Jersey drill, 2-step, hyperpop, plug… Le rap s’enrichit sans cesse de nouvelles musicalités, tendances et façons de poser. Le prochain sous-genre à s’imposer dans le hip-hop francophone pourrait bien être le rage.
Melting-pot d’influences et d’origines
Le rage est un sous-genre de la trap. Il se démarque grâce à l’utilisation massive et répétitive de synthétiseur, afin de créer un effet de « bourdonnement ». Ce style emprunte ses inspirations dans la musique électronique des années 2010, en particulier la Future Bass. Le rage reprend également les codes de la trap (hi-hat, grosses caisses venant du 808). Le tout accompagné d’une façon de rapper qui se veut difficilement intelligible et basée sur des ad-libs, parfois même enrichie de distorsions.
Il est difficile de citer un inventeur pour ce sous-genre musical, de même que donner une date d’apparition. Yeezus de Kanye West pourrait avoir été la première pierre à l’édifice. Quoi qu’il en soit, le rage rap est né d’une suite d’expérimentations et d’évolutions dans les travées de la plateforme Soundcloud, aux alentours de 2015.
Musique adaptée aux shows
Le terme « rage » puise sa source dans l’univers des concerts et festivals, particulièrement ceux du rock. Dans ce contexte là, « rager » (to rage) signifie se lâcher complètement, à en devenir destructeur. Selon les observateurs, le terme aurait été popularisé par le groupe Limp Bizkit lors du festival Woodstock, en 1999. Ils y incitaient les festivaliers à se libérer, évacuer leur énergie négative et tout casser. Ce que la foule fit : bagarres, éléments de la scène arrachés, malaises, agressions sexuelles, émeutes, morts… Le festival a tourné au chaos et le groupe se le voit reprocher depuis.
Beaucoup de rappeurs actuels puisent leur impulsion dans le rock, surtout en termes de performances scéniques. C’est le cas de Lil Uzi Vert ou Travis Scott. Les deux artistes revendiquent une attitude de rockstar et effectuent des concerts où l’on peut « rager ». Lil Uzi Vert a même nommé sa première mixtape, puis son premier album après cette expression (Luv Is Rage 1 et 2).
Travis Scott a eu plusieurs ennuis avec la justice pour avoir incité la foule à se lâcher au point de donner lieu à des émeutes, comme l’a fait Limp Bizkit. L‘Astroworld Festival 2021, créé par le rappeur, connut la même finalité que Woodstock 1999 : plusieurs décès et malaises.
Miss the rage
En décembre 2020, le « rage rap » n’existe pas encore officiellement sous ce nom. Trippie Redd, lui aussi très influencé par le rock, partage sur Instagram un extrait inédit d’un morceau avec Playboi Carti. Il s’agit du titre Miss The Rage (« le manque de rage »). Le rappeur a vite expliqué que ce morceau faisait référence à l’absence de concerts à cause de la pandémie Covid-19 :
« Je suis l’une de ces personnes qui va aux festivals, qui donne tout ce qu’elle a. Je suis prêt à remonter sur scène. J’en ai marre d’être assis chez moi car c’est la seule chose que je peux faire »
Le court extrait de Miss The Rage a créé l’engouement au sein du public rap anglophone. Le single a permis de donner un nom à ce sous-genre de trap si particulier sur fond de synthé.
Quelques jours plus tard, Playboi Carti sort le très attendu Whole Lotta Red, son 2e album studio. Un disque clivant, autant détesté qu’apprécié. Mais il est celui qui a véritablement propulsé cette tendance et donné naissance à toute une vague de rappeurs pratiquant le rage. Playboi Carti évite cependant le piège d’en faire un disque redondant car il propose des morceaux parfois doux, parfois agressifs.
Kanye West, directeur exécutif sur Whole Lotta Red, a emboité le pas en 2021 au moment de sortir le très anticipé Donda. Il y invite Carti afin de délivrer d’autres morceaux aux inspirations rage rap :
Lentement, mais sûrement ?
On assiste désormais à l’apparition de plus en plus d’albums de rage. De Trippie Redd (Trip At Knight et Mansion Music) jusqu’à NBA Youngboy (I Rest My Case), ce sous-genre semble parti pour s’accroitre. De nouveaux rappeurs ont même réussi à devenir mainstream en pratiquant ce style : Yeat, Ken Carson ou Cochise, tous sont influencés par Whole Lotta Red. Et des têtes d’affiche (Drake, Kid Cudi, Travis Scott, Kanye West, Gunna…) s’y sont aussi prêtées. Impossible d’écrire cet article sans citer les producteurs Pierre Bourne et F1LTHY, désormais considérés comme les deux principaux architectes du son « rage rap ».
Si la tendance se démocratise au pays de l’Oncle Sam, elle reste toutefois très clivante. La France, quant à elle, semble encore un peu à la traîne. Très rares sont les artistes qui y ont déjà expérimenté ces sonorités, surtout au sein de la scène mainstream. Zola et Ateyaba ont franchi le pas récemment avec le titre FINISH HIM :
Il fallait s’y attendre, la réception publique est mitigée : certains adorent ces sonorités différentes, d’autres -plus nombreux- détestent. Comme chaque nouveauté, il faut du temps pour que la pratique devienne régulière et que les oreilles du public s’y habituent, ou pas. Pour vous aider, voici une playlist spéciale Rage Rap :