Souffrance, une source vive et fiable à La Cigale

Le S du Z

Il est sans équivoque dans la liste des rappeurs français qui ont marqué le début de la décennie. On pourrait croire à tort que tout part d’un freestyle sur Planète Rap, mais ce serait ignorer les années précédentes au sein de L’uZine. Un groupe reconnu à son échelle comme porte-étendard d’une musique sans concessions. D’ailleurs en toute logique, Souffrance est le déploiement de cette école du 93, plus précisément de Montreuil.

IL M’A FALLU 400 DÉFAITES POUR APPRECIER LA VICTOIRE [ÉTOILES FILANTES]

Un style, un son, une couleur qui sont définis au départ et qu’il mixe au fil des sorties de ses albums solos. Le complet Tranche De Vie, brut et sans merci avec tant de choses à rapper. Le second, Tour De Magie, plus coloré sans être plus lumineux. Le dernier à ce jour, Eau De Source, bien positionné sur ses appuis de base.

For My People

Un rap cru qui peut créer le malaise selon la faculté de recevoir certaines rimes. L’essence d’un style hardcore moins couvert de nos jours, dans lequel il ne délaisse pas l’harmonie. Souffrance a trouvé sur quelle corde tirer pour se présenter et représenter les siens. Sûrement sa plus grande réussite, à tel point qu’il ne semble pas conscient de la place qu’il a prise. Quitte à prendre un malin plaisir à partager sa joie sur scène.

Thésaurap a saisi l’occasion de sa date parisienne le 7 Février 2024 avec Cenza en première partie, pour profiter du spectacle avant de survoler avec lui, ses derniers projets et son expérience scénique.

Plan annulé

Remis de tes émotions de la veille ? Comment tu sens ?

Hier, en sortant du concert sur le chemin de la baraque, je me sentais bien. C’est une grosse échéance qui est passée, comme un boxeur après un gros combat. Quand ça se passe bien, t’as une belle sensation.

T’es descendu au merch comme tu l’as annoncé avant de quitter la scène ?

Ouais, bien sûr. Toujours, même à l’entrée avant le concert, j’étais en bas.

On a pu entendre un titre inédit hier lors du concert. Il fait partie de la tournée ou c’était pour le public parisien ?

Cash Flow, oui, je le fais sur la tournée, c’est le titre caché dans l’édition collector du vinyle Eau de Source. On va peut-être le sortir officiellement, je ne sais pas si on l’a enregistré en live hier.

Tu parles d’une inspiration loin d’être finie. Que les gens sont surpris des trois sorties en deux ans et demi. Est-ce que tu peux revenir sur le plan que vous avez établi ?

Je suis sur le prochain projet pour cette année.

Il y a eu une place importante laissée à la mise en scène que ce soit par des accessoires, instruments, les sets de Soul Intellect, notamment le mashup des sorties de l’EP aux albums en passant par la mixtape. C’était une disposition particulière.

Il y a des gens qui m’écoutent depuis longtemps, j’ai plein de morceaux. L’intérêt dans les concerts, c’est que je ne présente pas un album, mais je donne du spectacle. J’aime puiser dans mon catalogue, ce qui permet aux personnes de découvrir des anciens ou nouveaux titres. Un morceau sur scène n’a pas la même portée, tu ne le ressens pas pareil. Souvent, je change des morceaux, c’est-à-dire que je ne vais pas faire les mêmes à chaque date.

Tu demandes toujours un moment de silence sur Score ?

Oui, je le fais à chaque concert. Parfois, je vais plus dans les explications, mais hier, j’avais envie de faire une phrase simple et d’essayer d’avoir un silence sur 1 400 personnes. Même si on n’a pas forcément les moyens d’agir à notre niveau, on ne peut pas non plus fermer les yeux alors que ça part en couille partout.

Un sourire communicatif devant une salle pleine

Tu partages avec plaisir votre parcours scénique en faisant référence à vos débuts, du Café La Pêche, la Machine du Moulin Rouge jusqu’à La Cigale. Peux-tu revenir là-dessus ?

Nos premières scènes ouvertes, c’était au Café La Pêche. Il y en avait parfois avec 200/300 personnes ou très peu de monde. La Machine [octobre 2022] était incroyable. Ensuite sur un troisième album, faire une Cigale complète avec du rap sans concession et brut. Je trouve ça fou, car je ne pensais pas qu’on remplirait forcément. Limite qu’on allait bien la charger, mais sans m’attendre à un sold out avant la date.

Surtout que tu as un public qui te suit.

Les dates parisiennes sont comme ça. Il y a ceux de province, qui ont l’habitude de monter à la capitale pour des spectacles. Alors qu’un parisien, c’est rare qu’il sorte de sa région pour ça, à part au Demi Festival.

Ils savent que sur Paris, ça va être un show de fou. C’est plus facile de ramener un Oxmo, Vald à une Cigale qu’à Bourgoin-Jallieu. On envoie le même feu sur toutes les dates.

© 100 Focale
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Tu as pu obtenir des villes qui n’étaient pas accessibles à L’uZine ?

Non, avec le groupe, on tourne bien, je me rappelle d’un concert incroyable à Charleroi, au CK Bar, où les mecs étaient chauds. Sur mes tournées, le public qui m’a choqué, c’est celui du Nord. C’est un délire, même avec 150 personnes, ils envoient un feu de fou. Dans le Sud, tu arrives, il fait chaud, il y a une ambiance, mais dans le Nord ça sent la hess pour de vrai. Il n’y a pas de chaleur, rien, c’est dur. Je retrouve ma musique dans le Nord, c’est là-bas qu’elle se rapproche le plus des habitants. J’apprécie toutes les régions. Toulouse grosse ville de rap français. J’ai aussi fait la Suisse, à côté de Genève.

Comment s’est préparée la setlist ?

On la prépare ensemble, Tony, Soul Intellect et moi. Comme on a fait pas mal de scènes qui ont servi de test. Chacun apporte ses idées et on se retrouve à la fin avec le show.

Déjà être Roi

C’est logique pour toi de clôturer avec Simba ? Tout comme inclure le freestyle sur l’instru d’Arrêtez [Despo Rutti].

Oui, c’est le morceau phare. À mon niveau, c’est mon premier tube. Je sais que les gens le kiffent. Il faut finir avec sur le rappel, on reprend avec J’ouvre le feu, enchaîne sur le freestyle qui m’a fait connaître sur Skyrock, pour terminer sur Simba. Je préfère que les gens partent sur une note douce que sur un morceau énervé.

Quelle sensation ça fait d’avoir ses trois albums plébiscités à chaque sortie dans le top des auditeurs de rap ?

Je suis content tout simplement que les gens apprécient. Quand j’écoute les émissions qui parlent du ressenti sur les albums, je sens que ma musique est clivante. Il y a des gens qui n’adhèrent pas, on n’est pas là pour plaire à tout le monde non plus. Satisfait que le travail soit apprécié, car quand tu bosses de ton côté, tu ne sais pas ce qui va se passer, si t’es dans le bon ou dans le mauvais. Ça se trouve, tu penses faire du lourd et à la réception les gens vont dire que c’est léger. Avoir des retours, c’est toujours gratifiant.

Tu donnes l’impression à travers les trois sorties d’un côté sombre, lumineux puis de nouveau sombre. Comme l’idée d’avoir pris la lumière pour revenir encore plus brut. Est-ce qu’il y a eu trois manières différentes de travailler pour chaque album ?

Oui, TDV, c’est l’album d’une vie, il y a des morceaux qui datent de dix ans avant sa sortie. Il reste particulier. TDM, j’avais envie de le sortir vite, donc d’un album sur une vie, il faut passer à un projet fait en un an à peu près. C’est ce que j’appelle, la professionnalisation, est-ce que t’es capable de le faire dans ce délai ?

Artistiquement, TDV était très sombre, sur scène, c’était dur. TDM, je le voulais plus clair, avec quand même des morceaux comme Solide. Cet album m’a aidé en concert. Comme j’étais dans le léger avec TDM, je voulais revenir sur un truc plus écrit, assez technique avec EDS. L’âme de TDV avec la musicalité de TDM. Je les vois comme une trilogie, sur la suite, j’irai sur autre chose.

Dans ton évolution, il y a ce parcours vers une réussite financière qui est possible, quand on ne s’y attache pas totalement. Sur le début de TDM, il y a un ressenti de la pression du second album. Il donne l’impression que tu crois encore à moitié au succès, mais en même temps, t’essayes de te convaincre que la réussite du premier n’était pas vaine.

Il y a différents types de succès. Tu peux être connu sans que ta vie ne change de fond en comble. Durant TDM, j’étais dans une phase de signature de contrat, je n’y crois pas totalement, mais grâce à TDV, je me rends compte que c’est possible.

Source intarissable

Pourquoi Eau de source comme titre ?

Je répondais à la question : c’est quoi le rap ? J’apporte ma réponse, pour moi, le rap, c’est EDS. Dans cet album, il y a énormément de références aux années 90-2000, avec Ciel gris kebab grill, Tempête, etc. Des morceaux plus hybrides comme l’intro, Pendu, Authentique.

Tu ressens cette atmosphère du passé malgré des beats trap. En rapport avec l’eau, la matière première, la base du rap, avant qu’on ne mette du sirop dedans, qu’on le mélange. Un mec qui n’a jamais écouté de rap, s’il veut savoir, c’est quoi le rap brut, il écoute EDS. Sur quoi tout est parti et ce qu’il y a autour, l’ajout du vocoder, de la mélodie, d’autres types d’instru et BPM.

En effet, on ressent plus de nostalgie sur EDS, notamment sur Authentique et Métro. Le souvenir de rapper dans le hall devant cinq personnes. Aujourd’hui, tu ne peux plus reculer, car ton nom compte, mais paradoxalement sur Tempête t’avoue que t’étais plus craint quand tu bicravais que lorsque tu dis désormais être rappeur. 

Il y a une interlude [Vendredi 17 Juin 2005] dans TDM où je rappe dans le hall devant cinq personnes, je fais une intro au morceau suivant.

Quand tu dis que tu rappes, le mec en face met sa casquette sur le côté, il fait des gestes avec ses doigts et te dit yo yo. Tu sens que le rap n’est pas respecté. Lorsque tu bicraves et lui ramènes de la drogue alors que ce n’est pas respectable en réalité de le faire, tu sens qu’il t’envoie plus de respect. Je trouve, ça grave. On peut l’appeler culture ou sous-culture, mais qu’un art comme le rap, qui prend toute la place, il y a encore des gens qui ne le prennent pas au sérieux et toi pour un abruti parce que tu en fais.

Il y a cette envie de rester terre-à-terre et de rappeler que t’es comme tout le monde.

C’est important de rester dans ses inspirations. Il faut rester ouvert aussi, mais pas trop. Je le dis souvent, notamment dans Étoiles filantes, ma vie est banale.

He’s The DJ, I’m The Rapper

Tu peux nous expliquer l’interlude Be Water par Soul Intellect [membre de L’uZine] ?

Le scratch fait partie des sources du rap, du mouvement Hip Hop. La chanson de Guy Béart, c’est tout simplement parce qu’il fait une référence à l’eau. Je voulais un interlude scratché, à une époque, il y en avait plein. À prendre aussi en référence Cut Killer dans le film La Haine où il scratche une phase d’Assassin.

Soul Intellect me suit partout, mon DJ qui est avec moi sur toutes les tournées. Je voulais que sur scène, il ait un moment à lui. Techniquement, c’est un monstre et une occasion de remettre le scratch au milieu. Si j’avais pu, j’aurais ramené des danseurs, mais c’est plus compliqué. Ramener ce délire de culture Hip Hop, car il n’y a pas que le rap.

© 100 Focale

Les maquisards

Sur le site de L’uZine t’as la présentation la plus sommaire du groupe : Écrivain dilettante depuis l’enfance, Souffrance vogue sur sa plume jusqu’à sa rencontre avec TonyToxik et CenZa avec lesquels il formera L’uZine. Depuis, il affûte son phrasé pour “faire sa musique de manière pudique” dans un flow tranchant aux sonorités old-school. Quelle était ta motivation dans l’écriture avant de les rencontrer ?

Ah ouais, on n’est pas à jour [rires]. J’ai commencé l’écriture tôt de manière naturelle. En primaire, j’étais bon en rédaction. C’est quelque chose qui m’a toujours intéressé. J’ai fait du rap parce que j’évolue dans un milieu où il est présent partout et cette culture m’a accroché.

T’es celui qui apparaît le plus en retrait, mais par la force des choses t’es devenu l’étendard du groupe.

Il y en a plusieurs dans le groupe, l’étendard interne, c’est TonyToxik, celui qui tient la barre, le moteur de L’uZine, de l’association, de tout. Ensuite, il y a Cenza qui a fait des grosses percées dans le rap underground avec Un trou noir dans un gant blanc [interprété en première partie]. Son album Retour au temple [2019], avec L’éclipse qui a tout éclaté.

Je suis arrivé après et effectivement ça a bien pris. J’ai toujours été présent dans le groupe, à petites touches, un moment, j’ai fait une pause, mais chaque album contient mes couplets.

Artistiquement, qu’est-ce que tu aurais fait si tu n’avais pas rencontré L’uZine ?

Je ne peux pas te dire, je rappais avant, mais je ne peux pas dire avoir rencontré, car je fais partie des créateurs de L’uZine. J’ai trouvé le nom. On était ensemble et on s’est rencontré avant. Je pense que si Tony, Cenza, Vakeso n’avaient pas continué les concerts, gardé le cap et fait toute cette organisation d’indépendance, de l’envoi de cd’s, etc. Je ne sais pas, ça se trouve j’aurais fait un freestyle TikTok et tout baisé.

Aujourd’hui, c’est grâce à nos fondations solides. On n’arrive pas de nulle part et le chemin se fait petit à petit. Les gens qui nous suivent, ils connaissent les raisons pour lesquelles on s’inscrit sur la durée. En tout cas je l’espère.

Étoile morte qui brille dans le ciel

Est-ce que tu aurais poussé l’écriture ailleurs que dans la musique ?

Peut-être que j’aurais lâché. En tout cas aujourd’hui, j’ai envie de pousser l’écriture ailleurs que dans la musique. C’est une histoire de temps, d’investissement et de le faire bien. Si c’est pour le faire et sortir une merde, c’est inutile. On m’a proposé des projets de bouquin, faut avoir l’idée et bien le faire. Si je mets mon nom sur quelque chose, il faut que ce soit de qualité.

Si tu devais choisir un seul titre pour présenter chaque album ?

Tranche de vie : Étoiles filantes. Tour de magie : J’ouvre le feu ou Symphonie. Eau de source : Métro.

Le mot de la fin, ce ne serait pas L’uZine/Souffrance connard ? Beaucoup scandé durant le concert.

Ouais, c’est vrai ! C’est L’uZine avec un Z, Souffrance connard ! Si tu n’aimes pas la Souffrance, c’est que tu n’aimes pas le rap.

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