Alors que l’on parle de plus en plus de « rap francophone » et non plus seulement de « rap français », particulièrement grâce à l’arrivée de nombreux artistes belges sur le devant de la scène. Ce serait une erreur de sous-estimer les talents suisses. Si les plus populaires d’entre eux, à savoir le trio représenté par Makala, Di-Meh et Slimka, connaissent ce succès depuis plusieurs années, il est intéressant de noter que de nouvelles têtes commencent à se faire connaître. Focus donc sur l’émergence de la scène rap suisse.
UNE POPULARITÉ GRANDISSANTE
Tout d’abord, il est important de souligner que cette popularité grandissante est à lier avec la forte visibilité qui leur a été offerte ces derniers temps. Le hip-hop suisse connaît ses origines grâce à la création de Kobra Production, à Lausanne par Daniel Ewane en 1997. Ce label portera les couleurs suisses jusqu’en 2015, mais ce n’est que depuis peu qu’il gagne en visibilité. En début d’année, c’est Makala qui s’exprimait dans Clique Talk, tandis qu’il y a quelques semaines, c’est Di-Meh que l’on apercevait dans le dernier épisode de Rap Jeu.
Le même qui, en 2019, faisait déjà la couverture du magazine « Les Inrockuptibles » en tant qu’espoir suisse de l’année. En février 2020, c’est sur le canapé de « Vivement Dimanche », présenté par Michel Drucker, que l’on pouvait retrouver Arma Jackson, recommandé par Omar Sy. Un an plus tard, son morceau « Distance » featuring Tayc, lui a donné une porte d’entrée. Car oui, c’est avant tout grâce à leur musique qu’ils émergent. Les nombreuses collaborations de chacun avec des artistes populaires, leur ont permis de se faire une place dans le rap francophone. Que ce soit Slimka avec Twinsmatic ou Di-Meh avec Caballero & Jeanjass, chacun a su conquérir de nouveaux publics grâce à des feats intelligents.
« Big R leur donne la qualité suisse » [Rounhaa, R sans R]
De plus, la scène rap suisse se démarque par son originalité. Au niveau des textes, prods, de la direction artistique ou simplement de l’image développée. L’exemple le plus flagrant étant Makala, singularisé par le personnage égocentrique qu’il joue au quotidien. Il faut aussi noter la polyvalence de ces artistes, dont ce dernier justement qui, en plus de rapper, réalise certains de ses clips.
Polyvalence qui se retrouve tout autant chez Varnish La Piscine, aussi bien rappeur que producteur. Ainsi, l’émergence du rap suisse s’explique par la qualité de celui-ci. Des albums tels que Radio Suicide de Makala, Le Regard Qui Tue de Varnish ou Horion de Rouhnaa, ont reçu de très bons accueils critiques, justifiant ainsi la popularisation des artistes helvétiques.
STRUCTURES COMMUNES
Outre le talent évident de nombre de ses représentants, ce qui reflète particulièrement bien le rap suisse est son unité. Les collaborations entre rappeurs sont plus que fréquentes et cela s’explique par les structures communes auxquelles ils appartiennent. Premièrement, ces nouveaux talents viennent, pour la plupart, de deux des plus grandes villes du pays : Genève et Lausanne. La première compte parmi ses représentants Di-Meh, Rouhnaa ou Gio Dallas, tandis que la seconde élève Kingzer, Arma Jackson ou Comme1Flocon.
« Colors, nouveau Death Row » [Mairo, Kill Bill]
Ces appartenances communes se voient concrétisées par une structure en particulier : le label Colors. Créé par Théo Lacroix et Thibault Eigenmann en 2009, celui-ci signe le trio emblématique Makala, Di-Meh, Slimka ainsi que le reste de leur collectif, la SuperWak Clique. Colors permet de structurer le bouillonnement de cette nouvelle vague suisse et lui donne, par la même occasion, une forte visibilité.
Quelque peu isolé durant un temps, le label n’était plus le seul, à donner des moyens aux artistes. On peut notamment évoquer Evidence Music, créé en 2013, qui compte dans ses rangs la chanteuse Danitsa. Désormais, différentes entités tiennent une place importante dans l’imaginaire musical suisse. D’autres structures, comme celle d’Exit Void, commencent à se démarquer. Le collectif de réalisateurs est à l’origine de clips visuellement impressionnants, à l’image de Headshot de Slimka ou Chromatyk de Rouhnaa. De plus, ils publient régulièrement sur leur chaîne Youtube, des séances freestyles qui mettent en avant la scène rap de leur pays.
SUPERWAK CLIQUE
Enfin, lorsque l’on parle de structures communes au rap suisse, il y en a une qui sort du lot. Celle qui réunit en son sein les plus grands talents helvétiques et donne sa luminescence, à la scène émergente du pays depuis plusieurs années : la SuperWak Clique. Fondé en 2014, le collectif compte dans ses rangs la plupart des artistes évoqués jusqu’alors.
Si les plus gros noms sont évidemment Makala, Di-Meh et Slimka, beaucoup d’autres artistes, tout aussi talentueux, font vivre la SuperWak. Bien que moins connus Mairo, Varnish, Daejmiy, DeWolph ou encore Rico TK sont des acteurs essentiels du collectif. Par exemple, Mairo s’est fortement démarqué début 2020, avec l’album produit en intégralité par Hopital, 95 Monde Libre. La qualité de ses textes, mais surtout les multiples flows qu’il développe tout au long de l’œuvre, en font un immanquable de l’année dernière.
Ainsi, c’est avant tout l’originalité de chaque membre de la SuperWak, qui fait son rayonnement. Là où le rap « mainstream » français, a connu des critiques ces dernières années de par son conformisme, le « mainstream » suisse (s’il existe) s’en écarte totalement. C’est ce point en particulier qui le fait émerger, le besoin de changement ressenti par le public.