2020 est une année importante pour Freeze Corleone. Dès son entame, il sort le freestyle Welcome to the Party qui annoncera clairement la couleur de son exercice à venir, puis jalonne l’année de plusieurs featurings délivrés régulièrement, toujours à haut niveau. Le stimulus autour de lui ne fait qu’augmenter tout au long de l’année, montrant une corrélation entre le nombre de fans qui augmente et son niveau qui s’élève également. Tout ce travail de domination sur 2020 avec une forte présence aboutira donc à LMF, album teasé depuis le début de sa stratégie, où Freeze se doit de passer un cap, pour confirmer tous les espoirs placés en lui. Arrivé à point nommé un 11 septembre pour rester fidèle au personnage complotiste de Freeze, tout est déroulé pour lui afin de livrer cet album attendu. Il ne lui appartient plus que de confirmer cette tendance.
Un univers artistique marqué
La principale force de Freeze Corleone demeure dans le monde musical qu’il s’est créé, dans lequel il fait évoluer son personnage de manière très identitaire. Fort de ses différentes inspirations, il instaure un univers musical particulier qui se démarque du reste du rap français. Fourni de références complotistes, d’inspirations musicales américaines et françaises old school et surfant sur la vague drill qui lui va si bien, Freeze concis tous ces éléments en une recette pour délivrer le produit final de sa musique. Elle se veut donc obscure voire lugubre par moments, avec des productions macabres impactantes dû à leurs sonorités drill et sombres qui se veulent forcément frappantes et anxiogènes, des lyrics polémiques et des flows plus que percutants.
En terme d’impact en l’occurrence, Freeze a le don de toujours arriver sur un son avec fracas, pour nous immerger dedans et ne plus jamais nous en ressortir avec un flow d’une justesse assez implacable. Bien que peu polyvalent, il excelle pour découper des productions avec puissance à chacune de ses performances, ce qui nous retient constamment dans sa musique car il comble sa faible diversification par un niveau d’excellence très élevé dans ce qu’il propose dans ses flows et sa musique en général. En plus de cela, il possède une prestance vocale et un charisme qui lui donnent une certaine aura quand il rappe, ne faisant que rameuter l’intérêt autour de lui lorsqu’il pose sur un son. L’introduction Freeze Raël en est le parfait exemple, sonnant comme une déclaration, où le niveau de Freeze est tellement élevé lorsqu’il rappe qu’il percute immédiatement son auditoire. Les productions d’excellente facture ne font qu’appuyer ce phénomène, car se mêlant parfaitement au personnage de son auteur et à la puissance rapologique de celui-ci.
Musicalement, l’album est surtout l’aboutissement de sa recette. En effet, Freeze ne s’ouvre pas et il a bien raison. Sur LMF, il peaufine son art en allant au bout de ses idées en plus de sa prise de niveau. On y retrouve donc des morceaux dans un style qu’il a pu déjà abordé comme Tarkov, mais en poussant plus loin dans l’ambiance oppressante et en améliorant encore sa manière de poser.
De plus figure aussi une progression dans sa palette vocale, puisqu’elle se retrouve plus soignée que jamais sur l’album. Les filtres vocaux sont mieux travaillés, plus variés, et se fondent parfaitement à l’ambiance voulue dans la musique de Freeze Corleone. Le morceau Big Pharma en est un bon exemple. Sous filtre vocal tout au long du son, la voix sonne un peu téléphonique et donne un effet brumeux qui colle bien au morceau. Avec ce procédé, l’ambiance inquiétante du morceau est bien représentée, avec cette production menaçante et ce flow très posé, ce genre de filtre vocal approfondit l’ambiance mise en place, et s’y fond parfaitement grâce à un travail de mix minutieux de FLEM. De plus, c’est ce genre d’utilisation vocale qui va donner de la profondeur à un morceau, en lui permettant d’évoluer d’écoute en écoute pour le faire s’inscrire dans la durée, reflétant une certaine richesse.
Plus qu’en terme d’ouvertures musicales, c’est donc sur ce genre de points que Freeze Corleone s’est amélioré, étant encore plus percutant dans son flow (Hors Ligne), charismatique dans son interprétation (Freeze Raël) et soigné dans sa palette vocale (Big Pharma).
Cependant le progrès ne vient pas que de lui puisque FLEM est aussi un grand architecte de l’album en lui offrant pléthore de productions de qualité correspondant parfaitement à l’univers artistique dans lequel évolue Freeze. Que ce soit dans l’inspiration drill (Scellé part.2), dans une noirceur plus posée (Big Pharma), dans une ambiance guerrière nocturne (L’art de la guerre, Numérologie) ou même dans une atmosphère plus aérienne (RIP Pop Smoke), le producteur phare du 667 sait insuffler de la vie dans ses productions. Percutant dans ses drums, efficace sur ses lignes de hi-hats ou encore envoûtant dans ses leads, FLEM sait toujours bien sélectionner les ambiances à exploiter, tout en rajoutant toujours la plus-value de son univers musical à lui et Freeze.
Enfin, les featurings rentrent parfaitement dans l’album et apportent chacun une touche personnelle. Tous s’ancrent dans l’atmosphère sombre de l’album. Stavo apporte sa puissance vocale, Despo Rutti et Roi Heenok amènent leur côté dément, Alpha Wann démontre sa technique, Osirus Jack rapporte son profil complotiste, Ashe 22 le côté drill, les revendications pour Alpha 5.20 et Shone, puis enfin Kaki Santana, La F et Black Jack OBS ont un profil similaire à Freeze. Tous ont des similitudes avec lui, mais dans un domaine différent chacun, ils sont comme une extension de celui-ci dans chacune de ses caractéristiques. Pour ces différentes raisons, le choix des feats est pertinent dans la construction de l’album, en plus d’être peu communs et d’apporter de la fraîcheur.
C’est donc dans l’exploitation de tout ces éléments que LMF se verra doté d’une direction musicale riche car possédant une proposition artistique différente dans le paysage actuel, lui assurant d’office de se démarquer. Et lorsqu’en plus d’une recette fraîche, celle-ci est approfondie et peaufinée jusqu’au bout, l’album ne peut être qu’une réussite musicalement. Avec LMF, l’option choisie n’est pas celle d’une polyvalence illusoire où s’amassent plusieurs sons qui n’ont parfois rien à voir. Ici, c’est donc un univers musical bien singulier qui est proposé de bout en bout, sans concession, poussé à son paroxysme. En plus de cette musicalité sombre, Freeze est choquant dans ses propos, accentuant encore son personnage, et créant une polémique autour de l’album qui prend de plus en plus d’ampleur.
Un album polémique
Tout d’abord, il est important de savoir que les lyrics de Freeze Corleone sont très importants dans l’élaboration de son personnage artistique. En effet, ceux-ci se veulent très polémiques, choquants et complotistes, pour frapper l’auditeur avec sa manière brute de dire les choses. Les sujets du racisme, de l’antisémitisme, de la police, de complots ou de faits historiques peu glorieux comme la Shoah ou l’esclavage sont monnaie courante dans ses textes. Cet album pousse encore plus dans le domaine avec des phrases comme «s/o l’esclavage», «on les fouette de ouf comme des négriers», «pendez les comme en Alabama» (en parlant des policiers pratiquant des violences) ou encore la phrase censurée «raf des…» où la suite a été bipée, mais qui évoquait certainement des camps de concentration à la vue des rimes précédentes avec la même syllabe qui revient deux fois, lui qui avait déjà dit «raf de la Shoah»
Evidemment avec les lyrics nus sur papier isolés tels quels, les propos sont choquants si l’on ne creuse pas plus. C’est précisément là qu’il va être important d’approfondir dans l’analyse de texte pour déceler ce que Freeze veut montrer avec ces lyrics. De prime abord, le plus frappant est l’exemple de la Shoah.
Freeze se sert de ce symbole tout d’abord car il s’agit dans les pays occidentaux de l’exemple le plus mis en avant dans l’éducation parmi les horreurs commises par l’homme dans son histoire. Néanmoins, des horreurs sont plutôt maquillées dans l’enseignement, comme la colonisation européenne, souvent enjolivée par l’apport du progrès permis par les pays occidentaux sur les pays moins développés du tiers-monde, qui a pourtant donné lieu à des violences, des morts, et un choc idéologique car certaines visions ont voulu être imposées, parfois pas de la plus belle des manières. Il s’agit là donc de deux cas très différents, où l’un est plus mis en avant que l’autre.
De ce fait Freeze se sert donc de l’exemple de la Shoah, qui est représenté comme intouchable et impossible à attaquer, pour le tourner en indifférence de sa part, comme pour résonner avec les horreurs qu’ont subi les habitants de pays colonisés qui sont maquillées par les occidentaux. Ainsi en faisant cela, il remet les deux à même hauteur, dans le but de montrer en étant choquant que si certains massacres sont tombés dans l’indifférence cela représente un problème, c’est donc pour ceci qu’il fait le parallèle avec le symbole intouchable de la Shoah. Et au vu des réactions le but est plutôt atteint puisque certaines instances ont été choquées.
Ainsi il met donc le doigt sur le sujet épineux de considérer les différents massacres de l’histoire de l’humanité pour les mettre à même hauteur car certains sont plus mis en avant que d’autres. La réaction de la LICRA qui a relevé uniquement les paroles destinées aux juifs le montre bien, alors que Freeze a pourtant des phrases chocs en ce qui concerne aussi la traite négrière, comme celles citées auparavant. Comme un aveu qui montre que plus d’importance est accordée à un sujet qu’à un autre, alors qu’ils devraient être à même hauteur.
De plus, il est à noter aussi que ce genre de propos entre dans un cadre artistique. Le personnage musical de Freeze Corleone est fictif, il s’agit là d’une entité artistique et non d’un individu humain à part entière dans la vie courante. Le personnage de Freeze Corleone est créé pour choquer, les paroles brutales rentrant dans ce cadre là. Il faut savoir dissocier l’art de l’humain, car il s’agit là de deux cadres bien distincts. Sachant qu’en plus de cela Freeze évolue dans le milieu du rap qui a certains codes bien précis, il n’est pas étonnant qu’un artiste veuille faire passer des idées avec des phrases chocs, ou parfois même juste utiliser l’image du choc sans arrière pensées.
Ici les images renvoyées ne sont pas bêtes et méchantes, il y a une idéologie derrière qui se veut revendicatrice face à certaines injustices. Le morceau PDM en est un bon exemple lorsque Shone déclare «j’te fouette 400 nuits puis j’te dis c’est du passé faut qu’t’oublies» ou encore «c’est bien raconté siiiisi mais pour nous t’es un tho-my». Il continue ici sur les idées que Freeze veut faire passer, en étant plus explicite et moins dans l’implicite d’images chocs. La première phrase fait donc référence aux 400 ans d’esclavage, où il dénonce le fait que les populations colonisatrices ont tendance de nos jours à vouloir faire disparaître cet évènement des pensées communes, sous couvert du passé. La deuxième montre clairement ce que Freeze sous-entendait, une manière de bien raconter pour faire passer certains mensonges.
Il est donc important de creuser ces propos pour en dégager les réelles idées derrière. Lorsque ce travail de réflexion est fait, tout apparaît alors de manière limpide. Des images chocs sont utilisées pour captiver l’attention et rentrer dans le cadre d’un personnage artistique, mais derrière subsistent de réelles revendications et des mises en lumière sur certains problèmes de société. Derrière les images violentes demeure un message noble, qui réclame seulement justice en demandant un niveau de reconnaissance égal selon les populations, et non en en privilégiant certaines à d’autres. De plus, la pseudo-haine dénoncée n’en est pas une car même lors des images chocs employées, c’est uniquement de l’indifférence qui est montrée, et non des hostilités.
Il demeure regrettable et même honteux de voir que certaines associations veulent censurer Freeze sans pousser la réflexion. Les paroles sont prises au pied de la lettre par la LICRA, des membres du gouvernement comme Gérald Darmanin ou des présentateurs à la télévision comme Pascal Praud ou les chroniqueurs de C News qui ne maîtrisent même pas leur sujet et font preuve d’un amateurisme pathétique, certainement déjà de base pour des idées préconçues envers cet art et les populations qui le pratiquent. Il est clairement visible qu’aucune discussion ne veut être soulevée, ici il s’agit seulement de faire taire ce qui dérange les dirigeants.
De plus, leur attitude est bien risible lorsque l’on s’aperçoit que certains propos polémistes sont plus acceptés que d’autres selon qui les tient et envers qui ils sont visés. La liberté d’expression est un droit fondamental, il n’est pas normal qu’un artiste qui veut faire passer des idées nobles, avec des images chocs certes, mais sans réelles hostilités concrètes, soit censuré par une partie de dirigeants, qui ont en plus eux-mêmes des problèmes plus importants à régler avec leurs casiers judiciaires.
Ce comportement lâche doit être dénoncé, il en est important pour que les artistes puissent proposer le contenu créatif qu’ils souhaitent, sans que des personnes sans réflexion venues d’un autre milieu viennent les brider injustement car ils ne sont même pas capables de comprendre les choses. Les institutions musicales feraient mieux de s’opposer à ces gens là inconnus de cette culture, plutôt que de se soumettre honteusement à eux, comme Deezer l’a fait en supprimant des morceaux, comme l’a fait Laurent Bouneau en supprimant Rap Catéchisme des playlists Skyrock, ou encore comme la lâcheté d’Universal à abandonner son artiste. En tout cas, si Freeze voulait choquer, nous pouvons constater ici que c’est bel et bien réussi.
LMF est donc une réussite à tous les niveaux. Il propose une formule différente musicalement, en plus d’être poussée jusqu’à l’excellence dans le domaine. Freeze se bâtit un univers solide avec un personnage marquant, où tout entre en corrélation, des flows aux lyrics en passant par les productions et même les featurings. Il est en décalage avec ce qui se propose d’habitude dans le paysage français et c’est en ça qu’il est si savoureux. Freeze est la preuve qu’à force de travail de qualité, un artiste underground peut s’imposer même avec un style aussi atypique, et ses 26 000 ventes ainsi que son million d’auditeurs mensuels sur Spotify le démontre. Il faut donc mettre cet album en avant, et même encore plus au vu des polémiques qui lui tombent dessus.