Jazzy Bazz, les rimes au service du spleen

Après 3 années d’absence, Jazzy Bazz présente 2021 comme l’année de son grand retour. L’occasion de se remémorer le parcours d’un mélomane somnambule, un amoureux de la technique, un rappeur mélancolique.

Musique, foot et rap

24 avril 1989, dans le XIXe arrondissement de Paris. Dans une époque où certains Etats d’Europe s’extirpent petit à petit du joug des pays soviétiques et du communisme, vient au monde un jeune garçon nommé Ivan Bruno-Arbiser. Dans une période où chacun revendique son propre affranchissement, personne ne se doute que ce garçon incarnera ces notions de liberté, 30 ans plus tard et dans un milieu où l’on peut rapidement devenir un effet de mode. 

Le jeune Ivan n’a pas encore la dizaine quand il commence à griffonner ses premiers textes à l’école. Immergé dans un environnement musical grâce à son père, fan de jazz (c’est de là que lui provient son pseudonyme), il s’intéresse rapidement à la musique et plus précisément au rap. Les grands noms qui le font vibrer sont NTM, Passi, Les Sages Poètes de la Rue ou encore Lunatic.

Sa deuxième passion n’est autre que le football. Il sera abonné au PSG de 2002 à 2007 et participera même activement à la vie des ultras. Membre du club de supporters « les Authentiks », il quittera définitivement le monde des supporters fanatiques lors du « plan Leproux » (Plan interdisant les rassemblements d’ultras afin d’endiguer les problèmes de violences dans le stade parisien). Cet amour pour le foot ne l’abandonnera jamais et influencera son univers musical. Il exprime dorénavant cette passion de manière plus discrète auprès d’un autre club de la capitale : le Paris FC.

Ses premiers pas et ses différents collectifs

Jazzy Bazz en est donc à ses balbutiements dans le rap quand il commence à écumer les différents open mic de Paris, accompagné d’un vieil ami : Esso Luxueux, un MC, beatmaker et DJ qui se retrouvera très souvent sur des projets de Deen Burbigo ou même L’Entourage. De cette amitié naît le groupe Cool Connexion.

Une collaboration en appelant une autre, les deux acolytes décident de fonder, accompagnés de proches du milieu musical, le collectif Grande ville en 2008. Ce rassemblement d’artistes passionnés par le son, les sapes et d’autres domaines artistiques a pour but de produire de la musique sans l’aide de maisons de disques. C’est ainsi qu’en 2011, quelques membres du collectif se réunissent et montent le premier studio Grande Ville. Un studio basé à Montreuil qui se veut chaleureux, convivial. Dans le futur, des artistes tels que Kekra, 13 Block et bien évidemment Jazzy Bazz viendront y enregistrer différents morceaux.

Jazzy et Esso traînent dans les rues de Paris à la recherche des différents concours et battles où ils pourraient se faire connaître. À force, ils finissent par rencontrer différents rappeurs et groupes avec lesquels ils décident de s’allier afin d’élargir leur popularité. L’Entourage, formé à la fin des années 2010, aura une popularité grandissante avec le temps. Non pas pour les albums sortis mais simplement parce que le collectif rassemble certains des rappeurs les plus talentueux de leur génération. Alpha Wann, Nekfeu, Deen Burbigo, Doums ou encore Guizmo (entre autres) deviennent les nouveaux partenaires musicaux de Jazzy Bazz. Ensemble, ils vont agiter les années 2010.

photo du groupe l'entourage
le collectif L’Entourage

Début de la renommée

En 2011, afin de se faire connaître du grand public, de nombreux membres de L’Entourage, dont Jazzy Bazz, vont se présenter aux Rap Contenders. Ces battles de rap a capella, dont le but est d’envoyer un maximum de punchlines décapantes au MC adverse, vont rapidement devenir un terrain de jeu où Jazzy Bazz excelle. Le public tombe vite sous le charme du MC parisien au flow calme, posé et à l’attitude détendue. Lors de la saison 2, il gagne son duel contre Wojtek (la seule défaite du multiple vainqueur, considéré à ce jour comme le boss des RC). Il revient l’année suivante pour remporter l’édition face à Pand’or. En 2012, il obtiendra sa dernière consécration lors de la 5e édition en battant le champion en titre, Gaïden.

Au-delà de ces différentes victoires, c’est surtout la notoriété que Jazzy Bazz et les membres de L’Entourage sont venus chercher. Ces battles sont diffusées sur Youtube et représentent un réel tremplin (comme ils l’ont été pour d’autres rappeurs tels que Dinos, Big Flo et Oli ou encore Taipan). C’est donc riches de cette nouvelle notoriété que les membres du groupe vont pouvoir bosser sur leurs projets solos.

Un poète perdu au XXIe siècle

Fort d’une nouvelle réputation et seulement âgé de 23 ans, Jazzy Bazz décide de se lancer en solo. À l’époque, éloigné de tout label ou de toute structure, il envisage de proposer son premier EP Sur les routes du 3.14 en libre téléchargement sur internet. Un pari risqué pour un jeune rappeur, surtout face aux difficultés pour générer de la rentabilité dans la musique. Son projet est téléchargé plus de 20 000 fois après seulement quelques jours. Le succès lui ouvre ses portes.

Jazzy Bazz présente déjà un univers très affirmé tout au long de son EP de 9 titres. La recette est simple : un rap posé, au tempo lent (90 BPM, là où la trap en demande entre 120 et 140) durant lequel il fait voyager au travers des méandres de Paris (3.14 fait référence à Pi, qui se prononce comme dans P-Town). Il embarque avec lui son fidèle allié, Esso Luxueux, mais également les membres de ses différents collectifs avec lesquels il partage quelques featurings (Alpha Wann, Nekfeu…).

Jazzy Bazz délivre des rimes multisyllabiques, de l’egotrip et surtout un classique avec l’excellent 64 mesures de spleen. Dans ce son, mixé sur une instru rendue mythique par Jay-Z et Big L (qui l’avaient utilisée pour produire un freestyle très reconnu dans les années 90’), l’artiste fait part de ses angoisses, de ses peines de cœur et de sa solitude dans une ville pleine d’artifices. Comme Baudelaire avant lui, Jazzy Bazz exprime ses sentiments et partage son spleen, d’une mélancolie teintée de désillusion amoureuse sur fond de Ville Lumière. Véritable succès à l’époque, cet EP rassemble aujourd’hui plus de 50 000 téléchargements.

Tous les chemins mènent à Paris

Après une courte pause en 2014 afin de collaborer sur le projet « Jeunes entrepreneurs » avec L’Entourage, Jazzy Bazz ne s’arrête pas là. Inspiré par quelques séjours à New York et côtoyé par les membres de Grande Ville, il enregistre son premier album P-Town (15 titres) qu’il sortira le 26 février 2016. P-Town fait référence à Paris, que l’artiste va décrire au fil de ses déambulations nocturnes. Il rappe son amour pour sa ville natale au travers des tableaux urbains et de son ancienne passion, les clubs de supporters (Ultra Parisien). Il délivre une leçon d’égotrip plus que réussie dans Roseau. Mais surtout, il reste fidèle à ce spleen, cette vague à l’âme quand il parle de l’amour ou de la société dans laquelle il vit (Trompe de Fallope, Joker). Le tout en conservant sa manière poétique de rapper, avec très peu de vulgarité, contrairement à ses contemporains.

Ce deuxième projet en solo reste donc fidèle aux valeurs du Parisien : des textes profonds, un véritable exutoire de sentiments et un voyage dans lequel il emmène son public. Malgré très peu de promo ou d’interviews dans les médias, ces deux premiers projets en solo se soldent par un bilan positif. Une fanbase solide, des albums réussis et surtout, le champ libre pour continuer à laisser sa trace parmi les MC.

Cet accomplissement le mène au projet suivant : Nuit, son second album. Dans cet opus, l’artiste emmène, une fois de plus, l’auditeur à ses côtés pour une nuit dans la capitale. La tracklist dévoile d’ailleurs une certaine chronologie avec, tout d’abord, une ouverture sur Crépuscule. Ensuite, à la moitié du disque, Minuit marque la pause douceur. Avant que le voyage ne se termine à Cinq heures du matin, dernier des 12 titres offerts. Malgré des thèmes déjà abordés ou une ambiance parfois « déjà vues », Jazzy Bazz fait ce qu’il fait de mieux. Les peintures qu’il propose sont toujours aussi techniques, vives bien qu’empreintes de mélancolie. Elles sont surtout à son image : mystérieuses à bien des égards. À nouveau, Jazzy Bazz livre un album abouti, fidèle à son univers et dont les quelques invités viennent améliorer le rendu final.

La suite

Jazzy Bazz semble patienter jusqu’à la fin de la pandémie avant de révéler un éventuel 3e album. En attendant, ce 23 avril 2021, il dévoile un projet collaboratif (avec Esso Luxueux et EDGE) intitulé Private Club. Ce n’est pas tout : depuis octobre 2020, Jazzy Bazz a partagé 3 volumes de sa minisérie d’EPs Memento. 

Memento, pour faire patienter. Ou simplement pour rappeler qu’il est un poète de Paname. Ses fans le savent certainement déjà. Pour les autres, il n’est jamais trop tard pour se plonger dans les nuits de la capitale.

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