Nadji Dinero, Parisien du Sud

Nadji Dinero est un rappeur accessible qui vit avec son temps. Il compose avec passion le profil d’un travailleur, qui a entamé un nouveau parcours en 2020. Ce n’est pas faute d’avoir déposé différentes propositions sur son chemin en groupe, puis en solo.

Détecté à partir de « Tout est noir », puis apprécié sur « Villains », avant d’espérer le meilleur suite à « Armés et dangereux ». Trois clips à la suite, servis par une esthétique brutale et urbaine, à la hauteur des paroles. Ce qui le sort d’une certaine confidentialité.

« C’est le 15 ici où se mélangent la street et les beaux quartiers » [Armés et dangereux – juillet 2021]

Il faut attendre Princes de la Ville, pour se faire une idée de ce qu’il donne sur un long format. Une sortie en fin d’année dernière qui a permis, dans la foulée, à l’interview qui suit. Le rendez-vous est fixé au Sud de Paris, 90 Boulevard Lefebvre, près de son fief.

Un illustre artiste de la Place des Fêtes rappait : Le rap c’est un moyen pas une fin / Ni un sprint mais une course de fond, on retrouve cet état d’esprit lors de l’échange avec Nadji Dinero. Qu’il complète lui-même par un slogan, le marathon continue.

La source

Quels sont tes débuts ?

J’ai grandi aux Périchaux, je n’y habite plus, mais c’est la base. En 2006, je débute en internat à Reims, où je fais la rencontre d’un rappeur du 94. On forme un groupe qui s’appelle Reuf ll Sang. De là, on s’y met à fond et enchaîne les morceaux. En 2008, je sors mon premier clip avec un mec de mon quartier, avec qui je monte 119 Collectif vers 2010.

Avant d’ajouter Dinero, tu te fais d’abord appeler Nadji, ça vient d’où ? Vous vous êtes concertés avec Mucho Dinero ?

Je suis d’origine camerounaise, de l’ethnie douala et quand je cherchais mon blase, je voulais une référence avec la force. En langue, c’est djina et j’ai inversé les syllabes. L’ajout est un délire, car à l’époque de la drill de Chicago, on est dans les pseudonymes en rapport avec l’argent. Pour Mucho qui travaille avec Le Juiice, non, car je ne le connaissais pas, ni aucune personne qui s’appelait Dinero dans le rap français.

Au début de “75000”, tu cites certains rappeurs parisiens de ta génération, dont Hayce Lemsi, L’Institut, S.Pri Noir, etc.

Je pose sur l’instru de “Repose en Paix” [Animalsons] et je les cite parce qu’à l’époque les banlieusards étaient plus mis en avant avec leurs collectifs. C’est un big up à tous les mecs de Paris, comme un appel à l’union. Parmi les cités, il y en a avec qui j’ai pu travailler ou au moins me connecter, dont individuellement des membres de la MZ, le son n’est pas sorti, car je ne suis pas allé au bout du projet.

La couleur musicale que l’on retrouve dans les instrus qui servent de freestyles à 119 Collectif, il y a les productions d’Araab Muzik, Jahlil Beats, Young Chop pour ne citer qu’eux.

J’aime les grosses instrus. La plupart des gens écoutent du rap américain. En général, elles sont massives et nous marquent. Surtout qu’à cette époque, il y a une révolution au niveau du beatmaking us, alors qu’en France elle a mis plus de temps à arriver. C’est pour ça qu’on kick sur ces prods. Après, les beatmakers fr ont commencé à exploser. Déjà Therapy, ça a été un gros changement pour le rap français, derrière il y en a eu comme Souleyman Beats et des anciens qui se sont mis à la page. Je pourrais t’en citer plein. À cette heure-ci, le rap français n’a plus besoin de chercher ailleurs.

Parmi les clips du collectif, il y en a deux qui sont réalisés par Kamerameha. Comment s’est faite la connexion ?

C’est la période où PNL commence à faire du buzz. On a un contact en commun avec leur cameraman et on bosse avec lui sur deux titres. La collaboration s’arrête par manque de satisfaction. L’univers QLF leur correspondait mieux, alors que le nôtre était gangsta dans un délire Chiraq.

« Mes potos m’ont dit de ne pas renoncer / Tout en autoprod on s’est financé » [Zorro – Guwap #1 – Octobre 2016]

On a cherché à sortir de l’autoprod, mais en réalité, je me suis fait une raison. Ça nous convient et représente. On est là depuis longtemps en faisant plus ou moins du bruit. À l’époque d’OKLM, B2O m’avait mis en avant. Après ça, on eu une dizaine de showcases payés, pour nous, c’était bien en moins d’un an. Ce qui est dommage, c’est la séparation, car on allait arriver à une concrétisation avec le projet. On a toujours été confronté à la concurrence, mais si on parle de qualité et de groupe, on avait notre place. Quand on commence, il y a ceux de la Sexion d’Assaut, qui sont plus âgés que nous. Après, il y a la MZ qui est dans notre tranche d’âge, quand ils se séparent, il y a 13 Block. Entre temps y a personne et on avait un créneau qu’on n’a pas su ou pu exploiter.

Prendre du recul, c’est prendre de l’élan

Dans les différentes sorties solos et collectives, il y a 119 Music Group, Rhalisse Empire en téléchargement gratuit, ensuite, tu annonces Invictus Vol.1 (2016). Vient la pause de deux ans puis la série des Guwap et la collaboration avec La Brûlure Production.

Invictus n’est pas sorti, car je suis pris par le groupe, qui prend le dessus sur les moments que je consacre à mon projet. On sort RE et l’année d’après, 3.5.7. Je ne sais même pas si les liens existent encore.

La pause n’en est pas vraiment une, on fait le projet collectif et on s’arrête au milieu, après avoir sorti des extraits. Directement,on démarre en solo, c’est pour ça qu’il y a une pause, le temps du démarrage. LBP, c’est une compil pour laquelle on m’a contacté, qui a abouti au titre avec DMC South.

On remarque que très vite t’as tiré ton épingle du jeu, au niveau de la chaîne YouTube, tu apparais en premier puis le collectif se dissout tout doucement pour te laisser place.

Sans prétention, j’ai été le plus actif. Quand on commençait à clipper, c’était grâce à un mec du quartier que je harcelais. J’avais tout le temps des idées plus que les autres et c’est pour ça que de manière générale, tu vas plus retrouver des clips à moi alors qu’ils étaient actifs.

Quand je commence en solo, c’est par “Milly Rock”, j’en fais trois puis j’ajoute un bonus avec Djibz, un mec de Vanves. Le début d’une nouvelle ère, avec la drill uk, qui arrive à se faire une place dans les charts, l’autre, on l’avait déjà expérimenté. Je me prétends être l’un des précurseurs de ce mouvement en France.

Vous avez un freestyle intitulé 21 décembre 2012. Quel bilan peux-tu faire des années qui se sont écoulées ?

On était productif, peut-être pas dans le bon sens. L’industrie musicale a changé de système plusieurs fois. On a fait beaucoup de singles et je n’ai jamais douté de notre qualité. Il manque que le succès, car celui d’estime, on l’a. Le bilan, ça va, même si on ne fait pas partie des plus jeunes, on a toujours du juice. Selon nos critères, quand on sort un morceau, c’est toujours qualitatif. Je te parle vraiment des gens comme moi, qui sortent des bons morceaux, mais qui ne sont pas forcément en haut de l’affiche, il y en a beaucoup dans mon entourage comme Slkrack ou Chizii. Ce n’est pas le niveau qui manque. Tout le monde ne devient pas un Booba. C’est pour ça que je dis dans certains morceaux, il n’y a pas d’argent, mais je kiffe malgré les nombreuses années, je ne me plains pas. S’il y en a tant mieux, sinon tant pis.

Starting-block

La drill t’a permis de te renouveler ?

Oui, quand on s’est mis en solo, sans elle, je n’aurais pas su comment arriver. Je n’aime pas débarquer dans des créneaux surexploités. Quand elle est arrivée et que je l’aimais déjà, je me suis dit qu’elle me correspond et je peux tirer mon épingle du jeu.

De nouveau tu envoies des séries de freestyles, TLT, le feat Ryan De la Cruz et Shooter.

C’est la série qui précède le projet. RDLC, je l’ai connu par rapport à La Brûlure Prod qui l’a connecté lors de son passage sur Paris. Il avait envie d’aller en studio, j’étais chaud et je leur ai dit de le ramener. Ça s’est bien passé et on a fini par faire le morceau.

Il y a aussi le feat Kun Fu, le binôme de Djibz. Un artiste émergent qui m’a invité à son premier concert à La Boule Noire en Novembre 2022. Mon dernier feat est en bonus sur “Princes de la ville” avec AMK, un mec du 15e, côté Balard. Il a sorti son projet en Août 2022. Après, je me suis arrêté sur les freestyles.

Il y a comme un temps mort après les singles envoyés sur la période 2020-2021.

J’ai eu des problèmes, que ce soit mentalement, physiquement, financièrement, je n’étais pas là. J’ai eu un coup de mou où j’aurais pu arrêter le rap. Le Corona aussi, m’a ralenti, j’ai perdu au moins un an pour me remettre sur pieds.

« Moi le futur je n’y croyais pas avant que ma fille naisse » [Finesse – juin 2021]

Une référence à elle qui est née en 2013. Avant qu’elle ne naisse, je n’avais pas de conscience réelle. Depuis, j’ai une raison de vivre entre guillemets, quelqu’un qui me donne envie d’évoluer. En général, les jeunes parents ça leur donne un coup de réveil.

Investiture

Pourquoi avoir repris la mélodie de T.I. x Young Thug « About the money » sur « Monnaie » ?

On l’a enregistré en 2019, quand on nous a envoyé la prod, j’ai pensé à ce morceau direct. Pour m’amuser je me suis mis à gratter un refrain qui ressemble à celui de Thug. C’est vraiment un délire, qu’on a fait comme un remix.

On constate que les feats restent liés au collectif.

Mes frères ! On a grandi ensemble. Il y a dix ans, on rappait ensemble, et même dix ans avant le rap, on était déjà ensemble.

Comment as-tu choisi le titre du projet ?

C’est par rapport au titre éponyme. Il y a aussi le fait que je suis un enfant du rap français. Ça me faisait plaisir de faire une référence au groupe 113, ce sont des légendes pour nous. J’aurais pu l’appeler autrement, mais j’ai voulu marquer le coup. On est tout simplement les princes de la ville, la jeunesse que je représente.

La cover est moins explicite que celles des singles.

On me l’a fait remarquer, si tu ne me connais pas et que tu t’arrêtes à la pochette, tu ne t’imagines pas le contenu. C’est une question de timing serré. Il fallait que je contacte Losayhello, étudiant en graphisme, qui a dû le faire en 24 heures maximum. Le projet devait sortir en Octobre dernier à la base. C’est pour ça que tout a été rapide. Il y a des paramètres qu’on ne contrôle pas par rapport à la distribution.

Le calibre qu’il te faut, c’est une référence à Stomy Bugsy ou au film Scarface [réalisé par Brian de Palma] ?

Stomy ! Je voulais utiliser la phrase présente dans le film, mais quand ça me vient en tête, c’est par rapport à Bugsy. Juste avant, j’ai écouté l’album d’un trait, pour savoir ce que ça donne et je suis parti sur un délire. Ce que je n’avais jamais fait, car j’étais petit quand il est sorti.

Publicité réédition premier album de Stomy Bugsy

Qu’est-ce que tu en as pensé ?

J’arrive à me restituer à l’époque de la sortie, j’aime trop son personnage, le charisme qu’il dégage, le côté caillera, beau gosse et chaud lapin. Il fait des conneries, mais des fois n’a pas le temps, car il est dans des sales draps. J’ai entendu une anecdote de Pit Baccardi à la radio, qui était amoureux de quelqu’un, qui le trompait avec SB. C’est fou, mais dans ses morceaux, c’est ce qu’il renvoie, le côté rien à foutre.

 

Yung Rezel

Rick Ross, c’est un de mes rappeurs préférés et j’ai des potes qui m’appellent comme ça. La prod du morceau, sonne à la MMG. J’étais dans sa peau en le faisant.

Quelle est ta période préférée et ton album de chevet de Rozay ?

Quand il signe Meek Mill et God Forgives, I Don’t. De manière générale, les deux autres qui ne quittent pas mon chevet sont Get Rich Or Die Tryin et The Documentary.

« Ça fait plus de dix ans que je rappe pour pas un rond je ne suis pas lassé »

Si on pouvait en prendre, ce serait mieux.

Qui sont tes fournisseurs pour la découpe ? Nom que tu utilises pour parler de l’utilisation des prods.

ThisIsLocs, DarkBrass, JustSyger et Dexxxis. Le premier est un mec de Reims avec qui je traînais quand j’étais là-bas. Son grand frère faisait des prods et lui commençait quand nous étions plus jeunes. Le deuxième est un ami d’enfance du 15e qui est parti habiter dans le 13e. Au-delà de la qualité, ça me faisait plaisir de les avoir sur mon projet.

La seconde équipe en dehors du collectif, c’est Kennedy et Tookie ? Comment s’est faite la connexion ?

Il y a le label Un temps d’avance, où tu vas retrouver Tookie, Kennedy (producteur) et moi. Kennedy, on discutait sur Instagram, par rapport à la drill de NY. J’ai commencé à lui glisser mes sons. Il m’a fait comprendre qu’il me suivait avant qu’on ne communique et que c’était bien ce que je faisais. Après, on s’est capté en physique et il m’a présenté Tookie, avec qui j’ai des points en commun. Le feeling est passé naturellement.

T’as déjà écouté le rappeur belge Za ? Je trouve une similitude dans la forme et le fond.

Non, mais je vais écouter.

Hifi, c’est un rappeur de Porte de Vanves ? Vous ne l’avez jamais connecté ?

Oui, mais je ne le connais pas, car j’étais trop jeune. Les grands de chez nous en parlent, car c’est une référence. Dans les environs, il y a aussi 16ar, Falguière c’est à côté. Quand il passait au quartier, c’était l’émeute alors qu’il était chez lui. Hifi, j’ai moins écouté, mais je connais ses classiques (Pendez-les, Rien à perdre Rien à prouver) pendant que j’écoute toujours les albums de L’Skadrille (Extazik, Nos vies, Des roses et des flingues).

Rejoins-nous sur Facebook