son fond de commerce. C’est celles-ci qui rythmeront Take Care et donneront naissance au classique Marvin’s Room. Dreezy développera donc le sujet jusqu’à son maximum, montrant la faiblesse de l’homme face à l’abandon de sa bien-aimée, et brisera le tabou du coeur brisé chez la gente masculine en raison de dépression amoureuse. Pour ce faire, il usera d’un R&B bien mixé au rap, où il pousse la chansonnette jusqu’au bout et s’entoure même d’artistes du genre, comme Rihanna.

Là où il bousculera les codes du rap mainstream, c’est dans sa dualité marquée entre rap et chant. Celui-ci alterne entre les deux, pouvant passer d’un morceau kické à un morceau entièrement chanté dans le même temps. Cette recette aboutira puisqu’il se place toujours au top des charts, ses chansons d’amour tristes ne se comptant plus dans les hits du Billboard. De nos jours, nous ne comptons plus les artistes qui s’essaient au chant et se livrent totalement sur leurs déboires amoureux, grâce au décomplexe presque révolutionnaire que Drake a apporté, et qui sera toujours implanté dans sa musique, de 2010 à 2020.

Enfin, n’en oublions pas sa complicité marquée avec Future, autre mélancolique, qui même s’il s’inscrit dans une musique trap, n’hésite pas à nous faire part de ses peines de coeur à travers des titres désespérés. Ce dernier apportera même une touche différente à la souffrance amoureuse en rapportant le côté toxique à celle-ci, chose que nous lui connaissons maintenant parfaitement bien. De plus, tout comme son compère, Future s’essaiera à la versatilité musicale comme sur HNDRXX où il n’hésite pas à aller dans le R&B, bien loin de l’étalage de la luxure que l’on connaît bien au monde de la trap dont il découle. Comme quoi, même les plus durs font part de leur sensibilité lorsque le décomplexe est amené avant eux.

– Le mouvement XXXTENTACION

X arrive dans le rap game avec fracas dans la deuxième moitié de la décennie 2010. Véritable fer de lance d’une nouvelle génération torturée, il s’en imposera comme le leader. Artiste au vécu très sombre dès son plus jeune âge, entre meurtres, prison et difficultés familiales, il ne pouvait que retranscrire sa dure réalité dans sa musique, oscillant entre haine et peine.

En effet, il apparaît d’abord avec un style se rapprochant assez du metal, en témoigne son hit sulfureux Look at Me, sous grosse production saturée et voix criarde. Mais en dehors de cet aspect, sa musique se base aussi grandement autour de la tristesse, poussée à son paroxysme, entre désespoir et pulsions suicidaires sous fond sonore dépressif. Auteur du classique 17, il redéfinit la musique triste dans le rap par ses codes bien singuliers. Des morceaux courts et intenses, visant à transmettre le plus d’émotions possibles rapidement au cours d’une expérience musicale marquée.

Avec sa voix angélique, il arrive à toucher son public comme personne, faisant passer sa tristesse de vivre et son mal-être perpétuel à travers un chant mélancolique rythmé de productions profondes dans la noirceur. Il n’hésitera pas à enlever toute sa pudeur dans ses lyrics, lui qui se questionne sur le sens de la vie, sa place dans le monde ou encore son rapport destructeur à l’amour. En approfondissant comme jamais le côté triste dans sa musique, il va opérer un grand changement sur les nouveaux arrivants dans le rap qui suivront cet élan d’ouverture émotionnelle.

C’est donc tout un pan musical qui découlera de la musique de X, appelé bien souvent emo rap. Des artistes comme son compère Trippie Redd, Lil Peep ou encore Joji feront également partie de ce mouvement visant à retranscrire sa souffrance en musique. Trouvant souvent leurs origines dans les débuts sur SoundCloud, cette scène émerge peu à peu à plus grand échelle jusqu’à s’établir solidement dans le paysage mainstream. XXXTENTACION est grandement responsable de cette nouvelle approche à la musique dépressive, lui qui connaîtra une fin tout aussi dramatique que ce qu’il chantait alors qu’il était sur le chemin de la rédemption après tous ses malheurs.

Bien plus que ces faits majeurs, beaucoup d’autres artistes peuvent être cités. Schoolboy Q et son album Blank Face LP, Kendrick Lamar avec des sons comme Sing About Me, ou encore Travis Scott avec des morceaux comme Drugs You Should Try It, entre de nombreux autres. La liste des artistes ayant touchés à la mélancolie est tellement longue, de Young Thug à Childish Gambino en passant par Mac Miller, que nous ne pourrions pas tous les citer un par un.

La tristesse est certainement l’émotion la plus intense à retranscrire en musique, et c’est souvent lorsque les artistes sont mals dans leurs têtes qu’ils sont le plus à même de fournir de la musique de qualité. Vu qu’ils sont plus sensibles en temps de tristesse, la créativité s’ensuit donc en plus du fait que la musique soit pour eux un exutoire de leurs émotions personnelles, pouvant se transformer en chef-d’oeuvre et toucher leur audimat.

Réception du public

Cette nouvelle approche des artistes ayant causé un tournant dans le monde musical du rap a donc forcément eu une relation de cause à effet avec la réception du public. Le game prenant une tournure plus intimiste chez les rappeurs, les auditeurs doivent également subir un tournant. Comment ces derniers ont-ils adaptés leurs écoutes face à ce nouvel afflux d’émotions tristes de leurs artistes ?

Si musicalement tout commence à partir de 808’s & Heartbreak, c’est donc logiquement à partir de là que les nouvelles réactions du public vont débuter également. Il faut donc s’intéresser à comment ce nouvel opus d’un artiste autant en vogue que Kanye West a été reçu par le public. Et bien malgré la qualité de cette masterpiece, la réception par l’audimat n’a pas été tout de suite au rendez-vous. En effet, les auditeurs ont été d’abord désarçonnés par ce tournant. Rien d’étonnant puisqu’une nouvelle proposition artistique leur été fournie. Comme à chaque tournant musical, les retours du public sont souvent controversés. Kanye ayant proposer une formule novatrice, le public a dû digérer ces changements dans un premier temps. Malgré des ventes correctes, certes moins élevées pour du Kanye mais tout de même bonnes, le succès critique n’est pas au rendez-vous dès le début.

Une partie du public écoutant la musique pour se divertir n’a pas apprécié un tournant plus dépressif, ayant pour habitude de rechercher un sentiment plus joyeux à l’écoute de la musique. De plus, surtout dans le public rap, les auditeurs avaient pour habitude d’écouter quelque chose qui faisait rêver, prônant le luxe et la belle vie, peut-être celle que certains recherchent et s’évadent donc dans la musique pour l’imaginer. Et puis comme tout nouveauté là encore il faut un temps d’adaptation pour l’intégrer. Néanmoins, celle-ci sera finalement acceptée et répandue, à travers les changement internes mêmes au sein du rap.

En effet, puisque la formule se répand de plus en plus chez les artistes, elle va forcément se répandre chez les auditeurs. Devant le contenu de plus en plus orienté dans ce sens, le public fini par aller dans ce sens, les chances étant optimisées par la productivité des artistes. L’émergence de nouvelles fortes têtes talentueuses comme Drake ou Kid Cudi vont finir par toucher le public musicalement. L’inspiration de Kanye sera reconnue par le public devant sa forte influence, et l’album commencera à être enfin réellement évaluer à sa juste valeur. Devant l’offre des artistes qui tendent de plus en plus vers cette formule, la demande du public va finir peu à peu par suivre naturellement.

S’il est opportun pour le public de s’évader dans la vie rêvée prônée par les rappeurs avant, le sentiment d’identification prendra finalement le dessus. En effet, il est plus réaliste de se sentir impliqué dans une musique pouvant rappeler notre vécu, qu’une musique racontant des choses que l’on ne vit pas, comme les excès du rap à travers le gangstérisme, la luxure ou la richesse à profusion. Et c’est donc pour cette raison que la musique dépressive finira par se répandre chez ses auditeurs. Narrant des choses plus communes au plus grand nombre, comme la déception amoureuse, le malheur ou la détresse émotionnelle, une musique récitant ces sentiments est plus susceptible de toucher. Tout le monde a déjà connu un amour malheureux ou le décès d’un être cher. Les rappeurs parlant de ces mêmes expériences qu’ils ont vécu, le public ayant vécu des évènements similaires peut donc se reconnaître dans la musique qui leur est proposée, et ainsi s’y livrer comme dans un exutoire, à la manière des artistes.

C’est donc par ce procédé d’identification que cette nouvelle formule va rallier de plus en plus d’adeptes tout au long de la décennie. A chaque génération de rappeurs écorchés, de plus en plus d’auditeurs se rameutent, d’horizons divers et d’âges variés. Cette ouverture musicale va même entraîner un élargissement du public en attirant des auditeurs d’autres styles. Devant une formule plus émotive, touchant simplement de manière plus accrûe humainement ou même à échelle plus mainstream, les auditeurs de la pop ou autres genres vont s’intégrer au rap. Les lyrics identificateurs ne seront pas simples responsables de cette ouverture, puisque l’approche musicale y jouera aussi. En effet, pour faire ressentir plus d’émotions, le chant et les mélodies se répandent logiquement plus à travers le rap, grâce en partie à l’auto-tune ou aux cours de chant que prennent certains rappeurs. Les auditeurs de genres musicaux plus ouverts vont donc trouver leur compte dans le rap à travers cette nouvelle formule, s’y rattachant donc. L’apparition plus régulière de crossovers entre les différents styles vont également avoir leur rôle à jouer dans l’acceptation de cette nouvelle formule émotionnelle.

L’apport d’artistes extérieurs

Au cours de son histoire, le rap a toujours plus ou moins gravité autour d’autres styles musicaux, puisqu’il en puise également ses inspirations (notamment à travers le sampling ou diverses collaborations extérieures, entre autres). Durant cette transition musicale dans le rap, les rappeurs vont s’ouvrir à des collaborations d’ailleurs, et les artistes extérieurs au rap vont s’intéresser de plus en plus à travailler dans le rap.

C’est donc à partir de cela que nous pourrons retrouver des collaborations entre chanteurs et rappeurs lors de cette nouvelle décennie. Des artistes comme The Weeknd, Frank Ocean ou même Rihanna s’intègrent aux activités dans le rap. Drake sera une bonne porte d’accès à ce phénomène, lui qui a une double étiquette de rappeur/chanteur au sein du rap. Ce dernier collaborera donc avec The Weeknd, qui travaillera beaucoup sur Take Care, et également avec Rihanna. Ces artistes basant déjà une grande partie de leur musique sur la mélancolie, il est plus accessible pour eux de travailler avec les rappeurs qui s’ouvrent à ces musicalités. Un artiste chantant ses déceptions amoureuses comme The Weeknd ou un autre faisant part de ses lamentations sur fond mélodieux comme Frank Ocean vont donc pouvoir bien s’intégrer. L’influence de 808’s & Heartbreak n’y est d’ailleurs toujours pas pour rien, Frank étant même grandement influencé par Kanye, lui qui collaborera avec ce dernier sur Watch the Throne ou encore The Life of Pablo.

De nouvelles collaborations apparaissent donc des suites de ce phénomène. Et au sein même du rap, de nouveaux artistes vont émerger en mélangeant d’entrée plusieurs genres dans un afflux de musique torturée. C’est le cas pour Tyler, The Creator et Childish Gambino par exemple. Véritables ovnis dans le rap, ces artistes ne se présentent pas comme le cliché du rappeur par excellence, étant très décalés de cela par leur extravagance. Ils n’hésitent pas à faire de la musique hybride, mélangeant rap, pop, funk, R&B ou même rock pour chanter leur tristesse dans leurs créations, avec des albums comme Igor pour Tyler, ou Awaken My Love pour Childish. Ce nouveau genre d’artistes vont aussi contribuer à l’expansion de cette musique dans le rap jusqu’à le couvrir en grande partie.

C’est donc ainsi que le rap est aussi devenu l’un des styles les plus en vogue cette dernière décennie, après avoir connu un certain essoufflement. Un renouveau des rappeurs, la naissance d’artistes créatifs et l’apport de chanteurs extérieurs vont contribuer à étoffer la richesse de ce style musical à travers la musique triste, étant un puit sans fond de productivité. Chacun va donc pouvoir s’influencer dans ses travaux respectifs, chanteurs comme rappeurs, jusqu’à influencer à leur tour d’autres genres et d’autres pays.

Influence musicale en France

L’ouverture à la tristesse dans le rap américain va donc avoir des influences sur les univers musicaux extérieurs. Précédemment, les nouvelles collaborations avec des chanteurs de nouveaux genres étaient évoquées, tout comme la création musicale plus hybride en touchant à d’autres styles. Les différentes branches du rap vont aussi être touchées, comme le gangsta rap ou la trap, qui s’ouvriront de plus en plus à la tristesse avec des artistes comme Future. Des styles d’apparence étant basés loin de la mélancolie, dans un monde plutôt luxueux ou de rue, vont donc embrasser l’apparition de la tristesse dans leur musique. Et bien plus que de nouveaux genres musicaux, c’est même d’autres pays qui vont être touchés, à l’image notamment de la France dont le rap va s’inspirer de ce qui se fait outre-Atlantique, comme à son habitude.

Le rap français a toujours puisé son inspiration dans le rap US en tout, ce n’est plus un secret. Encore une fois, l’apparition de la tristesse dans le rap américain va être un apport dans le rap français. Lui aussi tabou sur le sujet, il va finalement s’ouvrir au style dans la deuxième partie de la décennie, après les travaux effectués aux Etats-Unis au cours de la première partie de décennie.

Beaucoup de rappeurs français vont apparaître en construisant leur musique sur la tristesse comme dans le rap américain. C’est ainsi que pour plusieurs causes différentes, l’aspect mélancolique et dépressif va apparaître avec la musique triste dans le rap français. Des artistes comme PNL viendront raconter leur dur vécu, des Hamza ou des Luidji viendront chanter leurs déceptions amoureuses tout comme Dinos qui rappera aussi ses malheurs ou encore un Zed Yun Pavarotti, se rapprochant beaucoup de la vague emo de la jeune génération américaine. Même un producteur comme Myth Syzer s’inscrira dans un registre mélancolique, basant sa tristesse autour de l’amour avec l’album Bisous notamment. L’influence US transpire dans cette nouvelle génération, comme c’est le cas de Laylow par exemple qui rappe les malheurs de sa vie et sa tristesse amoureuse sous un auto-tune influencé de Travis Scott. Très sensible aux déceptions amoureuses également, Nekfeu va s’ouvrir au sujet avec une influence Drake bien marquée.

Toute cette jeune génération française apparaîtra donc de manière similaire aux nouveaux artistes américains en racontant leur tristesse dans une musique émotive, triste et dépressive. Touchant à tous les sujets comme le mal-être, les difficultés de la vie ou le déchirement de l’amour, le schéma de construction de ce nouveau style sera le même qu’aux Etats-Unis, le rap français étant calqué sur ce modèle. C’est donc ainsi qu’il sera reproduit. Et tout comme dans le rap américain, les nouvelles têtes françaises inspirés de cette musique triste vont figurer parmi les hauts représentants du rap français, le public embrassant de plus en plus cette musicalité.

Depuis les travaux effectués dans le rap US ces douze dernières années, la musique triste fait partie intégrante du rap en général, et au sommet de sa popularité qui plus est. Les auditeurs réclamant de la musique dans ce style ne se compte plus. Il est quasiment devenu l’un des plus répandus et des plus aimés, et sûrement l’un des plus qualitatifs étant donné la profondeur d’émotions qu’il procure. Désormais, presque tous les albums qui sortent comprennent au moins un morceau triste tellement le style s’est répandu. Ce tournant s’est donc maintenant bien solidifié et est pleinement intégré au rap d’aujourd’hui, sous une nouvelle formule que le début du siècle, grâce à de nouveaux procédés comme l’auto-tune. La pudeur est de moins en moins présente et les horizons musicaux s’étendent. Dans les années à venir le phénomène devrait continuer au vu de l’évolution actuelle, avec peut-être encore plus de collaborations cross-genres et d’expérimentation musicale. Maintenant bien intégrée dans le présent, la tristesse dans le rap devrait sûrement perdurer dans l’avenir. Nous ne sommes donc pas prêts d’arrêter de mouiller nos mouchoirs à chaudes larmes en pensant à nos malheurs avec de la musique en fond.

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