Loso, passage de cap

Le 5 Mai dernier, Loso a sorti De Ronces Ou De Lauriers. Un EP qui vient enrichir une discographie, bénéficiant d’une sortie quasi-annuelle depuis 2017. Il a su nous surprendre fin de l’année dernière avec son single “Les Roses”. Un assemblage sobrement dosé de mélancolie et d’enthousiasme qui clôture le projet. Sept titres avec quelques préférences dans le lot, sans que les autres ne soient pas inintéressants, mais des invités à découvrir. Loin de s’interroger, le rappeur de R.O. relate les faits. Qu’ils soient observés ou subis dans le quotidien de chacun, Loso prend en même temps une position naturelle à travers sa verve. On le sent concentré sur les maux de notre société.

Deux ans après et trois projets plus tard, c’est une nouvelle opportunité saisie avec Thésaurap. Revenir ensemble, sur la fin de sa trilogie et son actualité. Il bénéficie d’une visibilité accrue pour les amateurs de rap. Des nouvelles opportunités s’offrent à lui et il compte s’en servir pour partager son travail. Une bascule qui commence à s’opérer vers de nouveaux canaux.

Le rendez-vous est pris mi-juin, à la gare parisienne qui relie la capitale à la ville de Rouen. Une balade improvisée par la force des choses, avec cet amateur de vin de palme dans le VIIIe arrondissement. À l’image du rappeur, l’échange a eu lieu dans une atmosphère calme et posée. Altruiste, il exerce sa musique pour surprendre ses auditeurs. Il est d’ailleurs souvent question de l’avis des autres. Comment ils reçoivent ce qu’il envoie ? En joignant l’utile à l’agréable.


Quel est ton bilan sur les derniers volets de “Sur La Rive” ?

Les gens étaient surpris qu’on ait balancé beaucoup de titres solos. Ce qui revenait souvent : il n’y a pas d’invités. SLR2 est sorti en plein confinement ou juste après, ce qui a surpris mon public. On travaille beaucoup. SLR3, j’avais envie de balancer un projet plus long, c’était plutôt cool. Ceux à l’écoute ont compris que dans chaque projet, l’écriture allait avoir une place importante. Ils connaissent la couleur Loso [prononcer Losso]. On a fait des petits clips, ce qui a permis de gagner en visibilité. Ça a réveillé mes normands, qui étaient contents de voir qu’il y avait un boug de Rouen qui bossait.

Quelles sont les personnes qui t’entourent ?

Quand je dis on, je parle des beatmakers avec qui je travaille, les ingénieurs du son qui nous reçoivent en studio. J’ai mon partenaire en affaires et DA qui est présent pour m’orienter. J’englobe toutes les personnes avec qui je travaille pour une sortie. Ce n’est pas parce qu’on est en solo, qu’on fait tout, tout seul. De base, les gens le savent, mais au final quand on est seulement auditeur, on peut avoir cette idée.

Tu as malheureusement plus de vidéos que de réels clips.

C’est une question de timing. Forcément tourner un clip, ça demande à mettre en place des plannings, que tout le monde soit carré. On a aussi nos obligations à gérer au quotidien. J’aime balancer des visuels qui illustrent ce que je propose en musique. Il y a eu celui de Blempro, tourné au Ghana, mais sans playback. 14H30 a été tourné dans une ancienne salle de boxe, où je m’entraînais quand j’étais adolescent. C’était sympa de revoir les entraîneurs, un peu tout le monde. Il y avait des figurants.

© D.P.G. / Karrington

D’où te vient cette volonté de te cacher sur tes covers ?

C’est dans ma nature, je perçois la musique comme une œuvre d’art. Quand je balance un projet, j’ai envie de le faire comme si c’était une peinture. Je pourrais effectivement faire quelques photos et mettre un titre en bas, pour obtenir un visuel, mais j’ai envie que ça raconte plus. Ce n’est pas forcément une volonté de se grimer. Plutôt faire passer un message.

SLR1 avec Le Radeau de la Méduse a eu son impact sur les réseaux. À chaque fois, le visuel percute. Je reçois des messages pour connaître la référence. Si je faisais quelque chose de standard comme une belle photo, je ne pense pas que ça aurait le même impact. C’est la volonté de mettre en image, quelques indices de ce qui se dit sur le projet. Ma touche artistique est de donner des informations et chacun fait ce qu’il veut. La musique est formidable pour ça.

Tu peux présenter les feats sur DRODL ?

Luna Angel est une amie de Los Angeles, avec qui je n’avais jamais fait de titres. Là, j’ai eu envie de l’inviter, pour qu’elle emmène un légèreté musicale. Kamano est venu nous ramener une vibe reggaeton avec Dame de lo tuyo. Il est placé en playlist, je le vois dans les streams. Alwio avec qui je bosse depuis longtemps. On est sur la même longueur d’onde, sur plein de points différents. Que ce soit artistiquement ou humainement, c’est un plaisir de travailler avec lui.

Cela t’est venu naturellement de les inviter ?

J’aime surprendre et rompre l’habitude des EP en solo. Par exemple, SLR3 est plus long que les autres. Mon public s’attend à ce que ce soit dans la même veine que les précédents. De ronces ou de lauriers, c’est une histoire sur la rive en quelque sorte. La parenthèse dans ce qu’on a proposé jusqu’ici.

Dans la même dynamique, j’aime les collaborations internationales. SLR il y a des beatmakers allemands et anglais. Cez Beatz [14h30], je l’ai rencontré il y a dix ans. Waylem Beats sur Duffle Bag, j’avais envie d’emmener une différence, même au niveau de l’instru ça sonne reggae. Sleez Beats, un mec de Lille, qui a fait Napalm. Il a une touche actuelle et compose. Schals [Soprano, Je fais rimer nos vies, Les roses], on s’est recroisé en studio et on a commencé à bosser ensemble. Ça reste une connexion rouennaise. Mélanger des saveurs, c’est intéressant de le faire ressentir aux auditeurs.

© D.P.G. / Karrington

Tu as conservé ton processus de création ?

Je demande d’envoyer les prods. J’ai une écriture qui vient toute seule, je mets les premiers mots ensuite ça part. Ce n’est pas scolaire, je ne vais pas me poser et me dire que je dois travailler ce thème-là, telle prod va bien correspondre. C’est au feeling selon l’instru, qui me transmet la vibe générale.

Une fois en studio, on laisse place à l’improvisation. On pose, si au final, ça ne me plaît pas, on change. Chacun donne son avis, on s’écoute. Moins je passe de temps en studio, mieux je me porte. Il y en a qui y vont une journée, pour écouter des prods et écrire. Quand j’y vais, c’est pour aller en cabine. C’est ainsi que je travaille, sans y passer beaucoup de temps. Si j’écris sur place, c’est pour rajouter un couplet qui sera peaufiné.

Est-ce que tu peux nous expliquer le titre du projet ?

Les gens portent toujours un jugement sur toi. C’est une manière de dire que je m’ouvre à vous, en vous livrant ma personne. Maintenant, que vous me donniez gagnant ou perdant, je vais porter ça fièrement comme une couronne. Qu’elle soit de ronces comme celle du Christ ou de lauriers, symbole de réussite. Je vous laisse vous faire votre avis. Ce que j’ai aimé, c’est que les gens se sont dits que c’était intéressant. Je pense que c’est un état d’esprit qu’il faut avoir. Toujours avoir la tête haute, se comporter comme un être digne. Le Ghana possède un système de royauté. Les rois y ont une place importante, ce qui fait qu’on essaye sans cesse de représenter sa famille dignement.


NAPALM

LA DERNIÈRE TOURNANTE AU JT / 36 QUAI DES ORFÈVRES 

La dernière fois que j’ai entendu parler d’un viol en réunion, c’était à cette adresse. Le projet est sorti et dans la même période, on a eu écho de l’acquittementC’est un état des lieux, d’opposer ceux qui sont là pour nous protéger et en l’occurrence, peuvent s’avérer être des dangers.

LES BLEUS SUR TON CORPS / C’EST LA POLICE 

La double lecture : est-ce que ce sont les bleus qui sont les vestiges des coups portés par les policiers ou est-ce que les bleus sont l’uniforme sur toi ? Comme les images de Cédric Chouviat, Adama Traoré, Théo et tous les autres. 

JE REDONNE AU RAP CE QU’ON LUI ACCUSE

Beaucoup se plaignent du manque de fonds et de propos dans le rap français. Je pars du principe que je suis là pour ça. Le parallèle qui suit avec les grands chefs mentionnés est intéressant avec ce qu’on cuisine. Il y a deux lectures comme dans “Ocho”, on est aux fourneaux, en train de bosser et redonner au rap ceux que certains estiment qui lui manque.

POUR MOI LE RAP EST UN PASSE-TEMPS / POUR CES JEUNES AGRESSEURS UN PASSE-DROIT / ILS N’ONT PAS CONNU DE FEMMES AVANT DE PERCER / SI T’ARRÊTES DE LES STREAMER / IL SE PASSE QUOI ?

C’est vous qui donnez la légitimité à certains artistes. Il suffit d’arrêter de les écouter pour qu’ils disparaissent. Le débat, où est-ce que l’on doit séparer l’homme de l’artiste : oui séparer ! Quand quelqu’un fait quelque chose de mal, on ne peut pas le récompenser pour ça. Que ce soit dans la musique ou le cinéma, j’estime que si elle faute gravement, cette personne doit être sanctionnée en premier lieu, par la justice.

Il y a des exemples dans divers domaines, où elle pêche, c’est à nous de prendre position. La société civile le fait désormais, tant mieux. Ce n’est pas tout d’être accusé, il faut que ce soit avéré. Il ne s’agit pas d’une balle tirée précisément vers le rap. Aucune complication à avoir, tu arrêtes de consommer et renvoies l’individu là où il doit se situer.

SOPRANO

CHEZ NOUS LES NOUVELLES SONT PAS BONNES / QUAND ELLES VIENNENT DE BONNE NOUVELLE

La maison d’arrêt de Rouen s’appelle Bonne Nouvelle. Cette phase-là si tu n’es pas rouennais, tu passes à côté.

Qui a eu l’idée des claps à la fin ?

Schals le beatmaker, ça switch, on a l’impression de passer à autre chose et donne de la puissance. On avait travaillé ainsi sur Les Roses, où il y a réel un changement de beat au milieu. Là, c’était intéressant, il l’a proposé et ça sonnait cinématographique donc tombait à point nommé avec la série du même nom. Notre vie est un mélodrame / Pas une mélodie, une façon de dire que cette fiction est un drame en six saisons. Un parallèle avec nos vies, par tout ce qu’on témoigne.

DAME DE LO TUYO

Un message d’encouragement pour les femmes. J’avais envie de parler d’une stripteaseuse, mais pas sous l’angle du gars, qui oublierait de la respecter dans son travail. La personne en question est là pour faire son argent. Sur les deux qui se rencontrent, il y en a un qui en perd. J’aime aborder ce type de sujet. La boss au final, c’est elle. Il faut que tout le monde comprenne qu’on est tous égaux. Qu’il n’y a pas de discrimination passable. Ce n’est pas une question de sexe ou religion.

Chacun est en droit de prendre ce qu’il a à prendre et faire. Tout ce qui m’intéresse, c’est de savoir si tu crois en quelque chose. Est-ce que la chose en quoi tu crois est positive, ça va t’aider à être quelqu’un de meilleur ? Si c’est le cas, allons tous ensemble. L’égalité, c’est important ! Tu ne peux pas être homme de couleur, combattre le racisme et accepter le sexisme. On peut croire que ce sont deux causes distinctes, mais en réalité la discrimination, c’est une seule idée : empêcher les gens d’exister, ce n’est pas tolérable.

COURONNE

ILS VEULENT QUE JE FASSE TOUTE LA PROMO SUR LE DOS D’UN FAUX DÉBAT 

En termes de période, il y avait Zemmour qui était en pleine reconquête. Les gros médias ce qu’ils veulent, des débats stériles. Je trouve dommage que je puisse parler d’une futilité et que certains ne vont pas cesser de le relayer.

C’est une ode au Ghana et à certaines personnalités issues de sa diaspora dont Virgil Abloh.

Il a été impactant. En termes de mode, design, réal, etc. Au-delà de ça, c’est une opportunité qu’il a offerte aux plus jeunes. Avant lui, le Hip-Hop n’était pas intégré dans Louis Vuitton. Il a amené les citations de la marque dans la bouche des rappeurs, du Griselda dans les défilés. Quand quelqu’un a tes codes, tu n’as pas besoin de demander, on se sait tout de suite. Une personnalité comme lui avec les mêmes caractéristiques que toi et qui évolue, via une ascension sociale importante, je trouve ça merveilleux. Qu’il repose en paix.

J’ai beau être influencé par la culture africaine et la condition des noirs en général, mon entourage est représentatif de toutes les communautés et ça se sent dans ma musique. Pour le Ghana, je pense que c’est l’appel du pays, tu passes de plus en plus de temps avec ta famille, à y vivre tout simplement. Plus on avance, plus on a besoin de donner un sens à sa vie. En prenant pleinement conscience, d’où on vient. Ma vie a peut-être commencé à Rouen, mais en réalité à Cape Coast, Elmina ensuite elle a atterri en France. Ma mère est française, puis mes parents se sont rencontrés, ça va beaucoup plus loin. 

L’origine de chacun a une importance et c’est en la maîtrisant qu’on s’offre les chances d’avancer, ensuite retransmettre à nos enfants. Qu’ils puissent comprendre d’où ils viennent. Comment ça se fait qu’ils sont là ? Grâce à leurs parents, grands-parents, arrières grands-parents, c’est l’Histoire. J’essaye de parler autant du Ghana que de la France.

LES ROSES

C’est un mélange de ma position d’homme, mari, père, entrepreneur, artiste et je trouvais ça intéressant d’écrire une chanson d’amour. Tant qu’elle ne repose pas sur le, tu es belle, mon tout, je suis heureux, etc. Qu’est-ce qui se passe quand un couple atteint le point de rupture ? Où tout le monde sait que c’est fini et que chacun l’accepte. J’avais envie de réussir à chanter sur ce micro-instant, qui après bascule.

Les relations sont faites de hauts et de bas, ce n’est pas pour autant que l’amour disparaît. Tout est plus complexe. Un des deux se dit qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond depuis des années, et qu’ils s’éloignent de plus en plus. Ce conflit entre, j’ai peur de l’épreuve, mais parallèlement, tu me rends si fort que je peux la surmonter. Une tentative d’écrire des pensées solides qu’on n’a pas l’habitude d’entendre, mais que chacun peut ressentir.


© D.P.G. / Karrington

On ressent beaucoup plus d’egotrip que par le passé.

Un ajout de piment à l’exercice tout en m’amusant. Essayer de conserver le fond, en multipliant les thèmes. Associant à cela de la punchline, du kickage, parce que c’est du divertissement. D’ailleurs dans Les Roses, on passe du tout au tout. Je peux aborder la sensibilité comme partir sur quelque chose de percutant. Je me livre plus sur ce projet. En termes de rap, je suis l’équilibre entre le fond et la forme. Sur les précédents, j’étais sur le fond, histoire de mettre les gens dans le bain, mais là, on est obligé de frapper.

Quand je sais que j’ai passé un an et demi à travailler sur d’autres choses que le simple aspect musical. C’est-à-dire, me structurer, mettre en place le label, tout ce qui est administratif. Travailler petit à petit sur le site Sur La Rive. Je me dis que je n’ai pas pris la parole depuis un moment, on va balancer un son, mais pas n’importe lequel. Un qui va leur dire, mince, qu’est-ce qui se passe !? Ceci est mon état d’esprit, en essayant de surprendre et de plaire avec de la bonne musique. Je tiens à remercier tout mon auditoire qui apprécie ce processus et reste conscient de la qualité à conserver. L’année n’est pas finie.

Rejoins-nous sur Facebook