De son intégration au collectif niçois d’En Bas Fondation (créé par la légende locale qu’est Veust) en 2007 à Ma version des faits (2018), Infinit’ a hardiment conquis l’intérêt d’un public résolu au rap. Son aisance à étaler son quotidien par des rimes crues abasourdit l’ensemble de ceux qui se frottent à sa musique, de ses fans les plus fidèles au maire de sa ville. Surtout, c’est par la manière que le sudiste image et simplifie le fond de ses pensées que s’est construit un cercle d’adorateurs du personnage “Génie comme Léonard De Vinci, j’ai des zins en cage comme un léopard de Vincennes”. Rien de plus logique donc, que le rappeur entreprenne son premier album sous le nom de Ma Vie Est Un Film II, suite du premier opus sorti en 2013. Après 15 ans de rap, une affiliation au label Don Dada et moults coups de batte sur les rappeurs, Infinit’ n’a jamais été aussi prêt à visionner son talent et la suite de son parcours sur grand écran.
“J’écris comme Guy de Maupassant, il me faut d’l’argent”
D’en Bas
Dès le premier morceau de l’album (D’en Bas, référence au collectif chez qui il a fait ses premiers pas) nous prenons de pleine face les ambitions de millionnaire d’un Infinit’ comme toujours provocateur, mais surtout revanchard. Malgré des années de charbon et des choix qu’il regrette encore, le niçois a davantage goûté à l’odeur du bitume brûlant de L’Ariane qu’à l’air iodé de la Méditerranée. A la trentaine passée, le rappeur a tiré un trait sur ses activités de dealers ou autre gangstérisme, mais rêve toujours d’une vie de boss. Pour y parvenir, il travaille la technique de ses multisyllabiques pour écraser de sa paire de Cortez les concurrents qui “disent tous la même chose, dans les mêmes sons” et arborer l’écusson d’un des « derniers rappeurs qui rappent ».
Cependant, la réalité a vite dépassé les espoirs d’Infinit’. La réalité des lyricistes, souvent condamnés à bercer une niche d’auditeurs à défaut de tutoyer les charts. Tout en mesure, le niçois va donc surfer sur les styles et offrir un contenu des plus hétéroclites, avec notamment quelques surprises.
Sur le début de l’album, Infinit’ jongle avec l’égotrip sur lequel il a construit sa carrière (1.5, J’y vais avec Barry et Veust) et les intonations planantes, à l’image de Programme ou Médecine, accompagné de Deen Burbigo. L’invité parfait pour aborder ce genre de sujet.
Si nous sommes accoutumés à entendre le rappeur déballer un lifestyle nettement plus croustillant que le nôtre, ses mélodies fructifiées au fil des années arrivé à maturité fait plaisir à voir.
Il use à nouveau de ses flows chantonnés sur On sconnait pas afin d’aborder les courbes généreuses d’une fille “spéciale”, avec le rappeur en provenance de Perpignan, Gros Mo. Alors que le niçois semblait percevoir la gente féminine comme “une sorte de bitch”, cette femme si spéciale revient le thème de Pensées. Seulement, l’enivrance que celle-ci opère dans l’esprit d’Infinit’ “Quand je dors je rêve que de toi, quand j’me lève tu hantes mes pensées” semble indirectement simplifier l’écriture de ses rimes. Si nous avions des raisons d’être enthousiastes au vu de la première collaboration entre les deux sudistes, elle se montre finalement assez dispensable. Le refrain de la chanteuse Yeshe tout en harmonie avec la production de Pensées sauve la tentative maladroite d’Infinit’ d’exposer ses attirances.
« Je ne peux que briller, tes rappeurs sont grillés comme les bacqueux dans la Ford grise »
L’exercice, premier morceau enregistré de l’album
Ces quelques minutes ennuyantes que l’on retrouve dans tous les films traitant d’un homme et de sa Beyoncé sont passées, Infinit’ peut maintenant cracher le feu (comme Jay Z, et non pas Electronica). La combinaison autant énergique qu’un redbull Périscope – Cigarette 2 Haine (où Alpha Wann et Inf’ récidivent après Cigarette De Joie, au moins aussi complémentaires que Samuel Jackon et John Travolta) – L’exercice, nous certifie que le protagoniste n’a plus besoin d’entraînement pour se hisser comme un des meilleurs rappeurs francophones.
Après avoir, encore une fois, présenté l’entièreté de son talent au plan national, le niçois épingle par ses rimes tranchantes « Flic, proc’, je fistfuck, le poing en l’air comme un Black Panther » les Alpes-Maritimes sur la carte. L’enchaînement Interlude 06 et Redbull mêle des rayons de soleils azuréens et californiens, qui malgrés eux, apaisent l’ambiance brûlante du passage précédent.
Sur UMLA tour, à l’effigie de la tournée d’Alpha Wann aussi dantesque que son album Une main lave l’autre, Infinit’ emprunte la même formule que sur Le Tour, cinquième piste de l’album cité. Il ne s’occupe que du refrain pour laisser ses gars de Don Dada – Philly Flingue et KSA – détailler leurs trains de vie entre deux shows. Si le lien avec Le Tour est facile à tisser, le morceau possède également des ressemblances avec Bustour, présent sur Alph Lauren 1, une des dates marquants les premières “connexions haut gradées” Phal–Infinit’. “J’me rendors, j’suis dans le van et j’ai la tête contre la vitre.” (UMLA tour) / “Je sais que c’est la vitre du bus mais j’imagine une baie vitrée, j’ai le nez devant encore en train d’effriter.” (Bustour)
C’est en se clôturant par Infiniment que le projet se démarque des autres. L’introversion n’est pas un thème franchement récurrent des textes d’Infinit’, mais il revient “à l’état de foetus” pour nous partager les douleurs accumulées au long de son parcours, malgré qu’il n’y ai pas de place dans son œil pour des larmes de fillette « J’ai connu plus de mal que de peur, depuis qu’des proches m’ont trahi, j’ai plus d’cœur ».
Tout au long de sa carrière, le rappeur s’est battu. Bien que sa plume franche affûte les sens de ses auditeurs, déconcerté par la technique dont il fait part, il n’avait jusqu’à présent pas trouvé la recette pour profiter d’une carte de visite à la hauteur de son talent. Au style west-coast débordant de Ma Vie Est Un Film, à la trap agressive de NSMLM en passant par les allitérations légendaires comme sur le deuxième couplet de Le soleil et l’eau salé (Ma version des faits), Ma Vie Est Un Film 2 est un condensé de ce que Infinit’ maîtrise et de contenus exclusifs. La dansante Interlude 06 ainsi que, premier album oblige, l’exploration de ses sentiments et de sa vie antérieure, constituent les valeurs ajoutées de son projet le plus abouti.
En fin de compte, seul les storytellings tels que Djibril n’a pas son empreinte sur le disque. Pour le coup, Infinit’ a préféré écrire sa propre histoire.
“J’remets mon destin à Dieu, on verra c’qu’il en décidera”,
Programme
Ma Vie Est Un Film II sonne comme la dernière tentative d’Infinit’ à vivre de sa musique. La phase finale de ses punchlines assassines et les nombreuses références à des films ou à sa propre vie n’ont jamais été aussi cohérentes, et dressent une ligne directrice qui aboutit à Infiniment. Le rappeur est infiniment petit dans l’infiniment grand, et semble, au final, davantage mettre l’accent sur le prix de la vie que sur l’effervescence de sa musique « Est-ce un paradoxe que l’événement qui ait le plus marqué la vie, ce soit la mort ? ». Le niçois est un mordu de hip-hop, et les exemples traitant les artistes qui n’ont pas vu décoller leurs carrières à l’image de leurs talents ne manquent pas. Veust, son zin de toujours, en est d’ailleurs le parfait exemple. Il pourra même se réconforter à l’idée que ces artistes authentiques se classent comme les meilleurs de leurs catégories.
Infinit’ va laisser parler sa musique et remettre le destin de son album à Dieu, ou plutôt aux auditeurs. En attendant, nous imaginons qu’après ce travail monstre, Inf’ veut juste tirer sur des blunts (goût pêche) de skunk (locale) et les adversaires qui lui barrent la route, tout en scandant son amour pour Max B, ou plus généralement pour le rap new-yorkais.
Tel De Niro et Scorsese, Infinit’ s’est joint à une équipe de producteurs qu’il connaît bien (Dojo The Plug, JayJay, Hologram’ Lo entre autres) pour accompagner de la meilleure des manières le plan d’un sublime coupé arpentant les virages de la côte méditerranéenne. Entre réalité de la vie “Faut d’l’oseille ou tu crèves, voilà ma déduction” et fantasme “pour savoir qui t’couvre de balles on joue à courte-paille, pendant qu’le tailleur prend nos tours de taille”, le principal est que Infinit’ le fait, et surtout mieux que tout le monde.