Quelques jours seulement après avoir fait son retour en solo avec le single Marché Noir, SCH annonce que JVLIVS : Tome II sortira le 19 mars. Le public est plus que jamais impatient de découvrir la suite d’un album certifié disque de platine. Cette attente, le Marseillais a su la travailler durant la grosse année qui sépare son dernier album du prochain. Retour sur les éléments qui construisent cet engouement depuis maintenant 2 ans.
Une année plus que réussie
En 2020, SCH est le rappeur resté le plus longtemps en première position du top Spotify France avec 177 jours, devant Jul (155 jours). C’est encore plus impressionnant lorsque l’on sait que le premier n’a sorti aucun titre alors que le second est à l’origine de trois albums sur cette période. En effet, le S était présent sur pas moins de vingt featurings et une dizaine de projets, véritable exploit. Inutile de citer tous les artistes avec qui il a travaillé durant cette année laborieuse, il est très demandé. Au moment de la rédaction de cet article, SCH compte 382 198 715 vues YouTube pour ses collaborations de l’année passée. Ajoutez à ça les différentes écoutes sur les plateformes de streaming et vous apercevrez la puissance de l’artiste.
Grand artisan de l’album marseillais 13 Organisé, SCH a marqué l’année par son couplet si populaire sur le son Bande Organisée. Succès international, il entre immédiatement dans le top 200 Spotify monde et devient single de diamant en seulement 38 jours, performance inédite en France. Grâce à ses gimmicks, ses punchlines et sa gestuelle, le rappeur marseillais a conquis la France sur ce morceau qui cumule les records (mention honorable aux autres artistes présents). Il se fait également remarquer aux côtés de Fianso dans le superbe American Airlines, où il démontre encore qu’il excelle dans le kickage. Pourtant extrêmement productif, les flows de SCH ne se ressemblent jamais et réussissent toujours à entraîner dans ses couplets percutants.
Pour citer un dernier exemple et parce qu’il est trop prolifique pour parler de chacun d’entre eux, le S se démarque une nouvelle fois sur Smile, en featuring avec Lefa dans son album Famous. Un clip scénarisé et réussi visuellement, un refrain aux sonorités pop, le morceau a fait partie des gros succès du S lors de l’année écoulée.
Durant l’été, SCH obtient le disque de platine pour Rooftop. Cela le place donc aux côtés des grands puisqu’il fait partie des rares rappeurs à posséder au moins cinq disques de platine avec Jul, Booba, Soprano, Lacrim, Ninho et Rohff. C’est indéniable, le talent du S se fait ressentir depuis des années, il est même désormais mis par certains sur un piédestal. 2020 était une année charnière pour lui, c’est l’une des raisons pour lesquelles son prochain album est tant attendu dans la sphère rap.
Un excellent premier tome
Si la seconde ébauche est autant demandée, c’est parce que la première est réussie. JVLIVS débarque en 2018 et inflige une gifle au rap francophone. Rétrospectivement, c’est l’album qui participe le plus à la construction identitaire du rappeur et qui, finalement, concrétise ce qu’il a débuté en 2015. Sur une ambiance mafiosi méditerranéenne, le projet raconte une histoire qui se structure autour des différents morceaux liés via des interludes narrées par José Luccioni (doublure francophone d’Al Pacino).
Il est souvent considéré comme le meilleur album de Julien Schwarzer. Les éléments audiovisuels qui découlent de sa musique, des clips, des textes et du personnage gangster napolitain participent à construire l’univers du grand banditisme, si adulé par les auditeurs. Et ce depuis la mixtape A7, en particulier le morceau Gomorra dont le clip est tourné à la Scampia et qui rend hommage à la série éponyme. Le fils d’Otto façonne son image du sombre mafieux, de qui la pochette de JVLIVS est si représentative. De plus, la cohérence dans le choix des prods, majoritairement conceptualisées par Katrina Squad (et plus précisément le beatmaker toulousain Guilty) crée une réelle connexion. Une homogénéité éclatante dans les 17 morceaux qui composent l’œuvre.
Ce qui fait donc la force de cet album, c’est la profondeur de la réflexion quant à sa construction. JVLIVS est bâti autour d’un squelette, d’un fil rouge, d’une identité musicale et visuelle unique en son genre et qui la démarque des autres. Le fait est que les albums concepts sont également aussi rares que populaires. Trinity de Laylow, la série Man on the Moon de Kid Cudi ou encore Good Kid M.A.A.D City de Kendrick Lamar sont des projets appréciés par le public et reconnus par la critique. On retrouve souvent un schéma narratif dans la disposition des morceaux, un thème commun, des prods similaires mais pas identiques et des interludes narrées. Quoi qu’il en soit, ces albums sont les plus longs à élaborer et cela plaît au public puisque JVLIVS est certifié disque de platine six mois après sa sortie, porté par des titres comme Otto, Prêt à partir en feat avec Ninho (le seul de l’opus) ou encore Le code.
SCH fait indubitablement partie des rappeurs qui consacrent beaucoup de temps à la construction de leur(s) album(s). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il décide de sortir Rooftop en 2019 et non JVLIVS II, contrairement à ce que beaucoup d’artistes surfant sur un succès auraient pu faire. C’est là qu’est reconnaissable la fibre artistique du S. Comme il le dit lui-même dans l’outro d’Interlude : « Rooftop, j’sors ça avant le tome deux, ça me démangeait ». Un choix donc volontaire de dévoiler des textes et des morceaux prometteurs déjà enregistrés comme le banger R.A.C ou le doux Ça ira qui auraient pu figurer sur un JVLIVS II. Heureusement, ces morceaux (aussi qualitatifs soient-ils) n’auraient pas constitué un tout homogène et auraient certainement brisé la sophistication d’une suite-concept. Sortir Rooftop était par conséquent un excellent compromis pour rester sur le devant de la scène sans gâcher la réflexion du deuxième opus.
Pas de déception
La dernière raison qui vient justifier cette attente, c’est que SCH fait pour l’instant un sans-faute, bien que certains projets ont moins plu que d’autres, comme Anarchie pour qui l’accueil critique était mitigé. C’est donc une suite de cinq projets qui arrivent toujours à conquérir les auditeurs depuis 2015, une production de qualité à un rythme effréné. Le style inimitable du S s’est largement imposé à l’aide de sa voix grave et de ses textes aux thèmes sombres, pour en faire aujourd’hui l’un des meilleurs rappeurs francophones. Une nouvelle fois, à l’écoute du premier extrait Marché Noir sorti le 4 février dernier, aucune déception n’est à signaler. La direction artistique du Tome II semble succéder fièrement à la première d’après ces quelques minutes d’écoutes.
L’introduction plonge directement le spectateur dans une intrigue digne d’une série mafieuse avec des protagonistes castillans, une ville ensoleillée, et un transport de marchandise inconnue bien que surveillée. L’histoire se déroulerait entre Marseille et Gibraltar au vu des dialogues et des packs éditions limitées mis à disposition sur le site dédié à l’événement. La musique, quant à elle, fait également écho au premier tome avec son instrumentale aux airs méditerranéens. Elle s’accorde parfaitement avec le clip que propose Mathieu Chill, déjà à la réalisation de celui d’Otto et de Pharmacie. Les phases et le flow coupant du S entraînent encore dans un rap sombre, si caractéristique du Marseillais qui met l’eau à la bouche.
Là où quelques inquiétudes pourraient s’installer, c’est le fait que les suites marchent, mais déclinent le plus souvent. Dans cette industrie musicale hyper concurrentielle, les artistes ayant goûté au succès d’un album tentent parfois de glisser dessus plusieurs années après, à leurs risques et périls. Cela s’est encore vérifié récemment avec Or Noir 3 de Kaaris, descendant d’un disque aussi important pour le rap que pour son auteur. Il n’était clairement pas à la hauteur de cette lignée débutée en 2013. Lacrim a rencontré les mêmes déboires avec R.I.P.R.O 4 qui, malgré son succès relatif, reste la moins bonne réussite critique et commerciale de la quadrilogie.
Il apparaît donc que la créativité des artistes peut s’épuiser et décliner avec le temps lorsqu’ils essayent de retrouver le succès d’autrefois, en proposant la suite d’un projet réussi. Cela peut s’expliquer par l’effet de lassitude, par le fait que l’univers sonore ne corresponde pas entre les différents opus, parce que la suite sort beaucoup trop tard, qu’il y a un manque de cohérence, etc. Néanmoins, certains rappeurs triomphent dans cet exercice : que ce soit en termes commercial ou musical, quelques exemples démontrent qu’il est possible de surpasser le premier projet, ou du moins l’égaler. Pour lui comme pour les auditeurs, il faut espérer que SCH répondra aux attentes et réussira bien sa trilogie.