Avec L’Étrange Histoire de Mr.Anderson, Laylow réussit un véritable tour de force en dévoilant le potentiel album de l’année, pour la deuxième fois consécutive.
Les 16 mois qui séparent ce nouvel album de TRINITY, le précédent, n’ont pas vraiment vu Laylow prendre du repos. Malgré une tournée avortée (covid oblige), l’artiste a multiplié les collaborations au point d’en devenir presque omniprésent. Il n’a pas pris le temps de susciter un manque chez le public.
Pourtant, la sortie du court métrage « L’ÉTRANGE HISTOIRE DE MR.ANDERSON, LE FILM » a créé l’évènement sur les réseaux sociaux. La tracklist a amplifié les attentes, tout en créant des doutes chez les plus sceptiques. Proposer une ambiance cohérente avec autant de producteurs à l’univers parfois très différent semblait complexe, tout comme la présence de nombreux collaborateurs (dont des anglophones) pouvait nuire au storytelling de l’œuvre. Une seule écoute pourrait suffire pour s’en rendre compte : malgré les risques encourus, le pari est remporté haut la main.
Laylow avant l’heure
Comme convenu grâce au teasing de l’artiste sur les réseaux sociaux et dans son court métrage, l’album est un récit dans lequel il incarne le personnage principal. Dans l’intro, ce dernier explique son rêve de réussite. Il coupe court dès IVERSON, le deuxième morceau : cet album ne traitera pas d’amour, contrairement à Trinity « ne m’appelle pas pour du love ». Il explique brièvement la grande problématique de sa vie, il est spectateur et souhaite devenir acteur :
« Toute ma vie, j’suis dans l’sas, j’attends juste mon tour Mais j’vais pas vous mentir, bien sûr j’voudrais faire mieux » (IVERSON)
Il s’agit de Laylow avant le succès, de la biographie romancée de Jey. Il s’éloigne donc parfois de l’univers digitalisé qu’il s’est évertué à proposer tout au long de sa discographie. Comme s’il n’avait pas encore atteint ce stade de la créativité, comme s’il n’était encore qu’un jeune rappeur débutant qui a du mal à digérer ses sources d’inspiration et à s’en distancer.
Rêves et cauchemars
Tout le projet réside autour du concept de réaliser ses rêves. Comme dans un conte, le héros (Jey) est accompagné par un adjuvant (Mr.Anderson) qui veut l’aider dans sa quête, et par des opposants (ses « amis » qui ne croient pas en lui) qui lui mettent des bâtons dans les roues et le tirent vers le bas. Mais ce n’est pas un récit manichéen, les personnages ont des bons et des mauvais côtés. Par exemple, sa mère l’encourage à se prendre en main, mais elle ne croit pas non plus en ses rêves. Elle finira par lui dire « ça va nulle part ton truc ! » (VOIR LE MONDE BRÛLER), les mêmes paroles que ses amis lui lanceront un peu plus tard (Tu Comprends Maintenant ?).
Ce sont d’ailleurs eux qui l’incitent à acheter de l’alcool, lui disent de téléphoner à une fille « Appelle celle-là » et qui lui forcent la main « Dis-lui « On arrive » ». Mr.Anderson apparaît alors comme sa conscience, sa voix de la raison. Au plus le protagoniste est tiré vers le bas, au plus Mr.Anderson se fait présent, oppressant. Il intervient presque comme une figure paternelle, qui visiblement manquait dans la vie de Jey :
« Le daron s’éloigne, aie aie, j’étais high »
(QUE LA PLUIE)
Les rêves sont présents au sens figuré comme au sens propre. Jey a des rêves de réussite, et il fait des (mauvais) rêves en dormant. Ces derniers lui sont dictés par Mr.Anderson, sa conscience, afin qu’il s’aperçoive qu’il est le seul pouvant réaliser ses objectifs. Il doit arrêter de rêver d’agir, mais agir pour réaliser ses rêves.
« dans ton monde, t’es seul mec. Ni tes amis, ni cette putain d’société t’fil’ra un coup d’main, tu comprends ? C’est nous contre eux. Alors maintenant qu’tu sais ça, tu vas t’lever et tu vas changer les choses pour de bon »
(C’est Eux Contre Nous)
Ensuite, son ami résume assez bien la situation « On dirait il a dormi toute une vie ». À partir de ce moment là, Jey réalise qu’il a perdu trop de temps et qu’il doit prendre sa vie en main. C’est lorsqu’il aperçoit ses deux amis rester passifs alors que la voisine se fait battre, qu’il ressent la nécessité de couper les ponts.
Paradoxalement, la deuxième partie de l’album est musicalement mélancolique, mais elle délivre un message optimiste. C’est particulièrement audible dans les morceaux où Mr.Anderson rappe, les couplets dans lesquels Laylow s’exprime en « tu ». Il semble se parler à lui-même, se poussant à poursuivre ses rêves, mais il s’adresse aussi aux auditeurs. C’est là que l’album est une immense réussite : Laylow propose un projet très introspectif, en partie inspiré de sa vie, mais qui peut atteindre tout le monde. Ce récit, cette étrange histoire est un puissant discours motivateur.
Retour musical aux sources
Laylow l’avait annoncé dans un tweet : il s’est replongé dans les morceaux qui lui ont fait aimer le rap. Tout au long de L’Étrange Histoire de Mr.Anderson se trouvent des références au hip-hop.
Cela commence à partir de WINDOW SHOPPER PART.1. Sur un morceau -trop court- aux sonorités funk (produit par Prinzly, Ponko), Laylow et Hamza envient le style de vie de 50 Cent. Le rappeur belge est comme un poisson dans l’eau, et il n’est pas le seul : Laylow a eu l’excellente idée de mettre tous ses invités dans les bonnes dispositions. Au final, c’est lui qui prend des risques en explorant des univers sonores qui ne sont pas forcément les siens. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il le fait bien.
Il retrouve Hamza à l’occasion de la 2e partie de WINDOW SHOPPER, produite par Ikaz Boi et Clyde P. Le morceau contient un sample du hit de Fifty dont il porte le nom. Hamza est à nouveau dans son élément, le morceau semble sortir tout droit de Zombie Life. Le Toulousain s’y adapte admirablement, comme il le fait lors de sa collaboration avec Damso pour R9R-LINE, qui aurait pu se trouver dans QALF : Infinity. Il s’agit du principal banger du projet qui tombe à pic puisqu’il intervient au moment où Jey veut aller en boîte. Les deux artistes font preuve d’alchimie et réalisent de courts passes-passes à l’occasion du refrain. Cela peut encore être perçu comme inspiré par le rap qu’écoutait Laylow quand il était plus jeune.
Collaborations (im)prévisibles
STUNTMEN (feat Alpha Wann & Wit.) est le seul morceau proposé en single. C’est bien pensé puisque Laylow avait déjà collaboré avec les deux invités dans son album précédent. Dès lors, leur présence est moins surprenante, tout comme l’ambiance du morceau. Laylow procède au kickage et à l’egotrip. Sans grande surprise, ce sont Wit. et surtout Alpha Wann qui tirent le mieux leur épingle du jeu, grâce à leurs placements et schémas de rimes.
Laylow invite Nekfeu et Fousheé afin de réaliser SPÉCIAL, le morceau le plus stimulant de l’album. Tour à tour, les 3 artistes délivrent des paroles teintées d’optimisme au jeune Jey, et par extension aux jeunes qui écoutent le morceau. Cette impression est renforcée par le refrain qui fait preuve de naïveté enfantine, tant dans son contenu que dans sa forme. Le morceau gagne en qualité lors des réécoutes, même si celles-ci sont ternies par le dialogue de fin. Il aurait été préférable de le placer dans une piste différente, comme cela était fait pour la quasi totalité des autres chansons.
L’apparition de Slowthai dans cet album était inattendue mais semble tellement évidente. L’Anglais a longuement traité de la monotonie de la vie, de la solitude et de la dépression dans son conceptuel TYRON. Et comme Laylow, il y délivrait un message optimiste. Pourtant, sa présence dans FALLEN ANGELS frôle l’anecdotisme. Il pose juste un pont et un refrain chanté, très loin des éclairs de génie dont le rappeur est capable. Cela aurait été plus intéressant de l’entendre sur un couplet entier.
Messages et musicalité
L’une des forces originelles du hip-hop est son aspect dénonciateur, son engagement. Laylow l’a assimilé et se montre très critique à plusieurs reprises dans L’Étrange Histoire de Mr.Anderson. Il dénonce les bavures policières et le racisme à travers LOST FOREST, il y place d’ailleurs un extrait du cultissime Fuck Tha Police de NWA. L’artiste sensibilise au sujet des violences conjugales et de l’inaction des témoins dans le glacial HELP !!!. Il s’agit du morceau le mieux écrit, le rappeur prouve à quel point il excelle dans l’art de raconter une histoire.
Le grand nombre de producteurs permet à l’album d’être très hétérogène, sans souffrir d’un déséquilibre ou d’un manque de cohérence. Laylow passe de la funk (WINDOW SHOPPER PART.1) au boom-bap (VOIR LE MONDE BRÛLER, produit par Sofiane Pamart, DJ Idem et Mingo), des morceaux violents (R9R-LINE par BKH) à des chansons planantes (QUE LA PLUIE, Ikaz Boi) sans jamais dénaturer son œuvre.
Les producteurs agissent dans l’ombre et participent grandement à la lumière qui émane de l’album. Les deux dernières pistes font office d’apothéose : FALLEN ANGELS, quand le violon final retentit. Mais surtout l’outro UNE HISTOIRE ÉTRANGE, où le piano se marie magnifiquement avec le synthétiseur, au point de faire penser à Kanye West dans son œuvre My Beautiful Dark Twisted Fantasy.
L’Étrange Histoire de Mr.Anderson s’inscrit parfaitement dans la continuité de TRINITY. Laylow avait mis la barre très haut, il l’atteint une nouvelle fois. L’œuvre est même plus aboutie sur certains aspects comme la production, le scénario, l’écriture. Sans être révolutionnaire, cet album se démarque nettement. Laylow prend des risques, rend un bel hommage au hip-hop et à l’art plus généralement.