Originaire de Nantes, GEAVN rappe depuis l’adolescence avec ses amis, puis amorce une carrière solo qui connaît une véritable accélération en ce début d’année, accompagnée d’un changement de nom et d’une nette montée en gamme de son image comme de la cohérence musicale de ses projets. Après un premier EP intitulé L’AMOUR SUR LES CENDRES en mars, il partage vendredi dernier un nouveau format court, dont l’homogénéité des sonorités et la sincérité du propos font connaître en profondeur une nouvelle proposition artistique parmi la palette du rappeur. Thésaurap se rend donc à sa rencontre pour en apprendre plus sur le projet fraîchement ajouté à sa discographie, et son état d’esprit à la veille de sa rencontre avec le public.
La naissance d’un nouvel artiste
En début d’année, tu as changé de pseudo (il se faisait jusque-là appeler Routs Wayne, NDLR). Quel en a été l’élément déclencheur ?
La rencontre avec Juxe et les membres de mon label DALIA. Certains morceaux de NIRVANA (projet sorti en 2022, NDLR) dataient de deux ans avant, j’avais pas mal de soucis personnels, la musique était devenue secondaire mais j’ai rencontré les membres du label (avant qu’ils le créent), ils ont cru en mon projet, et ils m’ont rapproché de Juxe. Le courant est passé humainement comme artistiquement, et j’ai repris goût à la musique. Le changement de blase s’est fait naturellement parce que l’ancien date d’il y a dix ans, quand on était dans un autre modèle économique et que je faisais du son sans ambition avec des potes. Je me suis rendu compte plus tard que je voulais en faire ma vie, et ces rencontres m’ont permis de développer une première direction artistique, une ligne directrice pour réfléchir à moyen ou long terme et repartir sur une base qui me plaisait et me ressemblait.
Juxe est un des producteurs qui compose tes morceaux ou plus que ça ?
On va dire qu’on est un binôme, il s’occupe de construire musicalement le projet, moi de l’interprétation, de l’écriture et on fait les arrangements à deux.
Dans ce cas, pourrait-on qualifier tes deux derniers projets d’album commun ?
Ouais carrément, on travaille avec d’autres beatmakers autour de nous, avec qui on est potes, mais la base reste Juxe et moi.
CYNE, une facette inédite
Par rapport à la pochette, celle de ton précédent projet était une peinture, cette fois-ci tu sembles prendre un peu le contre-pied, sans artifices avec une démarche plus naturelle.
Exactement, le tableau rentre dans le fictif, avec le court-métrage qu’on a proposé pour accompagner le projet (L’AMOUR SUR LES CENDRES). Aujourd’hui on a cultivé l’aspect instinctif et naturel avec ce recours à la photo, que je n’ai pas beaucoup utilisé parce que je me montre peu, donc j’ai voulu renverser la tendance, en dehors de la fiction pour que je puisse me montrer naturel, tel que je suis.
Sur le morceau VAGUE, tu dis « J’rappe comme à l’époque où j’étais naze. J’aimais bien l’époque où j’étais naze », en référence à ton adolescence à Nantes avec tes potes.
Ouais, on ne réfléchissait pas. Je ne suis pas nostalgique de cette époque mais je l’aimais bien.
Même si tu n’as pas perdu ta spontanéité, l’innocence n’est plus la même qu’à l’époque ?
Exactement, j’étais trop jeune, trop immature et je le suis resté longtemps. Maintenant ça fait dix ans, je suis heureux d’avoir vécu ces moments avec mes potes et je n’aurais pas fait la même musique sans eux.
Une confession à soi-même et au public
Dans le même morceau, tu parles de manière assez intime de ta famille, et de ton isolement vis-à-vis d’elle :
Je vois ma grande reuss une fois tous les cinq ans, ma mère une aprem par année – VAGUE
Je me suis très vite dit que mes potes étaient ma famille, même si ça sonne cliché, parce que c’était la seule solution pour ne pas me retrouver vraiment seul. Mon éloignement dure encore et s’est empiré avec le décès de mon père il y a deux ans mais je ne l’ai jamais mal vécu parce que j’ai grandi avec et quand on s’habitue à quelque chose, on ne réalise pas sa gravité. Une fois que c’est devenu quotidien, on ne se pose plus trop de questions.
Donc tu montres qu’il est possible de créer des liens très étroits sans être lié par le sang ?
Exactement, la liaison par le sang j’ai vite tiré un trait dessus, l’importance est de savoir si tu es une bonne ou une mauvaise personne, le sang rend juste l’amour plus beau s’il renforce un lien déjà sain mais il sert trop souvent d’excuses dans des familles comme la mienne alors qu’il ne devrait pas.
Ton projet a une direction artistique assez claire, plutôt intime, sobre et contemplative, qui s’oppose à celle du précédent, spectaculaire, dramatique et sophistiquée. Tu considères ce virage comme une escale dans ton parcours ou plutôt une reconversion dans un autre registre, bien que le contraste soit moins flagrant qu’entre 2022 et 2023 ?
Le fait que L’AMOUR SUR LES CENDRES soit tourné comme une fiction n’empêche pas que les deux projets soient proches musicalement. À partir du moment où on a choisi la DA court-métrage, c’était difficile de refaire pareil sans s’enfermer dans la démarche. Celle de CYNE, on ne l’a pas vraiment choisie, elle est spontanée. Si tu viens avec nous tu reverras et tu réécouteras la même chose que dans les visuels et les morceaux. Pourquoi pas repartir dans un délire fictif plus tard, mais sans se mettre de barrières musicales. On ne réfléchit plus à ça, on écoute notre instinct sans se poser de questions.
La musique comme on l’entend
Dans MOOD, tu dis « Je déteste faire le même truc, pourtant là je fais un projet qui parle que de love ». C’est ce paradoxe entre ta spontanéité d’écriture et l’apparition de thématiques récurrentes que tu mets en valeur ?
Ouais, de ouf, on revient vers quelque chose qu’on proposait il y a plusieurs années, avec des inspirations Néo-soul dans les mélodies, dans les instruments. Les relations humaines me parlent énormément. Dans L’AMOUR SUR LES CENDRES, on les retrouvait dans un sens plus général mais ici j’avais peut-être plus besoin de parler d’amour et de faire ces morceaux, dont beaucoup qu’on n’a finalement pas gardé.
Par rapport au format des vidéos que vous avez proposé avant la sortie du projet, on retrouve une forme proche des séquences individuelles du court-métrage L’AMOUR SUR LES CENDRES et on retrouve même des éléments communs aux deux déjà publiés (VAGUE et BALAYER, NDLR). C’est un choix à long terme de proposer ce rapport à l’image ?
De faire des vidéos assez courtes ? Pour faire ressentir une ambiance, je me voyais pas faire des clips parce que ça ne me parle pas énormément et c’est pour ça que j’ai voulu faire un court-métrage pour le projet précédent. Je trouvais que des séquences courtes suffisaient à décrire facilement l’ambiance d’un morceau, et elles permettent de ne pas passer uniquement par YouTube mais aussi par Insta, parce que c’est très galère de découvrir un artiste sur YouTube. Il faut donner envie d’écouter le morceau de trois minutes avec une vidéo d’une minute, faire comprendre sans trop en dire.
Pour finir, quand tu évoques les différentes figures féminines dans le refrain de MOOD, tu dis « Je sais pas trop à qui j’écris tout ça. Je voulais faire du ménage dans mon esprit tout sale », comme si tu avais fait une synthèse des histoires accumulées pour faire des morceaux universels.
C’est un peu ça. Quand j’écris des sons, ce n’est pas en pensant à une personne particulière, mais j’évoque pourtant des éléments précis, ce qui fait se poser la question d’à qui j’écris. Finalement à personne et à tout le monde en même temps. Je pensais à quelqu’un pour une partie du morceau mais la personne ne saura jamais que c’était pour elle parce que je reste flou.