« À ce niveau où tu es, tu dois faire une thérapie. »
Voilà la phrase qui ponctuait Boscolo Exedra, le dernier projet de Luidji, paru en 2020. Trois ans plus tard, Saison 00 figure effectivement comme une thérapie. Entre influences rock, rap, allant jusqu’à des sonorités sud-américaines ou du répertoire de la chanson française, Luidji nous offre son nouvel album, un traitement thérapeutique de l’âme et de l’esprit durant 14 titres.
Après un premier album défendu corps et âme dans les 4 coins de la France et de l’Europe, pendant 4 ans, le public attendait impatiemment une suite à Tristesse Business Saison 1. Belle manière d’effectuer son retour, pour « le garçon qui fait les belles chansons », que de prendre ses fans à contrepied. Si les festives et sensuelles mélodies du premier album (prolongé par Boscolo Exedra) nous plongeaient dans les méandres des tourments amoureux de Luidji, ce nouvel album, Saison 00, nous offre une vision plus large sur le parcours d’un artiste, qui peu à peu s’éloigne de l’émulation du rap pour s’abandonner plus largement à la chanson. À travers cette rétrospective auditive et autobiographique, il délivre une expression sincère de ses angoisses et de ses réflexions les plus profondes, imbibée d’un héritage culturel personnel et varié, et d’une certaine appréhension du succès.
Saison 00 : un prequel psychologique ?
L’album est construit de façon chronologique, suivant la progression du protagoniste-artiste dans sa vie. Dans un cadre médical, l’artiste nous emmène avec lui dans le cabinet du thérapeute. Il commence par évoquer son sentiment d’invisibilité lors de ses jeunes années, le rejet de son propre individu et sa difficulté à se trouver une place dans un monde qui le bouscule.
“Suis-je un homme ou juste une somme de problèmes existentiels” – Joueur 1 feat Tuerie.
Ces phrases aux dimensions psychologiques servent en réalité une volonté d’acceptation de soi exacerbée dans le morceau Reste en vie, où l’artiste semble se parler à lui-même tout en délivrant le même message à son public.
Il vient poser, avec le morceau Cabine, la question d’une certaine légitimité, en faisant références à la traite des esclaves, mais également aux drames plus récents que connaissent malheureusement encore de nombreux hommes, femmes et enfants lors de leurs traversées migratoires.
“Combien des miens se sont noyés dans les océans que je survole” Cabine
L’artiste se situe en constante réflexion tout au long de l’album, ce qui le sert dans sa démarche artistique. À l’écoute on se rend facilement compte que les thèmes qu’il aborde ici étaient déjà abordés plus brièvement avant dans ses précédents projets.
“L’élévation comme seule motivation”. Veuve Clicquot – Tristesse Business Saison 01.
Profondément marqués par la notion de réussite, les textes de Luidji sont imprégnés de l’idée d’élévation (c’est déjà le cas dans l’album précédent). Cette élévation sociale, forcément, se veut en premier lieu spirituelle. L’album est ponctué de références religieuses et culturelles. Les morceaux-interludes AYIDA et DAMBALLAH portent le nom de deux divinités vaudous haïtiennes représentées en un couple de serpents. La maîtresse du ciel associée au maître de la sagesse envoient, à travers les paroles des deux textes, un message d’optimisme et de relâchement « Ça va aller », « N’essaie pas de tout maîtriser ».
(À noter que cet héritage culturel était déjà mis en avant dans Tristesse Business S01, avec l’interlude Erzulie, nom associé à une figure de la beauté et de la féminité dans la spiritualité vaudou haïtienne).
On retrouve également ce message et cette idée d’élévation dans l’hommage rendu à Michel Fugain à la fin du morceau Cabine, où l’artiste reprend l’air et les paroles de la chanson Fais comme l’oiseau. (Ce titre est également inspiré du morceau Você Abuso, issu de la culture musicale brésilienne qui a largement inspiré Luidji pour cet album).
“Devenir celui qu’il a rêvé d’être”. Néons rouges / Belles chansons – Tristesse Business Saison 01.
Si cette ascension spirituelle se ressent dans la musique de Luidji, ce dernier n’a jamais caché son ambition de réussite sociale. Sous couvert de propos empruntés à Nietzsche, (tout l’album est inspiré de certaines idées du philosophe allemand), il expose d’ailleurs plus largement cette obsession dans le morceau Monde, celle de devenir “un grand de ce monde”, avant de se voir rattrapé par une vérité, propre à lui-même, qu’il juge salvatrice.
“Et je bénis chaque jour qui m’a vu échouer, chacun d’entre eux m’a rapproché de ma vérité” – Monde
Une thérapie de l’équilibre appuyé par la foi.
L’album est sublimé par une production musicale de haute volée, menée notamment par Ryan Koffi, quasiment omniprésent sur les morceaux de l’album. Elle permet à l’artiste d’appuyer l’émotion de ses textes, en restant dans un univers très instrumental, puissant parfois, apaisant à d’autres moments, sans oublier de nous faire bouger la tête ou les hanches sur quelques mesures.
Le morceau final “igné”, figure comme une sorte de bannière, regroupant le message général que l’artiste souhaite véhiculer, souligné par l’importance d’une présence divine et d’une foi comme moteur.
Luidji nous délivre une œuvre courte, mais cohérente, à laquelle on pouvait s’attendre dans la forme, au vu de son éclectisme musical. Il semble également suivre une trame artistique en corrélation avec son propre parcours, rendant l’authenticité de ses chansons plus frappantes encore. L’exploitation du lâcher prise en concordance avec l’élévation de l’âme : cet album est une montgolfière lesté des ses angoisses, qui ne peuvent lui servir qu’à aller plus haut.