Interview : La passion et la détermination d’Hash24 à travers son dernier projet : Hell Paradise

Nous retrouvons Hash24, membre de la 75e Session et du Dojoklan. Proche de Sopico, Georgio ou encore Limsa d’Aulnay, le rappeur originaire de Normandie s’est ouvert à nous afin de parler de son nouveau projet intitulé “Hell Paradise”, de ses inspirations et de son ressenti sur la musique actuelle.

Tout d’abord est-ce que tu peux te présenter ? 

Je m’appelle Hakim, mon nom de scène est Hash24. Je suis originaire de Verneuil-sur-Avre, une petite ville en Normandie (27).

J’ai baigné dans la culture hip-hop depuis tout petit, car avec un grand-frère et cinq grandes-sœurs nés dans les années 90, je n’ai pas pu échapper aux hits ni aux classiques de l’époque. De plus, ma mère a toujours voulu jouer du piano à haut niveau, mais n’y est jamais parvenue, donc ça m’a poussé à faire de la musique et réussir pour la rendre fière et essayer de lui faire vivre un bout de son rêve à travers le mien.

Sinon, quand j’ai commencé à faire du rap à l’époque, j’ai sorti un morceau qui s’appelait “Pas le temps” et Sheldon l’a partagé. C’est à ce moment-là que je suis devenu ami avec et que je me suis rapproché de la 75e session. J’ai aussi rencontré plusieurs autres artistes dans certaines soirées à Paris.

En parlant de Paris, tu as dit que tu venais d’une petite ville en Normandie, alors, comment t’es-tu retrouvé dans la capitale ?

Je suis parti à Paris assez jeune pour vivre une autre aventure musicale que celle que j’aurais pu vivre dans ma petite ville en Normandie.

D’ailleurs, je trouve que lorsqu’on est jeune, on pense souvent au fait de percer, de se faire beaucoup d’argent, etc. Mais finalement, j’ai vite lâché cette idée lorsque je me suis rendu compte que côtoyer les rappeurs que j’avais rencontrés me suffisait largement pour être heureux. Dès lors que j’ai connu les gars de la 75e Session, ma vision de la musique a vraiment changé et j’ai arrêté de croire qu’il fallait absolument que je réussisse ou que je signe des contrats.

On dirait que tu attaches beaucoup d’importance à ton entourage, tu as compris que la passion suffisait pour être heureux.

Je pense que chaque artiste, peu importe son évolution musicale, finira par faire un “retour aux sources” à un certain moment. Moi, je n’ai simplement jamais quitté ces sources, je suis toujours resté moi-même. Je trouve ça très faux-cul de quitter son entourage, partir seul et se dire “personne ne pourra m’arrêter” pour au final se rendre compte qu’il y a des incohérences entre la personne que tu es et le chemin que tu as envie de prendre, puis revenir vers ton entourage comme si de rien n’était.

Je trouve que ça ne se fait pas trop donc j’ai préféré me mettre en tête qu’il était important de rester proche de mon entourage et d’avancer ensemble. Si demain cette perspective venait à changer, je ferais ça en bonne et due forme. Je ne partirais pas comme ça.

Tu as un peu parlé de la 75e session, on sait que c’est un collectif d’artistes dans lequel on retrouve des rappeurs, des beatmakers ou encore des photographes, est-ce que tu peux nous parler de la relation qu’ont les membres entre eux ? Vous êtes souvent ensemble ?

Pendant longtemps, on était dans cette phase-là : on se voyait souvent, on faisait souvent du son ensemble, mais plus le temps passe et moins on se voit.

Certains sont pères de famille, d’autres se sont un peu éloignés de la musique… En fait, on arrive dans une ère où tout le monde fait un peu les choses de son côté, sans pour autant que cela nous empêche de passer du bon temps ensemble. Aujourd’hui on ne se voit pas pour faire de la musique, mais on se voit pour passer du bon temps entre amis.

Et puis on se connait par cœur alors maintenant on peut tous faire de la musique de notre côté, je pose un couplet chez moi, Limsa pose le sien, on envoie le son à Sheldon pour le mix, on demande à Lucas (Lucas Matichard, photographe de la 75e Session, auteur de plusieurs covers de Népal, Sopico,…) de nous faire une photo, à ManX (Auteur de plusieurs illustrations, notamment celles du projet Lune Noire de Sheldon) de nous faire une illustration, etc.

On s’est aussi un peu éloignés, car on a tous pris conscience qu’il fallait commencer à se concentrer chacun sur notre musique si on voulait faire partie des prochains artistes émergents.

Par rapport aux réseaux sociaux, quelque chose me frappe avec les membres du dojo, c’est qu’on a l’impression que vous êtes mystérieux, que vous êtes un peu inaccessibles.

D’un autre côté, je vois Limsa qui raconte des blagues sur Twitter et qui pose des questions à tout le monde, toi qui réponds à tes messages et qui remercies ta communauté, etc. Comment gères-tu cette relation avec les fans ?

En fait, je n’aime pas le mot « fan », je préfère appeler ceux qui écoutent ma musique des “supporters”. Pour moi, à chaque fois que je sors un freestyle, un projet ou un son, c’est comme un jour de match où les gens viennent te voir. Il y a de bons matchs, de moins bons matchs, des matchs où tu joues comme un chien, mais dans lesquels tu ne marques pas de but et à l’inverse, des matchs de merde dans lesquels tu marques des buts. Je vois vraiment ça comme un match de foot, j’ai des supporters qui viennent à tous les matchs et d’autres qui sont là depuis pas longtemps.

Après, on n’est pas vraiment mystérieux. En tout cas j’accorde beaucoup d’importance à mes supporters, sans eux, on ne serait rien et j’essaye de répondre un maximum aux messages que je reçois même si ce n’est pas toujours facile ! Je préfère passer une journée à répondre aux messages que l’on m’envoie plutôt que de gagner 1000€ pour faire des pubs dans ma story et ne pas calculer ceux qui me donnent de la force.

On te sélectionne parce que tu as une belle voix ou parce que tu rappes bien et tu te retrouves à vendre de la merde en story pour gagner plus d’argent qu’avec ta musique. Je ne trouve pas ça très cohérent. Je respecte malgré tout cette vision des choses, et chacun est libre de faire ce qu’il veut, je ne suis pas là pour juger qui que ce soit.

En tout cas, on voit que tu as la tête sur les épaules et tu as l’air d’être quelqu’un d’assez simple. Il me semble d’ailleurs que tu as un travail en plus du rap, tu peux m’en dire plus ? 

Effectivement ! Je suis directeur d’un centre de loisirs à Évry, je travaille dans une école élémentaire.

Du coup, comment arrives-tu à mélanger ta vie professionnelle, familiale et artistique ?

Depuis que j’ai perdu mon père, ma vision des choses a un peu changé. Aujourd’hui, je veux simplement faire de la musique et la partager sans qu’on me fasse chier, c’est aussi simple que ça.

Je ne voulais pas vraiment m’enfermer sur moi-même après son décès, alors, pour faire passer la rage que j’avais, pendant que j’étais en tournée avec Sopico, j’ai passé un diplôme pour être directeur de centre de loisirs. Chaque jour depuis 2 ans je travaille donc de 12h à 18h, je suis au studio toute la nuit jusqu’à 3h ou 4h et je me réveille à 9h.

Pour parler un peu plus de ta musique, comment réalises-tu tes sons ? Est-ce que tu as une façon de faire bien spécifique ?

En fait, j’ai plusieurs façons de faire:

Soit je fais une instru sur laquelle je pose une topline et j’essaye de trouver les bons mots. Soit j’écris simplement par-dessus les *tic tac* du métronome à un certain BPM pour lâcher un couplet bien rappé. Mais il m’arrive aussi d’écouter d’anciens albums que je kiffe comme L’enfant du Pays de Rim’k, Du rire aux larmes de Sniper ou encore Temps Morts de Booba et je rappe sur les instrus de ces projets pour avoir des textes que je peux adapter sur d’autres prods plus tard. Voilà mes 3 manières de travailler, après il faut évidemment de l’inspi !

Tu as dit que tu faisais des prods, il semble que tu as d’ailleurs composé l’intro et l’outro d’Hell Paradise et que tu es en coproduction sur tous les autres titres du projet. On sent que tu veux maitriser ton univers musical à 100%, donc j’aimerais savoir si tu as toujours été attiré par le beatmaking ou si tu as développé cette envie à force de trainer au dojo, sachant qu’il y a justement plein de producteurs là-bas ?

Tout a commencé parce que j’en avais marre d’arriver en studio et de devoir aller chercher des prods sur Youtube. En fonctionnant de cette façon je n’avais pas vraiment le choix, j’étais contraint de prendre ce que l’on me donnait.

Un jour, j’ai donc demandé à Sheldon qu’il m’apprenne à sampler et c’est comme ça que j’ai commencé à faire mes premières instrus, j’étais enfin décisionnaire et plus esclave de ma musique. En plus de cela, ma mère m’a appris quelques boucles et accords au piano, ce qui me permet aujourd’hui de réussir à reproduire exactement les mélodies que j’ai en tête.

Mais pour parler un peu plus de mon univers musical, il faut savoir que je complexe depuis l’enfance. Etant fils de parents immigrés qui sont venus en France sans argent, j’ai toujours été attiré par les choses inaccessibles financièrement comme les instruments baroques, les belles maisons, les châteaux français, etc. Aujourd’hui ça m’attire énormément et j’ai besoin de ça pour nourrir ma musique, d’ailleurs, j’aime beaucoup aller dans les châteaux de la Loire, dans les musées ou à l’Opéra avec ma mère.

Je suis content qu’on nous ait mis des barrières sur ce genre de choses étant plus jeune en nous disant que ce n’était « pas pour nous » car aujourd’hui c’est devenu quelque chose que j’aime beaucoup. Finalement, j’ai commencé avec le rap car c’était tout ce que j’avais dans les mains, mais de par mon éducation et ma manière de progresser j’ai appris à affiner mon style. C’est pour cela qu’aujourd’hui on retrouve pas mal de mots crus mélangés avec des instruments comme le piano, le clavecin ou encore le violon dans ma musique.

Tout à l’heure, tu parlais aussi de notre côté un peu « mystérieux », et bien en fait je pense que c’est plus une sorte de revanche qu’on prend sur la vie. Le système que les gens distinguent comme étant celui de la « réussite » dans le rap me fait chier, c’est peut-être pour ça que je me montre moins.

Ce n’est pas vraiment être mystérieux volontairement. Tout ce qui m’importe c’est faire ma musique et sortir mes sons, qu’on me considère comme un rappeur, comme un libéral ou comme un mec qui s’exprime, ce n’est pas mon problème. Dans le fond je sais pourquoi je fais ça et c’est le plus important.

Tu nous parlais de certaines de tes influences, est-ce que tu en as d’autres, qu’elles soient externes ou même internes au rap ?

Sincèrement, ce sont les gars de l’Entourage qui m’ont mis une grosse claque à l’époque. Je les ai vus arriver et j’ai directement adoré leur énergie, leur manière de faire. Quand j’ai commencé le rap j’envoyais des messages à des mecs comme Alpha Wann, 2zer, Nekfeu, Deen Burbigo, etc. Et ce sont des gars qui m’ont vraiment toujours répondu et donné de la force, 2zer à même accepté de faire un feat avec moi.

Donc je suis content que tu me poses cette question et je te réponds avec la plus grande franchise, c’est vraiment les gars de l’Entourage qui m’ont foutu les plus grosses baffes et qui m’ont donné le plus envie de venir sur Paris faire ma musique. Ils sont tous très forts depuis longtemps et ça a toujours été des gars méritants, ça m’a donné une réelle motivation pour faire du rap. Je trouve d’ailleurs qu’il est important de le souligner, car beaucoup ont été inspirés par 1995 et l’Entourage mais peu le disent, ils préfèrent dire : « J’ai écouté Chief Keef” et “je me suis fait tout seul”, c’est dommage !

Mais sinon je peux te donner une autre grosse inspiration, c’est Jul. C’est vraiment une machine et il a compris qu’il fallait se servir des reproches pour avancer. Personnellement si on me reproche des choses je ne vais pas répondre, je vais simplement balancer un projet, et si le projet ne plaît toujours pas j’en balancerais un nouveau jusqu’à satisfaire le plus de monde possible.

Parle-nous un petit peu plus d’Hell Paradise, ton projet qui sort ce dimanche 24 mai 2020 : Tu as récemment dévoilé sa tracklist, 5 titres qui incluent une intro et une outro, c’est un projet que tu souhaitais faire depuis longtemps ?

Alors justement, c’est un projet qui est né grâce au confinement. Je me suis acheté un ordinateur il y a quelques mois et j’ai récupéré toutes les sessions studio que j’avais pu commencer au dojo. En réécoutant un peu certaines maquettes, il y a un morceau qui est sorti du lot : Hell Paradise.

Le morceau est déjà en ligne actuellement, mais c’est lui qui m’a donné cette envie de faire un projet. D’ailleurs, il ne devait contenir que 2 titres : Hell Paradise et Heure d’été, mais j’ai voulu en faire un peu plus donc je me suis branché sur mon ordinateur avec mon kit mains libres et j’ai commencé à enregistrer des trucs. C’est comme ça que j’ai réalisé l’intro du projet, un morceau vraiment original enregistré avec mes écouteurs. On entend même des bruits de notifications en fond. Je me suis dit que j’allais prendre le risque de sortir le morceau comme ça, car il me plaisait, maintenant on verra bien ce que les gens diront !

Pour le son un autre monde j’ai reçu une prod de 8endz que j’ai trop kiffée et j’ai encore une fois enregistré ma voix avec mes écouteurs. Cette fois-ci, je me suis dit que ça commençait à faire beaucoup et que j’allais sûrement me faire allumer donc je suis parti l’enregistrer chez un pote et on a pu mettre tout ça au propre.

Le clip d’un autre monde est disponible, c’est un clip dans lequel on voit quelqu’un d’autre rapper mon texte. J’ai fait ce choix pour montrer que tout le monde pouvait être Hash24, ceux vivant dans les cités, en ville, ou même les filles, peu importe. L’essentiel n’est pas vraiment l’image que je véhicule, mais plutôt ma manière de penser. Je veux que certaines personnes puissent s’identifier à ce que je dis.

Tout à l’heure, tu disais que les membres du Dojoklan et de la 75e Session commençaient peu à peu à se disperser pour se focaliser sur leurs projets personnels. Finalement, Hell Paradise s’inscrit-il dans cette vague de projets un peu plus matures sortis dernièrement par les membres de la 75e Session ?

En fait, Hell Paradise est plus un projet transitoire dans lequel j’expérimente certaines choses. Je me suis d’abord fait un petit plaisir en choisissant la direction du projet de A à Z, mais je l’ai surtout sorti car je ne voulais pas rien produire pendant ce confinement, j’ai également été accompagné par la maison de production Red Pill.

Et donc, est-ce que tu prépares déjà un plus gros projet pour cette année ?

Oui, j’ai déjà un projet 12 titres qui est terminé et qui sortira vers septembre, mais rien n’est sûr. On y retrouvera par exemple un feat avec Georgio, un feat avec Quesse qui est un rappeur américain que je kiffe mais sinon je ne donnerais pas plus d’infos là-dessus !

Dans tous les cas, j’ai vraiment envie de me professionnaliser pour la suite donc je vais être un peu moins actif sur les réseaux et beaucoup plus exigeant sur la qualité de ma musique.

Tu nous as parlé d’un feat avec Georgio, tu as d’ailleurs récemment sorti un freestyle avec lui dans lequel vous posez sur une prod un peu plus old school. Sachant que tu aimes bien rapper sur des prods « trap », est-ce que pour toi c’est important de revenir sur du rap plus classique ?

En fait j’en avais marre qu’on me dise « Hash tu fais trop d’auto-tune, etc. ». Donc j’ai sorti une série de freestyles boom-bap en plus du projet, afin de faire plaisir à tout le monde. Cependant, je suis un grand fan de rap à l’ancienne donc je ne lâcherai jamais le boom-bap, peu importe si les gens trouvent ça cohérent ou pas.

Et c’est vrai que par rapport à certains rappeurs j’ai cet avantage de pouvoir changer de style quand je veux. Au début j’ai commencé à faire du boom-bap, ensuite de la trap et ensuite j’ai commencé à chanter. Maintenant, j’essaye de mélanger ces trois choses dans mes projets et c’est ce qui définit ma musique.

En parlant de ta musique et pour finir, est-ce que tu penses avoir actuellement atteint la maturité que tu voulais atteindre en commençant le rap ? Je veux dire, es-tu pleinement satisfait de ce que tu fais où tu penses encore pouvoir te surpasser dans tes prochains projets ?

Franchement, je pense pouvoir être encore meilleur. Je vois un peu tout ça comme une poupée russe, il y en a toujours une derrière une autre et ça peut durer longtemps. Donc je pense qu’on s’améliore toujours. Je vise haut, car pour moi c’est la meilleure façon d’avancer et de réussir, plus tard j’aurais la fierté de me dire que j’ai toujours travaillé et que je n’ai jamais lâché. Et comme dit Jul : « Le travail c’est la récompense » !

Merci d’avoir pris le temps de répondre à mes questions, as-tu quelque chose à ajouter pour clôturer cette interview ?

Oui ! Je suis parrain et bénévole pour l’association « Constellations » qui agit à Évreux, en Normandie. Elle organise des actions sociales (distribution de colis, de vêtements … ) et musicales (découverte, atelier d’écriture … ). Si certains sont intéressés ou veulent simplement aller voir plus en détail ce que l’on fait, n’hésitez pas.

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