Il est enfin là ! Après une longue attente, des problèmes avec son label, des rumeurs incessantes, une sortie constamment repoussée, et l’annonce de sa fin de carrière, Lil Uzi Vert a enfin dévoilé le tant attendu Eternal Atake, ainsi qu’une version Deluxe du projet. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’attente en valait la peine.
La sortie compliquée d’Eternal Atake
Fin 2018, début 2019, la publication de l’album semblait au point mort à cause du conflit opposant Lil Uzi Vert à son label Generation Now. Finalement, Jay-Z est intervenu par le biais de Roc Nation, et a signé le jeune rappeur afin de gérer son management, et surtout de trouver un terrain d’entente avec son label et sa maison de disque, Atlantic Records. C’est chose faite en 2019.
Alors que la sortie de l’album était initialement prévue pour le 13 mars 2020, visiblement très impatient, LUV a décidé de le publier sur un coup de tête, le vendredi 06 mars, en pleine journée. Véritable événement, Eternal Atake est devenu la première tendance mondiale sur Twitter dans les heures suivant sa parution, et s’est classé premier du Billboard avec 288.000 ventes aux États-Unis, le tout sans ventes physiques. Ne pas faire de vraie promo aura en définitive été une promo plus qu’efficace.
La porte du Paradis !
Originellement, Lil Uzi Vert souhaitait faire un disque inspiré de la secte Heaven’s Gate, qui a tristement fait parler d’elle dans les années 90, quand, sous l’influence du gourou Marshall Applewhite, 39 membres se sont suicidés, car ils pensaient que la Terre allait être « recyclée », et que se suicider leur permettrait d’accéder à un vaisseau spatial, symbolique du paradis. En 2018, l’artiste avait remplacé sa photo de profil sur Instagram par le visage de Marshall Applewhite, et avait ensuite dévoilé ce qui aurait dû être la pochette d’Eternal Atake. Cependant, des survivants de la secte ont menacé de le traîner en justice pour plagiat/droits d’auteur, étant donné que la cover plagiait le logo d’Heaven’s Gate :
Alors, Lil Uzi Vert s’est résigné, et a changé l’identité visuelle du projet, afin d’aboutir à la pochette que nous connaissons tous aujourd’hui. Mais le thème de l’espace et le délire sectaire sont restés. C’est ainsi que dans un trailer posté sur Youtube plusieurs jours avant la sortie de l’album, Lil Uzi Vert découvre le vaisseau qu’on peut apercevoir sur la cover actuelle, et celui-ci contient une secte de femmes vêtues de tenues mauves. Exactement la même couleur que les draps recouvrant les corps des suicidés de Heaven’s Gate.
L’artiste y multiplie les clins d’oeil. Plusieurs fois, on peut distinguer des clés et une serrure, entre autres. Dans la vidéo, Lil Uzi se fait emporter dans le vaisseau. Et c’est précisément là que se déroule le disque.
Un album structuré
Eternal Atake contient 18 titres (d’une durée d’1h02) et se divise en 3 parties distinctes : par tranche de 6 chansons, c’est un alter ego de Lil Uzi Vert qui chante. Ainsi, les 6 premiers morceaux représentent Baby Pluto, la partie plus violente de l’artiste. Le nom est un clin d’œil au rappeur Future. En musique, ça se traduit conséquemment au moyen de sons trap plus agressifs que le reste de l’album, et de l’égotrip. Le tout est aussi plus banal, malheureusement. Lil Uzi Vert a été tellement influent et imité, que maintenant, lorsqu’il rappe comme il l’a toujours fait, c’est « générique », comprenez : déjà vu et entendu partout ailleurs.
Cependant, Lil Uzi le fait mieux. Le meilleur exemple du flow générique du rappeur se trouve dans Silly Watch. Il compense ce manque d’originalité dans la façon de rapper via l’originalité des productions et des sonorités, qui renforcent le côté espace et vaisseau spatial. Par exemple, le morceau You Better Move contient un sample du jeu 3D Pinball for Windows – Space Cadet.
De la 7e à la 12e piste, c’est un autre alter ego du rappeur qui prend la relève : il s’agit de Renji, qui offre des morceaux bien plus mélodieux, joyeux et introspectifs. Et les 6 dernières chansons représentent Lil Uzi Vert en tant que tel, donc regroupant les styles des deux autres parties, pour offrir des sons parfois rappés, parfois mélodieux. Parfois egotrips-énervés, parfois introspectifs-joyeux. Evidemment, cette disposition sert surtout à former le 6-6-6 qu’on sait si cher à l’artiste. Mais elle permet également de mettre en évidence sa versatilité.
Un concept en cachant un autre
A côté de sa structure intéressante, le disque comporte en outre une histoire racontée de façon chronologique. Certains morceaux possèdent des scènes de quelques secondes, qui racontent une aventure qu’aurait vécue le chanteur. Lors des scènes en début d’album, on entend LUV apercevoir un vaisseau (Baby Pluto), s’y approcher par curiosité et constater que de la fumée s’en échappe (Lo Mein), mais il finit par voir quelque chose, ou quelqu’un d’effrayant, et il tente de s’enfuir (POP). D’ailleurs, le stress et la fuite se font ressentir lors des morceaux Silly Watch et Pop lui-même. Finalement, il ne parvient pas à s’en échapper, et il se fait kidnapper. Il se réveille attaché, et trouve un bouton lui permettant de se libérer (Homecoming). Ensuite, il explore le vaisseau qui lui sert de prison (Celebration Station).
Il entend des espèces de chants religieux, et il trouve une fenêtre, à travers laquelle il voit des « êtres » se promenant librement (probablement les femmes vêtues de mauves qu’on peut observer sur la cover de l’album et dans le court-métrage, donc sans doute des membres de Heaven’s Gate).
Le côté sectaire est renforcé, car lors de 3 chansons consécutives, on peut entendre des chants féminins, -ou une chorale-, en fond (Bigger Than Life, Chrome Heart Tags, Bust Me). En tentant de rejoindre les êtres qu’il voyait de l’autre côté de la fenêtre, il appuie sur un bouton, et une voix robotisée indique « You are now leaving EA, the dark world ». Toute cette scène a lieu dans Bust Me.
Lors des dernières secondes du morceau Urgency, LUV reçoit un appel. Et c’est enfin dans Secure The Bag que la scène finale se déroule : il se réveille à cause de la sonnerie du téléphone, se plaint d’avoir mal à la tête, décroche, et explique à son interlocuteur qu’il a vu des choses étranges. Derrière, une ambiance de bureau se fait entendre (la même ambiance qu’on peut entendre dans le court-métrage/trailer, lorsqu’il est à son taf au début). On comprend dès lors qu’il s’agit probablement juste d’un mauvais rêve, et que LUV s’est assoupi en travaillant.
Théorie
Evidemment, Lil Uzi Vert ne laisse jamais rien au hasard, on peut facilement imaginer que toute cette histoire est bien plus qu’un mauvais rêve. Elle fait sans doute référence au véritable cauchemar que le rappeur a traversé pendant des années : il a vu quelque chose d’intéressant (le vaisseau fumant symbolise le label Generation Now), par curiosité il s’y est approché, et a finalement été piégé à l’intérieur, sans comprendre ce qu’il lui arrivait. Il a passé un long moment à avancer sans trop savoir où aller. Les êtres se baladant de l’autre côté de la fenêtre représentent certainement les artistes indépendants, libres d’aller où ils veulent, pendant que LUV est cloisonné dans une maison de disque. Et une fois qu’il appuie sur un bouton (qu’on peut imaginer être Roc Nation, sur lequel s’est appuyé la jeune star pour se sortir de sa galère), il s’est libéré de ce cauchemar.
La voix qui annonçant qu’il quitte EA, « the dark place » n’est pas anodine. Lil Uzi Vert s’est très souvent plaint de sa situation avec son label, ce dernier l’empêchant longtemps de sortir de la musique, et ne lui donnant pas assez de recettes dessus. L’histoire racontée tout au long d’Eternal Atake fait étrangement écho à la situation qu’il a vécue.
Excellemment bien produit
Si l’imagerie de l’album est magnifique, on peut en dire tout autant de sa production. Les instrus retranscrivent parfaitement les émotions que Lil Uzi Vert veut faire passer, que ce soit l’excitation, le stress, la mélancolie ou l’agressivité. Les samples sont bien utilisés. L’exemple le plus flagrant est l’utilisation du sample de la deuxième partie de Way Back, de Travis Scott, (ayant probablement lui-même samplé Wolves de Kanye West) afin de réaliser le merveilleux Prices, le meilleur morceau d’Eternal Atake. Il ne se contente pas de sampler des chansons ou des jeux vidéo, il lui arrive également d’utiliser des voix. Ainsi, pour le fun, au cours de Futsal Shuffle 2020, on peut entendre la voix de l’interviewer Nardwuar.
Et Lil Uzi Vert va jusqu’à se sampler lui-même. P2 est tout simplement la suite du hit XO Tour Llif3. LUV utilise le même flow, et fait le point sur sa relation avec Brittany Byrd, qu’il décrivait déjà lors de la première version du morceau. Dans That Way, il utilise un sample d’I Want It That Way, des Backstreet Boys. Et ainsi de suite. Eternal Atake est d’une richesse musicale incroyable.
Des défauts mineurs
L’album n’est pas parfait, loin de là. Il contient quelques petits désagréments. Notamment la plume de l’artiste, qui n’est pas exceptionnelle, ou encore des thèmes trop répétitifs (drogues, femmes, luxure, mode). Mais on se doutait bien qu’en lançant une écoute d’un projet de Lil Uzi Vert, nous n’allions pas tomber sur du Kendrick Lamar lyricalement parlant. Cela dit, et là où le bât blesse, c’est lorsqu’il propose des chansons aux allures de fillers, des morceaux largement moins bons que le reste. Le chanteur est certainement meilleur quand il envoie des mélodies plutôt que du rap pur et dur, alors la première partie du disque est en dessous des deux autres. De toute évidence, on aurait pu espérer plus de featurings, Eternal Atake n’en contenant qu’un seul: Syd sur Urgency. Lil Uzi Vert y a (partiellement) remédié dans la version Deluxe du projet.
LUV vs. The World 2
En fin de compte, et contrairement à ce qui était prévu, ce n’est pas Eternal Atake qui est sorti le 13 mars (puisque LUV a avancé la date de parution d’une semaine sans crier gare). Pourtant, il ne pouvait pas rester un vendredi 13 sans rien faire. Dès lors, il a sorti la version Deluxe, qui n’est pas qu’une simple réédition : il s’agit en fait de LUV vs. The World 2, et comme son nom l’indique, elle fait suite à la première mixtape dévoilée en 2016, qui était longtemps considéré comme le meilleur projet de Lil Uzi Vert.
Et c’est probablement mieux ainsi. La version Deluxe ne suit pas du tout le concept initial de l’album, les morceaux ne s’inscrivent pas dans l’univers musical que Lil Uzi Vert a développé tout au long d’EA. Alors, donner un nom différent à la réédition permet de bien distinguer les 14 nouveaux morceaux. Et l’artiste a lui-même admis que cette réédition était surtout du fan service, puisque les fans réclamaient certains morceaux qu’il avait longtemps teasés mais n’avait pas mis dans EA. En sortant LUV vs. The World 2, il fait d’une pierre trois coups :
- offre les morceaux que les fans attendaient
- continue de truster la première place des charts
- propose beaucoup de collaborations, chose manquante sur EA
Casting XXL mais sans surprise :
Une chanson avec Chief Keef, qui avait déjà produit Chrome Heart Tags. 21 Savage qui sort de sa zone de confort et pose sur un morceau beaucoup plus léger que d’habitude. Future, Gunna, Young Thug (présent sur 2 morceaux). Lil Durk qui forme un duo intéressant avec LUV car ils reprennent le même flow que Lil Durk avait déjà utilisé lors du bouillant Green Light, piste issue de son excellente mixtape Love Songs 4 the Streets 2. Il y a également NAV, avec qui les duos sont toujours aussi fructueux. On regrettera juste l’absence de Playboi Carti, pourtant habitué à poser avec Lil Uzi Vert. C’était probablement la contribution la plus attendue et elle n’est pas dans le projet. Surtout que lors de la chanson d’introduction Myron, Lil Uzi Vert reprend le flow de Shoota, son qu’il avait fait en collaboration avec Carti sur Die Lit.
Bref, vous l’aurez compris : si LUV vs. The World 2 ne contient pas les morceaux les plus innovants et les feats les plus originaux (sachant que Lil Uzi Vert avait déjà collaboré de près ou de loin avec tous les invités), elle offre quand même de bons sons, et vient enrichir un projet qui était déjà très riche.
2020 marqué au fer rouge
Certes, des reproches pourront être faits à Eternal Atake + LUV vs. The World 2. Néanmoins, dire que Lil Uzi Vert n’a pas chômé pendant ses années d’absence est un doux euphémisme. Il est revenu en frappant un grand coup, et impose directement son (double) album comme un incontournable de 2020. Et par la même occasion, il s’est permis d’acquérir le statut de « superstar » du rap américain. Rien que ça.